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PROJET DE FONDATION

D'UNE

Bibliothèque communale à Meulan en 1789

D'APRÈS DES DOCUMENTS INÉDITS

la fin du XVIe siècle, alors que l'instruction, grâce à l'impulsion donnée par les États Généraux de

1789, se répandait dans les plus petites villes et villages, un enfant de Meulan, Jean Chevret, employé à la Bibliothèque du roi, auteur de plusieurs opuscules historiques, philosophiques et littéraires, comprenant que le livre est l'outil indispensable pour compléter et rendre profitables les connaissances acquises dans l'école, conçut le projet de créer une Bibliothèque communale dans sa ville natale.

Quoique ses intentions fussent fortement appuyées par quelques lettrés, néanmoins, avant de rien entreprendre, il crut devoir les soumettre à son compatriote, M. Levrier, lieutenant général au bailliage et président du Comité municipal, dont les conseils et la compétence devaient lui

servir de guide (1). En effet, celui-ci qui aimait les livres et qui avait analysé un grand nombre de documents précieux sur le Vexin, ne put moins faire que de l'encourager dans une résolution qui était appelée à rendre aux Meulanais les plus grands services, aussi bien au point de vue moral qu'au point de vue intellectuel.

En présence d'un appui aussi puissant, M. Jean Chevret n'eut plus aucune hésitation, et le 8 octobre 1789, il faisait parvenir à M. Levrier quelques ouvrages qui sont désignés dans la lettre d'envoi, laquelle est ainsi conçue :

Monsieur,

8 Octobre 1789.

Je suis on ne peut pas plus reconnaissant de l'exemplaire de votre discours au Comité, que M. votre frère a eu la complaisance de me remettre lui-même de votre part; je l'ai lu avec le plus grand plaisir ; la conduite de la ville, l'ordre, le patriotisme de ses actions m'ont infiniment touché (2).

Tout ému encore de si nobles affections que je partage avec tous mes compatriotes, et ne pouvant leur marquer mon zèle pour leur prospérité et leur avantage, ni ma reconnaissance des marques d'estime et d'amitié qu'ils me témoignent lorsque j'habite parmi eux mon petit hermitage.

Je saisis l'occasion de ce louable désir qu'a depuis longtemps la ville de se former une petite Bibliothèque, les circonstances présentes semblent devoir l'engager plus que jamais à satisfaire à ce noble désir, les travaux qui sont et qui vont devenir de plus en plus l'occupation des citoyens, doit tous les animer du même amour de s'éclairer.

Sur ces considérations et pour satisfaire au zèle et à la reconnaissance qui m'animent, je prends la liberté, Monsieur, de vous offrir et en vous à la ville, cette petite marque de mon affection. Je vous supplie donc, Monsieur, de vouloir bien agréer et faire agréer au Comité avec mes respects et mes hommages l'Histoire de

(1) Antoine-Joseph Levrier, lieutenant général au bailliage de Meulan, puis conseiller à la Cour d'appel d'Amiens, correspondant de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, est né à Meulan le 5 avril 1756; il est mort à Morflanc, près Belley (Ain), le 30 avril 1823.

(2) Guillaume-Denis-Thomas Levrier Champ-rion, frère aîné du lieutenant général, auteur dramatique, naquit à Meulan, le 21 décembre 1749, et mourut à Paris

le 10 mars 1825.

France de Mezeray, en 4 volumes in-4° et le Dictionnaire de l'Académie française en deux, ouvrages qui nécessairement doivent faire la base et le fondement de la Bibliothèque d'un Comité de Citoyens françois. Une Introduction générale à l'étude de la politique, et je serai également flatté que la ville veule (sic) bien aussi accueillir dans son sein les ouvrages du savant M. de Gamaches, l'un de ces citoyens qui a mérité l'honneur d'être de l'Académie des Sciences: 1o en particulier son Astronomie physique; 2° Ses Dissertations sur les agréments du langage, et 3° son Système du Cœur. Il y a encore un petit ouvrage de lui, comme vous le pouvez voir par la petite notice que j'ai faite en tête de ces Dissertations, je n'ai pu encore me procurer cet ouvrage, je ferai tous mes efforts pour l'avoir et j'aurai l'honneur et le plaisir de vous l'envoyer tout aussitôt (1).

Je vous prie aussi, Monsieur, de vouloir bien recevoir 36 exemplaires d'une petite brochure que je viens de rendre publique. Je vous prie d'en accepter 6 exemplaires et d'avoir la bonté d'en faire agréer un avec mes civilités à chacun des membres qui composent le Comité, et je serai avec toute la reconnaissance possible, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur (2).

CHEVRET.

M. Levrier accuse réception de l'envoi par la lettre suivante :

Meulan, 11 Octobre 1789.

