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ans, aussi bien qu'à Besançon, en Franche Comté, où il a establi le séminaire des ecclésiastiques; et nostre Ordre lui est redevable d'avoir contribué à réunir les cinq couvents de cette province à la conduite de France. Que ne vous dirons-nous pas de son amour pour l'auguste sacrement de nos autels? Le magnifique tabernacle qu'il nous a donné, et l'ornement de nostre autel, en sera une preuve éternelle... »

L'abbé de la Villetertre est l'auteur d'une Vie de mademoiselle de Buhy, sa cousine, Marie de Mornay, morte en odeur de sainteté le 11 avril 1664(1). Il publia, en outre, sur l'histoire de sa famille, un livre intitulé: Vies de plusieurs anciens seigneurs de la maison de Mornay, avec leur généalogie (2), dans lequel est réimprimée la Vie de mademoiselle de Buhy; mais cet ouvrage demeura inachevé, et nous avons lieu de le regretter, car le « sommaire », seule partie parue du tome second, annonce que l'auteur se proposait d'y traiter, entre autres choses, « de la branche de la Villetertre et de quelques circonstances de la vie de madame de Labeville, épouse de René de Mornay, seigneur de Labeville et de la Villetertre. »

Les supérieurs locaux étaient élus tous les trois ans et indéfiniment rééligibles. Le chapitre qui procédait à cette élection se composait de la prieure, — qui avait droit à deux voix, — de la sousprieure, des deux dépositaires et de deux religieuses déléguées par la communauté. Le résultat du scrutin devait être soumis à la ratification du nonce ou de l'ordinaire du lieu, comme délégué du Saint-Siège.

« Les supérieurs avaient le pouvoir de recevoir et d'admettre les religieuses à l'habit et à la profession, de présider aux élections de la prieure et des officières, de donner les congés et obédiences nécessaires, de veiller à l'observation de la discipline et des constitutions. Il leur était néanmoins interdit de s'ingérer directement ou indirectement dans la visite et autres fonctions appartenant au visiteur général, de même que celui-ci devait laisser toute liberté d'action au supérieur local dans la limite de ses attributions. Si les religieuses avaient à se plaindre du supérieur élu par elles, pour excès ou abus de pouvoir, elles avaient le droit de recours au visiteur général, qui reprenait alors la plénitude de juridiction et révoquait, le cas échéant, tous les actes abusifs. » (3)

(1) Paris, 1685, in-12.

(2) Paris, 1689, in-4°.

(3) Chron., 2o sér., t. II, p. 55. Cette deuxième série des Chroniques comprend l'histoire des monastères au XIXe siècle, précédée pour chacun d'eux d'un coup d'œil sur les événements accomplis dans les dernières années de l'ancien régime et pendant la période révolutionnaire. Elle forme quatre volumes, publiés à Poitiers en 1887, 1888 et 1889.

Chaque monastère avait à sa tête une prieure et une sous-prieure, élues de trois en trois ans, au suffrage secret, par toutes les religieuses, réunies sous la présidence du supérieur ou d'un visiteur. Les pouvoirs de la prieure et de la sous-prieure étaient renouvelables pour un second « triennat », mais la prieure sortant de charge ne pouvait être immédiatement choisie comme sous-prieure.

A la prieure appartenait le gouvernement intérieur de la maison. Elle veillait à l'exacte observation de la règle et au maintien de la discipline, choisissait et révoquait les confesseurs ou directeurs, les prédicateurs, les sacristains, la maîtresse des novices, les zélatrices et les tourières, sans être tenue de prendre l'avis du supérieur, sauf en ce qui concerne le choix des confesseurs; c'était à elle, enfin, qu'il appartenait d'ordonner la dépense du monastère.

En cas d'absence ou d'empêchement, elle était suppléée par la sous-prieure, dont les fonctions, en temps ordinaire, comprenaient exclusivement le soin du chœur et la direction de l'office divin.

A la prieure et à la sous-prieure étaient adjointes deux dépositaires, élues comme elles tous les trois ans par la communauté. Les dépositaires avaient la charge des écritures et la garde du trésor et des archives, conservés dans un coffre fermant à trois clefs, dont deux leur étaient confiées et la troisième remise à la prieure. Les dépositaires avaient, en outre, à examiner les comptes de la receveuse ou tourière principale, dans les attributions de laquelle entrait le soin d'acheter les objets usuels nécessaires à la communauté. Tous les comptes d'ailleurs étaient soumis sans distinction à l'approbation du visiteur. Quant aux actes et contrats divers, authentiques ou sous seings privés, ils devaient, pour être valables, porter les signatures de la prieure, de la sous-prieure et des deux dépositaires.

