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Lorsque ces malheureux sollicitaient ce qui leur était nécessaire, ils devaient tendre un bâton toujours par le même bout. Tel était le mépris dont on les accablait, en un mot la terrible jurisprudence: « Leprosi ab hominibus excludentur quasi mortui ».

Les prescriptions précitées édictées d'une voix forte, le prêtre jetait une pelletée de terre sur la tête du lépreux (1) et, après avoir fermé sur lui la porte de la logette, le recommandait aux prières des assistants. (2)

Nous n'avons pas trouvé dans le Vexin de léproseries spéciales pour nobles. Cependant Levrier rapporte tout au long dans ses « Preuves du Vexin » la Monition canonique donnée par l'official du Pincerais au maire de Mantes pour l'avertir de faire visiter Regnault d'Arronville, afin de le faire sequestrer de la société comme atteint de la contagion de la lèpre (15 et 22 avril 1269). On était très sévère même au xvIe siècle pour la séquestration des lépreux. Témoin cet extrait pris dans les archives de Seine-Inférieure:

1519-1520. Compotus emolumentorum vicariatus Pontisare et Vulgassini Francie per me Franciscum le Conte presbyterum, vicarium et receptorem ejusdem vicariatus redditus pro uno anno... « Condamnation à 16 sous d'amende des trésoriers de la RocheGuyon pour avoir négligé d'éloigner du commerce des « sains » un particulier déclaré lépreux par ordonnance du vicaire ». (3)

Les xire et XIIe siècles virent s'élever beaucoup de maladreries. Dans nos environs, on en rencontrait à: Sannois, Moisselles, Gonesse, Versailles, Franconville, le Bourget (4), Étampes, Marlyla-Ville, Villepreux. Aux environs de Senlis (5) il y en avait à : Acy, Baron, Crépy, Gouvieux, la Chapelle, Mortefontaine, Saint-Nicolas, Survilliers. Les chatelleries de Corbeil et Melun comptaient, à elles

(1) La lèpre est une maladie infectieuse chronique qui se caractérise par des lésions de la peau, des muqueuses, de la bouche et du larynx, et des tissus profonds. La croissance du bacillus lepræ est très lente.

(2) Sous l'influence de l'opinion publique la prévention populaire contre les ladres diminua au XVI° siècle. S'ils purent se mêler à la population on les distinguait par un signe particulier. Dans le Midi ils portaient, cousue sur l'épaule gauche de leur habit, une patte de canard.

Le but de ces prescriptions était de préserver le reste de l'humanité de la contagion. (3) Il nous semble que les dénominations petite maison », « maison blanche » que nous rencontrons dans les actes notariés du xve siècle et toujours en dehors des villages entre Cléry, Guiry, Commeny, servaient à abriter les descendants des anciens lépreux du Vexin. Ces familles très saines étaient connues sous le nom de chrétiens » et dans le Midi sous le nom de Gézittes» ou « Gézitains reste d'un ostracisme que nous avons grand peine à comprendre. Le nom de chrétien ou gézitte était synonyme de charpentier, au sud de la Loire les ladres exerçaient cette profession.

(4) En 1407, Jean Crété, maître des comptes, la nomma parmi les 74 léproseries des environs de Paris, à chacune desquelles il laisse deux sous.

(5) A Senlis, pour être admis à la Maladrerie Saint-Lazare, il fallait être membre de la commune (Flammermont, Histoire des Institutions municipales de Senlis, page 81).

seules, huit léproseries (1). Toutes avaient un emplacement agréablement choisi, ce qui prouve que les gens du Moyen âge avaient une tendresse particulière pour les malheureux lépreux.

D'après le registre des visites du délégué de l'évêque (1351-1363), le diocèse de Paris renfermait à lui seul 38 léproseries. Nous trouvons dans l'archidiaconé du Vexin français près de 30 hôpitaux de lépreux.