J'ay reçu, Monsieur, avec un vrai plaisir, la lettre que vous m'avez fait l'amitié de m'écrire, et j'accepte avec reconnaissance le don que vous voulez bien me faire de 6 exemplaires de votre brochure ainsi que l'honneur que vous me déferez de présenter le surplus à MM. du Comité, avec les ouvrages dont vous faites don à la ville, pour y poser la première pierre d'un édifice littéraire. Je suis chargé de la part de ces Messieurs de vous témoigner qu'ils sont aussi sensiblement touchés des réflexions sages et religieuses qui se trouvent rassemblées dans votre notice, que flattés de tout ce que

(1) Il s'agit sans doute de l'ouvrage intitulé Nouveau système du Mouvement 1721, in-12.

(2) Épître à l'humanité et à la patrie en particulier, sur le bon ordre et l'idée de la véritable liberté. 1789, in-8° de 24 pages.

vous y avez dit d'obligeant pour eux, ainsi que dans votre lettre. Tout y respire les sentiments d'une âme droite et pure, et d'un cœur patriote. On juge aisément par ce fruit de vos lectures, que semblable à l'abeille qui extrait des diverses fleurs qu'elle picore les sucs propres à former cet aliment doux et pur qui fait sa nourriture, vous retenez, dans tout ce qui passe sous vos yeux, les maximes de sagesse et de vérité qui dirigent l'honnête homme, et qui sont comme l'aliment journalier de votre cœur.

On a arrêté qu'il serait fait registre de votre don, Monsieur, et qu'il vous seroit délivré un extrait de l'acte de délibération par lequel la ville l'accepte avec reconnaissance et vous fait des remerciemens.

Je suis bien flatté d'être son organe en ce moment, et de me trouver à portée de vous renouveller en particulier les sentimens d'estime et d'amitié avec lesquels j'ai l'honneur d'être, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

LEVRIER.

Le Comité municipal qui se composait de 24 membres parmi lesquels on comptait plusieurs lettrés, (entre autres MM. Challan, procureur du roi; Chandelier, avocat du roi ; Chenau, ancien maire; Cordier, prieur de Saint-Nicaise; Obry, Vastel et Darboussié, curés des paroisses Saint-Nicolas, Notre-Dame et Saint-Jacques; Leblond, notaire), ayant accepté le don fait par M. Jean Chevret, décida que l'extrait de l'acte de délibération de l'acceptation serait envoyé au donateur comme témoignage de sa reconnaissance. Voici ce document:

Du registre des délibérations du Comité municipal des ville et fort de Meulan, a été extrait ce qui suit :

Du Vendredi neuf octobre mil sept cent quatre-vingt-neuf, le Comité assemblé.

Monsieur le Président a fait part d'une lettre qu'il a reçue de Monsieur Chevret, originaire de cette ville, demeurant à la Bibliothèque du Roy à Paris, par laquelle il le prie de faire agréer au Comité ses respects et ses hommages et de le prier de recevoir comme une marque de son zèle et de son amour pour sa patrie le don qu'il offre à la ville d'un exemplaire de l'Histoire de France par Mezeray en quatre volumes in-quarto, du Dictionnaire de l'Académie française en deux volumes même format, des deux

tomes reliés en un seul volume de l'Introduction générale à létude de la Politique, des Finances et du Commerce, par M. de Beausobre. Comme aussi les ouvrages du savant M. de Gamaches, de l'Académie royale des Sciences, descendant d'une famille ancienne originaire de cette ville, consistant: 1o en son Astronomie physique, un volume in-quarto; 2o Dissertations littéraires et philosophiques; 30 Système du Cœur. Ces deux ouvrages, chacun en un volume in-douze, à l'égard des autres ouvrages de M. de Gamaches, M. Chevret annonce qu'il fera toutes les recherches possibles pour se les procurer afin de les joindre au don qu'il vient de faire.

Enfin Monsieur Chevret a adressé trente-six exemplaires d'une petite brochure dont il est l'auteur et qu'il désire être distribuée aux membres du Comité.

Sur quoi, le Comité délibérant, a arrêté que l'offre faite par Monsieur Chevret sera acceptée et qu'il lui sera donné des marques de la reconnaissance de la ville, que Monsieur le Président lui écrira pour lui faire des remercimens au nom du Comité; qu'il sera fait registre du présent arrêté dont il sera envoyé une copie collationnée à Monsieur Chevret pour être un gage perpétuel des sentimens d'estime et d'amitié qu'inspire à ses concitoyens son zèle patriotique et l'attachement qu'il témoigne aux habitans de la ville qui l'a vu naître.

Collationné conforme à la minute et délivré par nous greffier secrétaire du Comité municipal, à l'Hôtel de Ville de Meulan soussigné, ce cinq novembre mil sept cent quatre-vingt-neuf.

Signé FRANÇOIS.

Il y a lieu de croire que l'exemple donné par M. Chevret n'eut pas beaucoup d'imitateurs, car nous ne pensons pas qu'une bibliothèque communale ait été fondée à Meulan. Il est vrai que le savant Levrier, qui était l'homme le plus capable pour mener à bien une entreprise aussi difficile dans une ville où les lettres étaient peu cultivées, avait quitté Meulan en 1792; c'est ce départ qui fit certainement abandonner le projet de M. Chevret.

Cependant si la municipalité de 1793 avait eu à sa tête un maire comprenant toute l'importance de son mandat, il lui aurait été facile, pendant la tourmente révolutionnaire,

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