Tout le monde connaît, au moins par ouï dire, l'austérité de la vie des carmélites. Quelques-unes des prescriptions de la règle sont particulièrement pénibles à suivre sous notre climat humide et froid, entre autres l'interdiction d'allumer du feu ailleurs qu'à la cuisine et dans un chauffoir commun, où les religieuses ne passent d'ailleurs que quelques instants. Cependant, aujourd'hui encore, les carmélites observent avec un tel scrupule la constitution laissée par leur sainte fondatrice qu'il faut, en cas d'extrême nécessité, les injonctions les plus formelles de leurs supérieurs pour les décider à l'enfreindre sur ce point comme sur tous les autres.

En prononçant leurs vœux, les carmélites abandonnent toute volonté individuelle. Elles ne peuvent rien donner ni recevoir sans

l'autorisation de la prieure, et il leur est interdit de posséder quoi que ce soit en propre. « Pour cela, disent les constitutions (1), il faut que la prieure ait grand soin, quand elle verra quelqu'une des sœurs affectionnée à quelque chose, soit livre, soit cellule ou autre chose, de lui ôter... » Les lettres qu'elles reçoivent et celles qu'elles envoient doivent être lues par la prieure.

Le silence est de règle, sauf, après les repas, quelques instants consacrés à la récréation et pendant lesquels il faut toujours s'occuper à un travail manuel. Lorsque les religieuses ne sont pas en communauté ou aux offices, il leur est défendu de quitter leurs cellules, à moins que la prieure n'ait permis l'oraison en l'un des « ermitages >> disposés dans l'enclos du monastère. De plus, elles ne peuvent, sans autorisation, entrer dans la cellule l'une de l'autre. Quant à la promenade dans les jardins, elle n'a lieu que les dimanches et jours de fête et, à moins de circonstances exceptionnelles, elle doit toujours être silencieuse.

En ce qui concerne la nourriture, voici les prescriptions de la règle: prohibition complète de l'usage de la viande, en dehors du cas de maladie; jeûne obligatoire depuis le jour de l'Exaltation de la sainte Croix (14 septembre) jusqu'à Pâques, les dimanches seuls exceptés; interdiction de l'usage des œufs et du laitage les vendredis (excepté les vendredis compris entre Pâques et la Pentecôte) et les jours où le jeûne est ordonné par l'Église. On nous saura gré de noter ici que, par un touchant respect des usages du temps de sainte Thérèse, époque où la fourchette était considérée comme un objet de luxe, les carmélites ne se servent pour manger que de rustiques cuillers de buis.

Le vêtement des carmélites est fait d'une étoffe grossière de couleur brune. Il comprend une robe et un scapulaire, sur lesquels est jeté un petit voile formant coiffure, de couleur noire pour les professes, de couleur blanche pour les novices et les converses. Pour se rendre au choeur, les jours de fête, les religieuses prennent, en outre, un grand manteau blanc, et elles ajoutent à leur costume un long voile noir lorsque le rideau qui double la grille du chœur est ouvert, comme pendant les cérémonies de vêture et de profession, ou quand il y a nécessité d'admettre dans la clôture quelqu'un du dehors (aumônier allant administrer les derniers sacrements, médecin, ouvriers, etc.). Les bas sont aussi d'étoffe grossière et les chaussures se composent de souliers ou sandales de corde, qui conservent leur nom espagnol d'alpargates. Le coucher comprend simplement une paillasse posée sur des châssis de bois, un traversin et des draps de laine. L'usage des draps de toile n'est permis qu'à

(1) Ch. VII, art. 4.

l'infirmerie. Les cheveux sont coupés, « pour ne perdre le temps à les peigner. » Enfin, « jamais de miroir, ni chose curieuse, ains tout mépris de soi. » (1)

En dehors des prérogatives conférées par élection, l'égalité la plus parfaite règne entre toutes les religieuses. « Il ne faut rien davantage à la prieure, ni aux anciennes qu'aux autres, » disent les constitutions, « mais seulement avoir égard aux besoins et à l'âge. » (Ch. XI, art. 2.) L'article suivant est empreint du même esprit : « Que l'on n'use jamais envers la prieure ni aucune autre de ces mots: Don, ni Madame, ni de Seigneurie; mais que l'on prenne des termes humbles. Les prieure, sous-prieure et celles qui auront été prieures s'appelleront Mères, et les autres Sœurs. »

A l'exception de leur père, de leur mère et de leurs frères, sœurs et belles-sœurs, les carmélites ne voient personne sans voile. D'ailleurs, à moins qu'il ne s'agisse d' « affaires de l'âme », elles ne vont jamais au parloir qu'en présence d'une autre religieuse. Le confesseur et le médecin ne peuvent entrer dans la clôture sans être accompagnés de deux sœurs (2), et le visiteur lui-même doit se faire suivre partout d'un compagnon. Enfin, personne, hormis les religieuses, ne peut manger dans le monastère.

