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et bientôt après, la tête du pont une fois enlevée vers Saint-Ouen, passaient l'Oise sur un pont de bateaux jeté en face Saint-Martin, à peu près au point où s'effectuait l'ancien passage de l'antique Isarobriva Veliocassorum, et construisaient bastille contre rempart, créant de toutes pièces, face à la Viosne, la bastille Saint-Martin, qui allait devenir le centre de toute l'offensive française.

Je ne peux songer ici à raconter cette mémorable opération de guerre, les retours compliqués d'attaque et de défensive subis par l'armée royale, assaillante et investie tour à tour. Cinq fois, comme le fait est acquis, Pontoise fut ravitaillé par l'énergie obstinée de Talbot : un moment même, le siège fut virtuellement levé. Sans l'héroïsme des défenseurs de la bastille Saint-Martin, un instant noyés sous le flot d'une nouvelle invasion, le succès, cette fois encore, aurait échappé à la cause de l'indépendance nationale.

Vers la fin de juin, lors du premier ravitaillement de la place, Talbot, au lieu de la garnison épuisée, met dans la ville une petite armée de 1,500 hommes, composée de plusieurs compagnies dont les chefs semblent avoir reconnu l'autorité suprême de Thomas Scales, qui paraît avoir ainsi exercé en fait les fonctions de commandant anglais de Pontoise.

C'était un des plus importants personnages de la conquête. Passé en France vers 1422 seulement, devenu possesseur de la seigneurie normande de Nucelles, il avait fondé sa réputation en Basse Normandie, aux sièges de Saint-James et de Pontorson. Devant Orléans, il avait été l'un des trois chefs de l'armée assiégeante. Sénéchal de Normandie, vidame de Chartres, il représentait un des hommes de guerre les plus éprouvés du système et de la race conquérante.

Il devait périr de sinistre façon. Après la fin des luttes de France, engagé, dans la guerre des Deux Roses, sous l'étendard du parti de Lancastre, il se trouvait, au cours d'un des nombreux revers de fortune subis par la Rose Rouge, cerné et assiégé dans la Tour de Londres. Ayant pu capituler, la vie sauve, il descendait la Tamise en canot, lorsqu'il fut attaqué, sur la rive gauche du fleuve, dans la région de Southwark et de Whitechapel, par les mariniers du fleuve, dont certains de ses actes lui avaient attiré la rancune. La Tamise rejeta son corps sur la rive de Southwark, où il demeura longtemps, exposé à toutes les insultes. Telle fut la fin tragique de l'avant-dernier capitaine anglais de Pontoise.

Thomas Scales, ainsi investi du commandement, vit la ville une seconde fois ravitaillée par Talbot, puis se dérouler les événements singuliers qui marquent la seconde phase du siège,

je veux dire l'arrivée de la grande armée anglaise de secours, sous le commandement du duc d'York, prince du sang d'Angleterre, le père du futur Richard III, ses manœuvres sur le plateau du Vexin vers Hérouville, le forcement du passage de l'Oise, opéré par une feinte habile du duc d'York, bien au-dessus de Pontoise et de Beaumont, en face Royaumont, Charles VII délogé de Maubuisson et fuyant à Poissy, enfin, par une série d'incidents inespérés, les forces anglaises se dissolvant d'elles-mêmes, au début d'août, après quinze jours de triomphe éphémère, rentrant en Normandie et laissant de nouveau le champ libre aux assiégeants qui n'avaient pas quitté la bastille Saint-Martin, et que le roi venait bientôt rejoindre en réoccupant Maubuisson.

Au quatrième ravitaillement de la place investie presqu'immédiatement organisé par Talbot, Thomas Scales, vers la mi-août, fut remplacé par un personnage que les textes connus permettent seulement de désigner sous le nom de Clifton. Le fait est acquis, et par le texte de Jean Chartier qui le présente, avec une légère défiguration de nom, comme capitaine de la place au moment de l'assaut final, et par les pièces de comptabilité anglaise, qui, entre le 19 août et le 21 septembre, le désignent comme assiégé dans Pontoise, ravitaillé une cinquième fois et attendant fébrilement des troupes fraîches pour prolonger la résistance.

