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VI

LA RÉVOLUTION.

NATIONALE.

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LA FIN

LES BIENS ECCLÉSIASTIQUES DÉCLARÉS PROPRIÉTÉ Suppression des ordres religieux. - FORMALITÉS ORDONNÉES PAR LA LÉGISLATION NOUVELle. INCIDENTS (17911792): LA « SOCIÉTÉ DES AMIS DE LA CONSTITUTION »; LA CHAPELLE INTERDITE AU PUBLIC. ÉVACUATION DU MONASTÈRE. — DISPERSION DU MOBILIER. LES RELIGIEUSES EN 1793 ET 1794. NOUVEAUX INCIDENTS. LES RELIGIEUSES APRÈS LA RÉVOLUTION.

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..... Les députés des trois ordres de la nation, réunis le 5 mai 1789, opéraient la longue série des réformes auxquelles le roi les avait conviés. Leur travail excitait l'enthousiasme et l'admiration des uns, la défiance et la crainte des autres. L'élan unanime des premiers jours n'était déjà plus qu'un souvenir. Mais les représentants entendaient aller jusqu'au bout de leur mission: ils étaient résolus à changer la face de la France.

Parmi les problèmes auxquels les circonstances semblaient imposer d'avance une solution violente, la question religieuse ou plutôt la question des biens du clergé figurait au premier rang. L'idée de regarder comme une propriété publique les immenses richesses de l'Église comptait dans l'assemblée de nombreux partisans. Il fallait à la fois sauver le royaume de la banqueroute et mettre un terme à des abus scandaleux dont profitaient surtout les hauts dignitaires du clergé. On ne sut ou l'on ne voulut pas, malheureusement, apercevoir les bornes de la justice. Fidèle à sa politique de tout raser pour tout reconstruire, l'assemblée supprima. d'un seul coup et sans distinction les congrégations d'hommes, les abbayes qui n'abritaient plus que quelques rares religieux, les bénéfices sans charges d'âmes, et les communautés de femmes, les monastères où vivaient pieusement de nombreuses religieuses toujours fidèles à leur observance et dont les cahiers populaires n'avaient nulle part réclamé le sacrifice. L'universalité des ordres religieux était ainsi vouée à la mort pour expier des fautes dont le pouvoir civil devait, plus que tout autre, porter la lourde responsabilité.

Lui-même, d'ailleurs, avait, trente ans auparavant, donné le funeste exemple de ces mesures radicales. Il n'est pas douteux, en effet, que la suppression de la compagnie de Jésus en 1762 ait paru, aux yeux de bien des gens, autoriser dans une certaine mesure les expédients politiques de 1789. Un contemporain à l'esprit large, au jugement réfléchi, nullement hostile aux jésuites, mais ne dissimulant rien des défauts par lesquels ils s'étaient rendus insupportables, écrivait après la Révolution : « A la destruction des jésuites, on s'accoutuma à voir l'autorité séculière supprimer un ordre religieux et rendre au monde ceux que des vœux solennels en avaient séparés. On s'accoutuma à voir dépouiller des propriétaires ecclésiastiques, vendre leurs biens, les réduire à une pension modique, exiger des serments ou des formules équivalentes pour être payés, prononcer une déportation contre les réfractaires. On s'accoutuma à voir dissiper les bibliothèques, abattre ou profaner les églises, mettre à l'encan les pierres du sanctuaire, les ornements du prêtre, ceux du temple, tout ce qui sert au sacrifice... »(1)

Un décret du 28 octobre 1789(2), qui suspendait l'émission des vœux dans tous les monastères, provoqua les premières alarmes. A peine était-il publié que l'assemblée en prenait un autre, le 2 novembre(3), par lequel elle déclarait tous les « biens ecclésiastiques à la disposition de la nation, à la charge de pourvoir d'une manière convenable aux frais du culte, à l'entretien de ses ministres et au soulagement des pauvres. » Puis, on annonça bientôt la suppression imminente de plusieurs maisons religieuses, qui fut, en effet, ordonnée par un décret du 5 février 1790 (4). Les carmélites de Paris, menacées par ce projet, avaient envoyé à l'assemblée une adresse dans laquelle elles protestaient respectueusement, mais avec fermeté, contre ses décisions : « Nous regarderions, disaient-elles, comme l'oppression la plus injuste et la plus cruelle celle qui troublerait des asiles que nous avons toujours regardés comme sûrs et inviolables. » (5)

Le 13 février, l'assemblée rendit un nouveau décret, que Louis XVI promulgua par lettres patentes du 19. C'était, cette fois,

(1) Mémoires de l'abbé Baston, t. I, p. 138.