Passé le temps des exercices et des offices, les carmélites ont la faculté de s'occuper à quelque travail de couture ou autre. C'était et c'est encore un moyen d'augmenter quelque peu, en cas de besoin, les ressources de la communauté ; mais la règle recommande (ch. IX, art. 1er) de ne point faire « d'ouvrage curieux », de ne travailler « ni d'or, ni d'argent. » Elle ajoute : « Que l'on ne conteste pour ce que l'on voudra avoir en vendant son ouvrage, mais que l'on en prenne simplement ce que l'on en donnera. » Un autre article veut « que l'on ne baille jamais de tâche aux sœurs, mais que chacune essaie de travailler afin que les autres soient nourries. »

Nous n'avons que fort peu de renseignements sur les travaux manuels exécutés dans le couvent de Gisors. Les archives de l'église paroissiale ont été seules à nous fournir à cet égard quelques rares indications. C'est ainsi que nous avons trouvé le paiement suivant mentionné dans le compte des trésoriers en 1711-1712(3): « A sœur Louise de Jésus, carmélite du couvent de Gisors, la somme de six livres, pour la façon de deux chasubles qu'elles a faites pour l'église. » Précédemment, les religieuses avaient travaillé aux étoffes du pavillon qui abritait le saint ciboire dans le tabernacle de pierre

(1) Ch. VIII, art. 6 et 7.

(2) D'ailleurs, en dehors du cas de maladie, le confesseur n'a pas à entrer dans la clôture; il entend les religieuses par une ouverture ménagée habituellement dans le mur de la sacristie, ouverture munie de deux grilles et d'un voile.

(3) Fol. 21.

voisin du maître-autel: « Au mois de juillet 1704,» lisons-nous dans une note du curé Henry Thomas de Saint-André(1), « les dames carmélites ont raccommodé le tabernacle qui sert à reposer le Saint Sacrement; elles en ont rebrodé et augmenté les ornemens avec zèle pour la paroisse.»>

Parmi les mortifications régulièrement imposées aux religieuses figure la « discipline de verges », que l'on doit « prendre à certains jours, « pour l'augmentation de la foi, pour la vie et États de nos princes souverains, pour les bienfaiteurs, pour les âmes du Purgatoire, pour les captifs, pour ceux qui sont en péché mortel, et ce durant un psaume Miserere. »(2)

Une fois par semaine, les sœurs se réunissent dans la salle capitulaire pour y tenir ce que les constitutions appellent le « chapitre des coulpes ». Elles s'y confessent de leurs propres infractions à la règle, infractions que la prieure punit suivant la gravité. Les punitions infligées ressemblent beaucoup à celles naguère en usage dans nos établissements d'éducation.

Il faut aussi parler de l'entrée en religion. Les novices ne peuvent se présenter avant l'âge de dix-sept ans. L'usage veut qu'elles apportent une dot, laquelle profite à la communauté; mais les constitutions ordonnent expressément d'admettre les novices même si elles ne peuvent rien donner. Le noviciat est précédé d'un postulat de trois mois, à l'expiration duquel la postulante reçoit l'habit et le voile blanc (3). Quant au noviciat proprement dit, il doit durer au moins un an, et plusieurs années peuvent même quelquefois s'écouler avant que la novice soit admise, après s'y être préparée par une retraite de dix jours, à prononcer les vœux solennels et à prendre le voile noir. Cette admission est subordonnée d'abord au suffrage secret des religieuses composant le chapitre, puis au résultat d'un examen canonique auquel procède le supérieur du monastère ou son délégué. Cet examen, destiné à constater la réalité de la vocation et la libre détermination de la future professe, doit être passé hors des lieux claustraux, en l'absence de la prieure et des autres religieuses, afin de laisser la plus complète indépendance à la novice qui va contracter des engagements éternels.

Un jour, en 1678, le supérieur des carmélites, M. Mallet, vicaire général de Rouen, se fit suppléer, dans une circonstance de ce

(1) Au dos d'une lettre à lui adressée par la prieure Jeanne de la Mère de Dieu le 22 août 1705. (Arch. de l'église de Gisors.)

(2) Ch. XI, n 6.

(3) Le nom de religion, choisi dès l'entrée au couvent, n'est, par extraordinaire, l'objet d'aucune consécration.

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