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ciation des Parisiens Pri se rapprochait davantage de Priscum que celle des Auxerrois Pré. On nous révèle, en les opposant, deux usages. Il y avait mieux à dire, ce me semble la Gazette de 1662, journal destiné aux lecteurs de tout le royaume, indiquait évidemment le mode de francisation le plus notoire. Pourquoi ne pas l'invoquer? Cependant, et sans vouloir insister sur la question plus qu'il ne convient, il semble que saint Prix comme saint Prex ne fussent plus que des traductions populaires et vieillies de sanctus Priscus. Déjà la forme savante saint Prisque avait pris dans la littérature hagiographique un avantage qu'elle a vu confirmer de nos jours. Le Nain de Tillemont (1) nomme saint Prisque d'Auxerre; Adrien Baillet (2) parle de « saint Prisque, que le vulgaire appelle saint Prex, au lieu de saint Presc, et saint Prix, au lieu de saint Prisc... » Les Vies des Saints réimprimées de nos jours, d'après Alban Butler et Godescard (3), portent cette note: « Saint Prisque est nommé saint Prix ou saint Prex [alias saint Pret] dans l'Auxerrois ».

A propos de la forme saint Prex, usitée au xviie siècle, nous a-t-on dit, parmi le peuple de Bourgogne, je détournerai le lecteur de croire que la renommée de sanctus Priscus a pu franchir le Jura et se perpétuer dans le nom identique d'un village des bords. du Léman : Saint-Prex, situé dans le district de Morges et à une lieue de cette ville. D'après le Cartulaire de Lausanne, ce bourg, qui s'appelait anciennement Basuges, a pris le nom de l'évêque Saint Prothais (sancti Protasii villa) depuis que, étant mort subitement dans les environs, son corps fut porté dans une chapelle de Basuges, où l'on érigea un autel en son honneur. Là encore le vocable passa de l'église au village, et sanctus Protasius se changea topographiquement en Saint-Prex (4). J'ai vu une lettre de SainteBeuve, où il émet l'idée que, de Saint-Prex combiné avec Montreux, J.-J. Rousseau a tiré Saint-Preux, le nom du héros de la Nouvelle Héloïse.

Je laisserai sanctus Priscus après cette dernière remarque: une circonstance a pu, dans l'Auxerrois, pousser à l'homonymie fran

(1) Histoire des Empereurs et des autres princes qui ont régné pendant les six premiers siècles de l'Eglise. Paris, 1692-1738, 6 vol. in-8o, III, 543.

(2) Les Vies des Saints... Paris, 1701, 12 vol. in-8°, V, 837.

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(3) Vies des Saints d'Alban Butler et de Godescard avec le martyrologe romain, Lille, Lefort, 1856, 11 vol. in-8°, IV, 478. Un Office pour la fête de Saint-Prest, martyr, imprimé à Chartres en 1841, sans nom d'auteur, mais dû à la plume du cardinal évêque de Poitiers, Mer Pie, porte au sujet de Saint-Prest : « Il s'appelait Priscus, et il est connu sous les noms de saint Prisque, saint Prest, saint Prix ou saint Bry.» (Page 4.)

(4) Martignies et de Crousaz, Dictionnaire du canton de Vaud.

çaise des deux saints: c'est le rapprochement de leurs reliques. Celles de sanctus Priscus, on l'a vu, restèrent en grande partie dans la région où s'accomplit son martyre. Pour celles de sanctus Projectus, il faut savoir qu'elles reposèrent dans le monastère de Volvic, jusqu'au règne de Pépin, où elles furent transportées à Flavigny; une part notable en fut plus tard attribuée au monastère de Saint-Prix, près de Saint-Quentin (1). Or, Flavigny n'est pas distant de Saint-Bris de plus de vingt-cinq lieues; il arriva que les mêmes pèlerins visitèrent souvent leurs sanctuaires, et y révérèrent deux saint Prix, dont la plupart sans doute ne firent qu'un seul (2).

Nous avons dit que sanctus Projectus pouvait aboutir normalement à saint Pris ou à saint Prit. Les autres formes sont sans doute moins des dérivations que des altérations du vocable originel; la phonétique des noms propres n'est pas assurée comme celle des noms communs. Saint-Pris a triomphé, moins que SaintPriest, avec l'orthographe fautive Saint-Prix. Quant à SaintPrit, aucun lieu n'a retenu ce nom, auquel aurait dû conduire Saint-Prist, usité dans l'Aisne à la fin du xvre siècle. Je n'en connais qu'un emploi, non dans la topographie, mais en poésie, à titre de licence, que se permit un homme qui ne les aimait guère. Oui, Saint-Prit s'imposa pour la rime à Boileau lui-même, malgré sa fière déclaration :

La rime est une esclave et ne doit qu'obéir.