(2) Sanctionné par le roi le 1er novembre.

(3) Proclamation du roi du 4 novembre.

(4) Lettres patentes du 12 février. « Art. 4. Il est décrété et nous ordonnons, ex attendant des suppressions plus considérables, la suppression d'une maison de religieux de chaque ordre dans toute municipalité où il en existe deux; de deux maisons dans toute municipalité où il en existe trois; de trois dans toute municipalité où il en existe quatre. »

(5) Paris, imp. nat., s. d., in-8°. (Bibl. nat., Imp., Ld" 23.) Cette protestation a été publiée en partie par M. L. de la Brière dans son ouvrage récent sur Madame Louise de France, p. 392-393.

l'extinction totale des ordres monastiques. « La loi constitutionnelle du royaume ne reconnaîtra plus, dit l'article premier, de vœux monastiques solennels des personnes de l'un ni de l'autre sexe; en conséquence, les ordres et congrégations régulières dans lesquels on fait de semblables vœux sont et demeurent supprimés en France, sans qu'il puisse en être établi de semblables à l'avenir. » Les religieux et religieuses pouvaient dès ce moment sortir de leurs communautés, et il devait être « pourvu incessamment à leur sort par une pension convenable ». Si les religieux désiraient continuer la vie commune, ils étaient obligés de se retirer dans plusieurs maisons qui leur seraient désignées(1). Plus favorisées, les religieuses avaient la faculté de rester dans leurs monastères.

Au milieu de ces circonstances, les visiteurs du Carmel, MM. Rigaud, de Juge de Brassac et de Floirac, adressèrent le 12 mars à toutes les communautés une circulaire destinée à fortifier et à encourager les religieuses (3).

La sécularisation des biens monastiques comportait différentes mesures qui firent l'objet d'un décret des 20 février, 19 et 20 mars, sanctionné et promulgué par lettres patentes du 26. L'article cinq de ce décret est ainsi conçu : « Les officiers municipaux se transporteront, dans la huitaine de la publication des présentes, dans toutes les maisons des religieux de leur territoire, s'y feront représenter tous les registres et comptes de régie, les arrêteront et formeront un résultat des revenus et des époques de leur échéance. Ils dresseront sur papier libre et sans frais un état et description sommaire de l'argenterie, argent monnoyé, des effets de la sacristie, bibliothèque, livres, manuscrits, médailles, et du mobilier le plus précieux de la maison, en présence de tous les religieux, à la charge et garde desquels ils laisseront lesdits objets, et dont ils recevront les déclarations sur l'état actuel de leurs maisons, de leurs dettes mobilières et immobilières, et des titres qui les constatent. Les officiers municipaux dresseront aussi un état des religieux profès de chaque maison et de ceux qui sont affiliés, avec leur nom, leur âge et les places qu'ils occupent. Ils recevront la déclaration de ceux qui voudront s'expliquer sur leur intention de sortir des maisons de leur ordre ou d'y rester. »

Malgré le délai de huit jours fixé par le décret, ce fut seulement le vendredi 9 juillet, à neuf heures du matin, que la municipalité

(1) On sait que cette disposition ne fut pas maintenue.

(2) Chron., 2o sér., t. Ier, p. 9.

A

de Gisors se présenta chez les carmélites. La délégation se composait de MM. d'Hostel de Clémont, maire, Potin de la Mairie et Le Boullenger, officiers municipaux, ce dernier représentant le procureur de la commune, absent. Le procès-verbal fut dressé par Marin Dor, greffier en chef de l'élection, remplaçant le secrétaire municipal (1). Lecture des lettres patentes fut d'abord donnée en présence de toutes les religieuses. « En conséquence, dit le procès-verbal, nous nous sommes fait présenter les comptes de régie de la maison, que nous avons arrêtés, et il en résulte que le revenu annuel est de 10,135 1. 8 s., y compris la maison conventuelle, savoir: en biens fonds 7018 1. 8 s., et en rentes foncières et constituées 3117 1.; lequel revenu est grevé de 59 1. 3 s. de rente due à la fabrique de Boutencourt et rente seigneuriale pour cause dudit monastère; qu'elles n'ont d'autres dettes que celles pour la dépense courante de la maison, et que l'argent monnoyé consiste en une somme de 66 livres. >>

On passa ensuite à la description du mobilier. Elle commence par les objets garnissant l'église et la sacristie, laquelle était fort bien pourvue. Ce, document est d'une concision regrettable en ce qui concerne le mobilier de l'église, mais pour tout le reste il offre quelque intérêt, et nous croyons devoir le reproduire en majeure partie.

