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genre, par le curé de Gisors. On ne lira pas peut-être sans intérêt le certificat délivré à cette occasion (1):

• Nous soubsigné, pbre, curé de la ville de Gisors, bachelier en théologie, certifions à tous qu'il appartiendra que ce jourd'huy vingt et unième du mois de janvier 1678, en vertu du pouvoir à nous donné par M Mallet, docteur de Sorbonne, chanoine de N. D. et grand vicaire de Monseigneur l'archevesque de Rouen, en dabte du 4o de janvier audit an, nous avons procédé à l'examen de sœur Anne de St Barthélemy, natifve de Beauvais, novice des carmélites du couvent de Gisors, aagée environ de vingt trois ans; laquelle nous a respondu ingénuement à plusieurs demandes que nous lui avons faictes, nous ayant dit, entr'autres choses, qu'il y avoit onze mois et plus qu'elle avoit pris l'habit de religion, qu'elle avoit esprouvé toutes les mortifications et austéritez de l'Ordre des carmélites, qu'elle n'avoit point esté pressée de personne, ny mesme de ses parents, pour se faire religieuse, qu'elle avoit entré dans ladite maison de son propre mouvement, qu'elle estoit persuadée de la grandeur de son estat, qu'elle n'avoit aucune répugnance à observer les règles de son institut, qu'elle persistoit de vouloir estre religieuse et de faire les vœux solemnels dans lade maison des carmélites, enfin qu'elle quittoit le monde avec joye, et qu'elle avoit toute l'impatience imaginable de venir à bout de son entreprise; toutes lesquelles responces et autres semblables elle nous a faict présence du Saint Sacrement. En foy de quoy elle a signé avec nous le présent acte le jour et an que dessus, pour valoir ce que de raison.

« N. THOMAS De St André,

⚫ Curé de Gisors.

« Sœur ANNE DE SAINCT BARTELEMI, »(2)

La profession, faite au secret dans l'intérieur du couvent, est consacrée, quelques jours après, par une cérémonie publique et solennelle, au cours de laquelle le supérieur ou son représentant impose le voile noir. Enfin, la nouvelle professe doit rester encore trois ans sous la direction de la maîtresse des novices, pour se pénétrer davantage de l'esprit de sa vocation et des règles de l'Ordre. Voici, en résumé, le curriculum suivi :

1° Postulat d'au moins trois mois.

2° Prise d'habit ou vêture.

(1) Orig. Arch. de la S.-Inf., G. 1756.

(2) Plus tard, en pareille circonstance, on usa de procès-verbaux imprimés, où le nom de la novice et ses réponses étaient laissés en blanc. Un certain nombre de ces procès-verbaux, provenant des carmélites de Pontoise, figurent aux Arch. de S.-et-O., G. 151.

30 Noviciat d'un an et un jour au minimum.

4o Proposition au chapitre par la prieure et admission par vote

secret.

50 Examen canonique.

6o Profession à l'intérieur du monastère.

70 Imposition solennelle du voile noir.

La prise d'habit et la prise de voile donnaient et donnent encore lieu à d'imposantes cérémonies. Un orateur est alors convié à célébrer en public les attraits de la vie religieuse, à faire ressortir les mérites du sacrifice, à montrer la récompense glorieuse qui attend les âmes consacrées à Dieu. On cite, notamment, le discours que prononça l'évêque de Troyes Poncet de la Rivière, appelé, lors de la prise d'habit de Madame Louise de France, fille de Louis XV, à commenter la haute signification de l'acte particulièrement touchant auquel assistait toute la cour.

Le lecteur a vu déjà comment sainte Thérèse restreint le nombre des religieuses de chaque monastère : elle admet quatorze religieuses dans les monastères non rentés, vingt dans les monastères rentés. ⚫ Cependant, avant 1790, les carmélites de France paraissent avoir toujours éludé cette prescription, probablement parce que tous leurs monastères jouissaient de revenus propres. Dès 1721, dans son Histoire des ordres monastiques (1), le P. Hélyot constate « qu'elles ne se sont pas limitées comme celles d'Espagne et les autres qui sont sous la juridiction des carmes déchaussés ». Il est juste d'ajouter que la régularité des Carmels français n'a jamais souffert de cette dérogation, déjà courante, en quelque sorte, au début du règne de Louis XIV, puisqu'en 1645 M. de Noyers exprimait le désir de voir réduit à vingt le nombre des religieuses du couvent de Gisors. En 1616, on comptait cinquante personnes à la communauté de Paris, mais les Chroniques (2) ont soin de nous dire « qu'il le fallait pour pouvoir fournir des sujets aux fondations qui se faisaient annuelle

ment. »

A Gisors, la population ordinaire du monastère paraît avoir été de trente-cinq religieuses. C'est le chiffre déclaré à un siècle d'intervalle, en 1667(3), puis vers 1750(4). Il y eut même, en 1729,

(1) T. I, p. 373.