Il avait composé le récit en vers d'un voyage dans la vallée de Montmorency, où il venait voir la nièce d'un prieur de Saint-Prix, Mlle Poncher de Bertouville, pour laquelle il avait de l'inclination. De ce poème, condamné à l'oubli par ses amis, il avait toutefois conservé quelques fragments, celui-ci entre autres :

J'ai beau m'en aller à Saint-Prit;
Ce saint, qui de tous maux guérit,

Ne saurait me guérir de mon amour extrême.
Belle Philis, il le faut avouer :

Si vous ne prenez soin de me guérir vous-même,
Je ne sais plus du tout à quel saint me vouer.

Boileau, en écrivant ce madrigal, était sur la pente des

(1) Il y eut, à Saint-Quentin, une abbaye de Saint-Prix, très célèbre, ruinée pendant le siège de cette ville, en 1557.

(2) Mabillon, Acta sanct., S. B., II, 651. De simples fragments de ces reliques furent dispersés en nombre d'endroits. Outre l'église Saint-Sauveur, déjà nommée, nous pouvons citer comme en ayant possédé : l'église collégiale de Saint-Etiennedes-Grez (Gauthier [l'abbé], Pouillé du diocèse de Versailles, Paris, Palmé, 1876, in-4°, p. 187); l'église de Fontenay-aux-Roses (Lebeuf, IX, 396); l'église de SaintMaur-des-Fossés (Lebeuf, V, 126); l'église de Villejust; l'abbaye de Maubuisson (Dutilleux et Depoin, l'Abbaye de Maubuisson, Pontoise, 4 vol. in-4o, I, 168).

dérèglements; il pensa glisser jusqu'à la licence poétique; mais admirez comme la droiture de ses instincts préserva l'homme et le poète des suites de l'aventure. Son amour ne passa point les soupirs; la sage Mile de Bertouville l'avait aidé à devenir prieur de SaintPaterne; il lui rendit honnêtement, pour qu'elle pût entrer en religion, les revenus du prieuré. Puis on vient de voir que la prétendue licence poétique Saint-Prit était absolument dans les traditions de la langue. Et ainsi arriva-t-il que, tandis que Despréaux se croyait hors de ses voies et oublieux de tous les principes, son apparent désordre tourna en exemple de morale et en leçon d'orthographe.

Cependant Saint-Prix fut la forme définitive; nulle variation phonétique ne prévalut contre elle. Exceptons l'assaut révolutionnaire qui, pour un temps très court, emporta le vocable entier, et où patronage et reliques faillirent périr à la fois. Les reliques d'abord le 25 octobre 1793, lorsque des gens du district de Pontoise vinrent, en conformité du décret du 10 septembre, enlever l'argenterie et les objets précieux jugés inutiles au culte, il y eut un commencement de sédition, un désordre au moins, auquel la prudence d'un maître d'école crut devoir dérober l'antique reliquaire. Le 21 mars 1794, les municipalités ayant été invitées à une persécution posthume contre les saints, et à substituer aux noms qui sentaient la superstition « des dénominations républicaines et conformes, soit à la liberté, soit à la position typographique [sic] du pays », il fut décidé que SaintPrix s'appellerait Bellevue-la-Forêt. Changement éphémère : l'ancien vocable reparut quelques mois après. Les reliques de saint Prix ne furent solennellement rétablies dans leurs honneurs que le 11 mai 1804.

Son patronage subsiste aussi bien, dans Seine-et-Oise, à Auvernaux et à Villejust (1). L'église de Bievre, qui porte aujourd'hui le nom de saint Martin, a porté jusqu'au xvre siècle les noms des saints Laurent et Préject (2).

(1) Gauthier (l'abbé), Pouillé du diocèse de Versailles, p. 187.

(2) Lebeuf, VIII, 412.

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LES CAPITAINES ANGLAIS

DE PONTOISE

COMMUNICATION PRÉSENTÉE

à l'Assemblée générale du 27 Mai 1901

PAR

M. GERMAIN LEFÈVRE-PONTALIS

Vice-Président de la Société

MESSIEURS,

E voudrais vous entretenir aujourd'hui, dans une simple causerie sans apprêt, où je souhaiterais ne pas mettre votre patience à trop longue épreuve, de quelques personnages mêlés étroitement aux annales de l'époque la plus inquiète et la plus lourde qui ait pesé sur notre cité. Le titre seul que je viens d'énoncer devant vous porte en lui, à cet égard, une suffisante éloquence, et me dispense de tout préambule. Les capitaines anglais de Pontoise! Ces mots discordants, extravagants presque, évoquent un temps qui ne fut que trop réel, par malheur, et dont les douloureux épisodes n'ont gravé dans notre histoire que trop de lancinants souvenirs. Ces noires années sont cependant de celles qu'il faut scruter sincèrement, d'une attention plus aiguë encore que les périodes de silence et de paix. C'est à ce voyage

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