« Le grand autel, assez richement orné, une suspension de cuivre doré enfermée dans une cloche d'argent, dont la crosse est de cuivre doré, le saint ciboire d'argent doré, le tabernacle d'argent (2); dans l'église, six tableaux, et trois dans la sacristie du dehors.

« Dans la sacristie:

« Un soleil d'argent doré, deux saints ciboires d'argent doré, un autre très petit, de même matière, pour porter le Saint Sacrement aux malades; quatre calices d'argent, dont trois petits; trois paires de burettes d'argent, dont une extrêmement petite; un plat et une cuvette d'argent pour lesdites burettes; une croix d'argent, de la hauteur de trente pouces; une autre de reliques, enchâssée dans de l'argent doré, à pied d'ébène; une croix d'ébène, avec un Christ d'argent; un petit ascensoir (sic), un bénitier et un réchaud d'argent; douze chandeliers de cuivre, dont six argentés; une petite statue de sainte Thérèse, en argent, de douze à treize pouces de hauteur; une lampe très mince, deux très petits chandeliers, et deux boêtes d'argent pour les hosties.

(1) Orig. aux Arch. mun. de Gisors. (Inventaire du mobilier des maisons religieuses.)

(2) Nous reviendrons dans la description du monastère sur le maître-autel et ses accessoires.

« Seize paremens pour le grand autel, vingt pour les chapelles, cinq pour le choeur; quatre chapes, vingt dalmatiques, quarantetrois chasubles, avec les voiles et bourses.

« Environ soixante aubes, la plupart très usées; douze surplis, quatre rochets et autres linges nécessaires pour le service de l'autel, amicts, purificatoires, corporaux.

« Ladite sacristie garnie d'armoires nécessaires pour serrer le linge et les ornements. »

On compta dans la bibliothèque 1197 volumes de divers formats, « non reliés, — ouvrages de piété, livres de chœur, bréviaires. » — « Et ne s'y est trouvé aucun manuscrit intéressant. »

L'infirmerie renfermaita huit lits garnis d'une paillasse, d'un matelas, de vieux rideaux de bure; point de couverture. »

Dans la roberie se trouvaient les vêtements à l'usage des religieuses « tuniques de laine, voiles de nuit, toques et mouchoirs, — pouvant avoir chacune une douzaine de tout. » On y conservait aussi les « serviettes pour le réfectoire » et le « linge de cuisine ».

« Nous avons remarqué, disent plus loin les officiers municipaux, que chaque religieuse a sa cellule garnie de deux tréteaux de bois, de deux planches, d'une paillasse et deux couvertures. »

Ils notent ensuite dans la cuisine : « Marmites, casseroles de fonte, chaudrons de cuivre et vaisselle de terre ; » — dans la bassecour: « cinq vaches. »>

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Une chambre » est « garnie d'une vieille bergame, d'un lit à tenture de serge, d'un bas d'armoire, de quelques tableaux et chaises. >>

« Même ameublement chez M. le directeur(1).

« Un petit lit de domestique.

<< Deux mauvais lits chez les tourières. »

Le procès-verbal fait observer enfin qu'il existe « sept couverts d'argent à l'usage des étrangers ».

Avant de se retirer, les officiers municipaux constatèrent la présence dans le monastère de vingt et une religieuses de chœur et de cinq converses. Ils ne crurent pas devoir, ce jour-là, s'enquérir des intentions des religieuses quant à la faculté qui leur était donnée de quitter la maison. L'article trois du décret du 19 février permettant aux religieuses de rester dans leurs monastères fit juger sans doute toute question inutile, sinon déplacée.

Six mois se passèrent avant que les carmélites eussent à s'expliquer officiellement sur ce point. Leur réponse ne pouvait être douteuse. Le mardi 11 janvier 1791, elles comparurent une à une

(1) L'abbé Paulmier. Le chapelain Viel avait son logement indépendant du monastère.

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