(2) 1 sér., t. Ier, p. 163.

(3) Déclaration déjà citée.

Il y avait, en outre, quatre novices.

(4) État des communautés religieuses de femmes du diocèse de Rouen. (Arch. de la S.-Inf., G. 5516.)

jusqu'à trente-neuf religieuses (1), mais elles n'étaient plus que vingt-deux en 1791 (2).

Ainsi qu'on l'a expliqué plus haut, personne ne pouvait pénétrer dans le monastère, sauf le visiteur, le supérieur, les confesseurs et le médecin. Les termes du bref d'Alexandre VII sont très rigoureux à cet égard: « Nous défendons à notre nonce, à tous primats, archevêques, visiteurs, etc., de permettre en façon quelconque l'entrée des dits monastères à aucunes femmes, de quelque état, degré, dignité et qualité qu'elles soient, même princesses. » Le parloir était le lieu où les religieuses recevaient les visites ordinaires, derrière la grille et sans être vues. Le même pape s'est montré si préoccupé d'assurer l'exacte observation de la règle et le maintien de l'esprit de solitude auquel la sainte fondatrice de l'Ordre attachait tant de prix qu'il a cru devoir défendre aux carmélites d'élever ou d'instruire les jeunes filles (3).

Il serait également intéressant de jeter un coup d'œil sur les usages des carmélites en ce qui touche la liturgie, les cérémonies religieuses et la récitation de l'office divin. Ces usages étaient, croyons-nous, ceux en vigueur dans tout l'Ordre des carmes. Mais nous ne saurions sans témérité aborder ce côté de la question. Nous nous contenterons de signaler la coutume qui veut que le corps des religieuses décédées reste exposé, le visage découvert et les pieds nus, pendant toute la durée de la cérémonie funèbre et jusqu'au moment de l'inhumation, où a lieu seulement la mise en bière. Ce détail, entre beaucoup d'autres, suffit à montrer que des recherches sur la liturgie du Carmel seraient dignes de tenter un ecclésiastique érudit (4).

La célébration des offices, et en particulier des offices funèbres, était soigneusement réservée aux ecclésiastiques attachés à la

(1) Dont huit converses. - Déclaration du temporel. (Arch. de la S.-Inf., G. 5530.)

(2) Les carmélites de Rouen étaient au nombre de 45 vers 1750, de 27 seulement en 1790. Au monastère de Pontoise il y avait à la fin du xvir siècle 37 religieuses, 35 en 1730 et en 1758, 33 en 1764.

(3) Chron., t. I, p. 281.

(4) Dans le recueil de la correspondance adressée à Pierre Séguier (t. XXIX et XXX), figurent une trentaine de lettres émanées en 1659 de plusieurs monastères français de carmélites, dont les prieures prient le chancelier de lever la saisie, faite nous ne savons pourquoi, d'un Cérémonial sous presse à l'usage de l'Ordre. — Nous pouvons signaler, en outre, dans le ms. fr. 17719 de la Bibliothèque nationale, un mémoire manuscrit du xvIe siècle, intitulé: Observations sur les offices propres des carmélites. Il y est question, fol. 417, d'un Propre de l'Ordre dont la cinquième édition en France porte la date de 1705.