Voici quelques détails historiques sur ces établissements charitables de nos campagnes. Dans le doyenné de Magny, en dehors de la maladrerie d'Artie, nous avons retrouvé à Vétheuil la léproserie Saint-Étienne qui ne remonte pas au-delà du milieu du xe siècle. La chapelle de cet établissement semble n'avoir été élevée que vers le règne de Saint-Louis. Cependant, si nous en croyons Dom Duplessis, elle était sur pied en 1227 (2). Cet établissement, auquel le curé de Vétheuil présenta encore en 1482, était administré par des religieux. A la Révolution, il est devenu un atelier à laines. C'est une belle et agréable propriété dont la cave, à voûtes en tiers point, est fort remarquable.

Tout près de Vétheuil, Ambleville avait une logette entourée de quelques arpents de terre où l'on tenait les ladres dans l'isolement le plus strict. On ne connaît de cet établissement ni son revenu, ni son régime, ni sa fondation; mais on sait que la logette fut détruite dès le xva siècle. Bray-sous-Baudemont avait un établissement de spédalques. Son emplacement a été jusqu'à présent vainement recherché et l'époque de sa fondation est restée inconnue.

La ladrerie de Genainville n'était qu'une maisonnette dont l'emplacement est, de nos jours, indiqué par la « croix aux ladres », près du vieux moulin. La ladrerie de Génainville ne possédait pas de chapelle. Nous trouvons à Chaussy, au lieu dit « la Maladrerie », un hôpital installé tout spécialement pour la séquestration et le traitement des malheureuses victimes de la lèpre. Il jouissait d'un très faible revenu, quoique bien situé et près du chemin très fréquenté de Chartres. Une obscurité grande règne sur son passé. La maison des lépreux de Chaussy, auprès du village et connue encore en 1557, est figurée dans une carte du xviie siècle (3). Cette maison n'a pas laissé de traces dans les vieux textes conservés au château de Villarceau. L'existence de la Maladrerie de Saint-Clair-sur-Epte nous est révélée par la mention des auteurs modernes (4). Cette maison hospitalière existait en 1564, mais rien n'est venu à notre connaissance sur les premiers temps de cette maison née avec le fameux pèlerinage. A Magny, le séjour des lépreux était au haut du

(1) Archives nationales, L. 1234, no 15.

(2) Archives de l'abbaye de Fontaine Guérard.

(3) Archives particulières : - Notes de M. E. Plancouard, instituteur à Cléry. (4) Mayer, Histoire de Vernon.

mont Saint-Antoine, et l'emplacement près du territoire de Charmont a conservé le nom de « clos et de croix aux ladres », non loin de la route, par le pont de Cléry. La léproserie de Magny avait une chapelle dédiée à saint Antoine, élevée dès une époque que l'on peut croire lointaine.

La Maladrerie de Cormeilles-en-Vexin était à la collation du seigneur du lieu. C'était, au dire des chroniques du temps, une espèce de grange qui ne prenait jour que par d'étroites meurtrières, avec dépendances assez considérables en terres à usage de blé. Cette maison, située sur le chemin des Boeufs, de Grisy à Boissy, fut fondée après les croisades et richement dotée. Mais on ignore la date exacte de l'établissement de cette maison. Sous le rapport de la salubrité, la position de la maladrerie de Cormeilles ne pouvait être meilleure. Près des bois Gillocque, non loin de « Saint-Mellon » et dans la partie boisée qui porte aujourd'hui les noms de lieux dits « la Genetais », « les Éroncettes » et « les Bouleaux ».

Les actes les plus anciens nous font connaître le legs en faveur de la Maladrerie de Cormeilles, de biens assez considérables au lieu dit les « Loissis », sur le territoire d'Épiais, entre le Noyer NotreDame, la Croisette et la Croix Anseaume. Les biens de cette maison hospitalière étaient régis par un ecclésiastique qui prenait, comme, à Artie, le titre de maître supérieur et administrateur et qui, seul, touchait les revenus: c'était l'agent comptable, « l'argentier » comme on disait alors.