C'est Clifton qui vit donc s'accomplir l'événement qui rendit pour toujours Pontoise à la France, d'abord l'assaut du 16 septembre aux ouvrages fortifiés de Notre-Dame, puis celui du 19, conduit par le roi en personne, à la tour du Friche, à l'angle de la berge de l'Oise et de la décharge de l'étang de la Viosne, maîtresses positions de l'enceinte que l'héroïsme de deux simples combattants, Jean Becquet, de Rouen, et Étienne Guillier, de Brie, les premiers montés à l'assaut, écrasant les Anglais sous les pierres arrachées des créneaux, enlevèrent de façon si vaillante et si légendaire. Clifton, dans une des péripéties de l'attaque, fut pris la vie sauve, tandis qu'à ses côtés périssait un grand dignitaire anglais, tombé naguère en disgrâce, Nicholas Burdett, ancien grand bouteiller de Normandie, jadis bailli de Cotentin, autrefois commandant en chef de l'armée assiégeante du Mont Saint-Michel, alors fait prisonnier sur les grèves entre Avranches et Tombelaine, et destiné à trouver la mort dans la dernière phase du siège de Pontoise, dans cette lutte corps à corps où l'Angleterre perdait une des clefs du pays normand, dans un prélude indiqué de l'expulsion définitive de l'étranger et de la libération du sol national.

Arrêtons-nous ici, au moment où le roi Charles VII, les plaques

de son armure bossuées des chocs de l'assaut, met pied à terre devant le portail de Saint-Maclou, et, aux cris d'enthousiasme du peuple et de l'armée, vient plier le genou devant le sanctuaire.

Là se limite tout naturellement le cadre des événements que cet entretien avait à retracer. Notre cité est désormais rendue à ses destinées naturelles. Les couleurs de France flottent partout sur ses remparts, de la tour du Friche à la porte d'Ennery. Dans tout le demeurant de son histoire, elle n'en connaîtra plus d'autres.

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Et remémorons-nous l'une des strophes de la ballade populaire, que l'impression de cet événement, passé tout de suite dans la légende, fit jaillir de l'imagination d'un poète contemporain, en jet savoureux et dru qui porte bien l'expression spontanée des sentiments de tout un peuple :

Entre vous, Anglois et Normands,
Estans léans dedens Pontoise,
Fuyez vous-en, prenez les champs,
Oubliez la rivière d'Oise,
Et retournez à la cervoise

De quoy vous estes tous nourris,
Sanglans, puans, lépreux pourris!

CONTRIBUTIONS

à l'histoire de Saint-Germain-en-Laye

Jacques II Stuart, sa famille et les Jacobites à SaintGermain-en-Laye, par J. Dulon. - Saint-Germain, libr. Levêque, 1897, un vol. in-16 de 128 p.

M

J. Dulon, auteur de divers ouvrages historiques sur le Commingeois, la Guyenne, le Lyonnais et le Périgord, s'attache depuis quelques années à reconstituer, par une série de monographies, l'histoire de Saint-Germain-en-Laye, où il a établi sa résidence. L'ouvrage dont le titre précède fait suite à deux publications antérieures sur l'Église paroissiale de SaintGermain et sur les Maires de la ville. Il prépare un Historique des Rues et des anciens Hôtels.

Ses recherches sont méthodiques et consciencieuses; les archives municipales, notariales, familiales, les registres de catholicité, sont dépouillés avec soin; il ne néglige pas, bien entendu, les documents imprimés. C'est ainsi qu'après avoir résumé les récits des mémorialistes sur l'arrivée à Saint-Germain de Jacques II, de la reine Marie d'Este et de leurs fidèles, après leur expulsion d'Angleterre, il a retrouvé sur le séjour de ces hôtes du Grand Roi au Châteauvieux de nombreux et piquants détails, et pu reconstituer entièrement la composition de la Cour de ces Rois en exil. Après les avoir suivis

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