communauté. Le 3 octobre 1672, en rédigeant l'acte d'inhumation de Nicolas Huet, confesseur des carmélites, le curé de Gisors (1) s'exprime ainsi : « Le corps ayant posé premièrement dans nostre église parochialle, nous l'avons conduit avec notre clergé dans l'église des carmélites, où M. l'abbé de Villeterte a receu le dit corps, après luy avoir faict un compliment en latin, comme il se pratique en pareilles occasions. »(2) Un document de 1712 est plus explicite encore. Le duc d'Albe, ambassadeur de Philippe V, meurt à Paris; le corps est déposé provisoirement chez les carmélites du faubourg Saint-Germain, et le curé de Saint-Sulpice reconnaît que son devoir, dans la circonstance, est uniquement de « déposer le corps dans la nef, d'y chanter un De profundis et prières ordinaires, puis se retirer avec son clergé, laissant faire le reste de la cérémonie au supérieur ou chapelain de la communauté. » (3) Deux arrêts du parlement de Rouen, des 26 juin 1654 et 14 octobre 1684, sont rendus dans ce sens (4). Il était, d'ailleurs, de jurisprudence que les corps des défunts, en quelque endroit qu'on dût les inhumer, fussent portés d'abord à l'église de la paroisse (5). Par contre, en deçà de la clôture monastique, le clergé paroissial reprend tous ses droits : les tourières, les domestiques, les chapelains même du couvent sont des paroissiens comme les autres; ils doivent faire leurs pâques à l'église paroissiale, et leurs funérailles ne peuvent être célébrées ailleurs (6). En 1745, Guillaume de l'Isle d'Ormeau, curé de Gisors, put faire condamner les prétentions des annonciades qui avaient inhumé leur tourière sans y appeler le clergé de l'église Saint-Gervais et Saint-Protais (7).

Ces droits jalousement gardés de part et d'autre furent un jour la cause d'un véritable scandale. On vit le chapelain des carmélites, nommé Gossard, s'opposer avec violence à ce que le curé Henry Thomas de Saint-André donnàt la bénédiction du Saint-Sacrement dans la chapelle du monastère, bien qu'il y fût autorisé par la prieure. C'était le jour de l'Ascension, 1er mai 1704. Selon l'usage suivi chaque année, la procession s'était rendue aux Carmélites, et, comme la fête, cette année-là, tombait le premier jeudi du mois, jour où les religieuses ont coutume de faire exposer le SaintSacrement, il avait été convenu que le curé donnerait le salut.

(1) Nicolas Thomas de Saint-André.

(2) État-civil de Gisors.

(3) Jal, Dictionn. critique de biographie et d'histoire, p. 21.

(4) Mém. du clergé, t. II, p. 495.

(5) Arrêt du parlement de Paris du 25 janvier 1669.

(6) Arrêt du parlement de Paris du 5 mai 1689. (Mém. du clergé, t. II, p. 474.)

(7) Sentence du lieutenant général civil au bailliage de Gisors, rendue le 18 janvier 1745. (Grosse. Arch. de l'église de Gisors.)

Sévèrement réprimandé, le chapelain dut faire des excuses, et les bonnes relations des carmélites et du curé de Gisors ne furent pas altérées par ce fâcheux incident(1).

Comme toutes les communautés religieuses, les carmélites avaient droit à des cimetières particuliers. A Gisors, cependant, la plupart des inhumations paraissent avoir eu lieu dans le cloître : la sépulture dans le chapitre était réservée aux prieures, la sépulture dans l'église aux bienfaiteurs insignes et aux grands personnages. Sous ce rapport, d'ailleurs, le couvent de Gisors ne jouissait pas, si l'on peut s'exprimer ainsi, de la réputation de celui de Pontoise, auquel échut souvent le privilège de donner la sépulture aux morts les plus illustres. Le registre des inhumations dans le couvent de Gisors ne nous a malheureusement été conservé que pour une période assez restreinte (1736-1772) (2), et il ne subsiste que deux pierres tumulaires de toutes celles qui pavaient autrefois le cloître et le chapitre.

L'une d'elles fournit un exemple de la manière dont étaient rédigées les épitaphes des religieuses :

Cy Git St. Agnes de
l'enfant Jefus profeffe
de ce Monaftere Aagee
de 63. ans 5 mois et de
Religion 4 et 8 mois.
elle eft pacée de cet-
te vie à l'efternelle le
6o. Nouembre 1665.

Priez Pour fon Ame(3)

(1) Le lendemain même, 2 mai, Henry Thomas de Saint-André avait à tout hasard consigné ses déclarations par devant notaire. Le brevet de ce procès-verbal, dressé par Pierre Hère, notaire à Gisors, existe dans les archives de l'église et porte une note de la main de Saint-André, ainsi conçue : « Devant les missionnaires et tout le clergé assemblé au presbitère, - (la procession avait été plus solennelle que de coutume, à, cause d'une mission qui se prêchait dans la paroisse,) le s Gossard, chapelain des carmélites, a réparé sa faute. »>

(2) Arch. de l'Eure, H. 1514.

(3) Pierre. Hauteur: 55 centimètres; largeur: 46 cent. (Musée de Gisors.)

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