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En écrivant les pages suivantes, je n'ai pas eu la prétention d'offrir au public le programme officiel du parti libéral. Ce parti, qui se forme peu à peu, mais qui grossit tous les jours, n'est pas une petite secte étroitement attachée à la lettre d'un symbole, c'est une église universelle où il y a place pour quiconque croit à la liberté et veut en jouir. J'ai voulu seulement exposer quelles sont les conditions de la liberté civile, sociale et politique chez tous les peuples constitutionnels. En France, on parle beaucoup de la liberté, mais on n'en use guère; peut-être verra-t-on avec quelque intérêt ce que font les peuples qui n'en parlent pas, mais qui en vivent.

Dans ce petit volume, on ne trouvera pas davantage un nouveau système de politique. Il n'y a ici ni théories ingénieuses, ni séduisante utopie; je n'ai pas l'ambition de refaire l'humanité. J'ai simplement réuni les leçons de l'expérience ; j'ai

dit comment les Anglais, les Américains, les Hollandais, les Belges et les Suisses entendent et pratiquent la liberté. Au fond, tout se réduit à deux conditions: laisser à l'individu la pleine jouissance de ses facultés, garantir ce plein exercice par des institutions qui empêchent, en les punissant, l'injustice, la violence et l'usurpation.

Ces institutions éprouvées qui ont fait la gloire et la grandeur de nos voisins, la France les a toujours désirées depuis soixante-quinze ans ; mais, chose triste à dire, dix fois ses efforts ont été trompés et ses espérances perdues. Aujourd'hui, comme sous le premier Empire, comme aux premiers jours de la Restauration, on nous déclare que la France se laisse égarer par de vaines chimères, et que la liberté ne lui convient pas. C'est au nom de la tradition, ou du génie français, ou de l'unité, ou de l'ordre public, qu'on repousse des changements nécessaires, un procès pacifique et fécond. Malgré leur long usage et leur aspect vénérable, ces arguments ont le tort de ne rien prouver. C'est une arme à deux tranchants; on peut s'en servir pour repousser également et le bien et le mal. Devant une Chambre ignorante ou sans énergie, un ministre peut en tirer des effets de tribune; mais voilà tout. Ce sont des sophismes, ce ne sont pas des raisons.

La tradition est sans doute chose respectable; mais en France nous en avons deux, une tradi

tion de servitude, une tradition de liberté. Pourquoi la révolution de 1789 s'est-elle faite, sinon pour anéantir et les priviléges et cette administration qui étouffait toute indépendance civile et toute influence politique? Qu'est-ce que les principes de 1789, ces principes dont on fait la décoration officielle de toutes les chartes, sinon une énergique revendication des droits de l'individu et des droits de la nation? Soixante-quinze ans de luttes et de souffrances pour conquérir la liberté, voilà notre tradition! Elle est plus sacrée que celle de cet ancien régime, qui n'a laissé dans la mémoire des peuples que d'assez tristes souvenirs.

On nous dit d'un ton cavalier que la liberté n'est bonne que pour les Anglais, et que le génie français la repousse. Qu'en sait-on? Qui donc a qualité pour confisquer nos droits et nous condamner à une éternelle minorité? Quand donc la France a-t-elle été en pleine possession de ces libertés qu'elle a toujours réclamées? A quelle époque l'administration a-t-elle cessé de nous protéger? Quand a-t-il été permis à toutes les Églises de s'ouvrir, à tous les maîtres d'enseigner, à tous les citoyens de se réunir ou de s'associer? Quand la presse a-t-elle été entièrement libre, sans avoir rien à démêler, ni avec la police, ni avec le fisc? Quand la commune et la province ont-elles été maîtresses de leurs droits? Est-ce

sous le Directoire, sous l'Empire, sous la Restauration? La monarchie de Juillet a plus fait pour la liberté qu'aucun gouvernement; c'est là sa gloire; mais a-t-elle affaibli ou fortifié la centralisation? Quand on nous parle de notre incapacité nationale, on abuse de notre ignorance. La liberté complète, franche, sincère, elle existe depuis longtemps en Hollande, en Angleterre, en Amérique; mais en France, c'est une étrangère; nous n'avons jamais eu que des demi-libertés. L'administration a toujours été de moitié dans nos droits. Dans ces conditions, l'expérience n'est pas faite; il est permis de croire que les tuteurs qui s'effrayent de notre indépendance prennent trop de souci de notre sécurité. La France a proclamé sa majorité en 1789; il serait temps qu'on la mît enfin en possession de ses droits.

Quant à l'unité nationale, nous y tenons autant que personne; nous avons peu de goût pour les fédérations. Mais l'unité nationale n'a rien de commun ni avec le pouvoir absolu, ni avec l'uniformité de la centralisation, ni avec l'arbitraire de l'administration. Il suffit d'ouvrir l'histoire pour y voir que les peuples les plus libres, et les moins centralisés, ont été aussi les plus puissants par leur unité. Quelle nation plus compacte, plus forte et plus libre que les Romains de la République ? Et si l'antiquité nous effraye, regardons autour de nous. N'est-ce pas la liberté qui, mal

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