En 1648 la chapelle Sainte-Madeleine passait pour être la chapelle de l'ancienne Maladrerie lorsque la dame du lieu y présenta. C'est ainsi que s'exprime Dom Toussaint Duplessis, qui avait puisé ces renseignements dans les archives de l'archevêché de Rouen (?). La ferme de la Maladrerie existe encore près du village de Cormeilles. Elle a été donnée aux Dames de l'Hôtel-Dieu de Pontoise afin d'y recevoir gratis les malades de Cormeilles. Pihan de la Forest nous apprend dans ses détails manuscrits du Vexin (1) que « l'Hôtel-Dieu de Pontoise tirait revenu de la chapelle de la Mala» drerie(2) ainsi que les chapelles Saint-Jean et Saint-Raoul de >> Cormeilles, mais n'entretenait ni charges ni chapelains (3) ». On voit d'après le pouillé de Rouen de 1738 à Chars « une chapelle >> appartenant à l'ancienne léproserie qui, vers le milieu du xie » siècle, était à la nomination alternative de l'évêque et du seigneur ».

(1) Bibliothèque de Pontoise. Voir, sur Cormeilles, l'aveu du 11 juillet 1608. (2) Cf. Plan terrier fait de 1783 à 1786 de toutes les terres, prés, bois, maison, château, église, fermes de Cormeilles. Ce plan fait de main de maître possède un répertoire.

(3) Le fonds de l'Hôtel-Dieu » se trouve à gauche de la route de Cormeilles à Pontoise. Il est limité par le hameau de Remoucheuse, la Renardière et les « Plantes ».

Il y a peu à dire sur cette léproserie réunie au couvent des Trinitaires de Pontoise en 1738; son revenu était à cette dernière date de cent livres. A la léproserie de Chars était jointe une chapelle placée sous l'invocation de saint Blaise. En 1261 Eudes Rigaud nomma Jean «< ad capellaniam leprosarice de Chars ». Les auteurs qui ont écrit sur le Vexin ont confondu la léproserie de Chars avec l'Hôtel-Dieu. Ces deux établissements sont bien distincts, puisque le cardinal du Perron, dans une pièce datée de 1612, défend « aux » lépreux de Chars de demander de l'argent sur le revenu de l'autel » de la maladrerie vu qu'il ne se monte qu'à 40 sous et qu'il suffit » à peine pour son entretien et réparation du tout ». (1)

Les anciennes cartes placent cette maladrerie sur le chemin de Pontoise à Gisors. Cela nous amène à dire qu'à défaut de revenus, la léproserie vivait surtout des aumônes que sa situation près de la grande « route de Branchu », très fréquentée, ne pouvait manquer de lui attirer.

A défaut de renseignements particuliers pour la maladrerie d'Avernes, nous empruntons, dans l'inventaire des titres de la seigneurie dressé en 1776-1777, quelques données. Il y est fait mention que le fief de la maladrerie d'Avernes relevait de la seigneurie dudit lieu. Au chapitre « des fiefs inconnus de la seigneurie de la ville d'Avernes » se lit..... « 2o les terres appar» tenant à la maladrerie encore existant en 1662 et que les seigneurs › d'Avernes prétendent relever du fief de leur seigneurie, prétention » qu'ils abandonnèrent plus tard faute de preuve ». Cette maladrerie était située au lieu dit « la Croix ladre ». Les biens fonciers étaient peu considérables comme le prouve l'inventaire que vient de publier notre collègue de la Société du Vexin, M. L. Régnier.

Par lettres patentes du mois de décembre 1696, la maladrerie d'Avernes a été unie à l'Hôtel-Dieu de Meulan. Ce dernier, bâti dans le fort (2), était connu sous le nom de Saint-Antoine. Ses anciens revenus ayant été dissipés, il reçut les biens de la maladrerie de Vigny et l'hospitalité y fut dès lors rétablie (3). Aucun document ne nous fait connaître quelles étaient les constructions de la maladrerie de Vigny, ses revenus et son fonctionnement. Elle était sur le territoire de Bord'hau et non sur celui de Vigny. Nous ignorons l'époque précise de la fondation et le nom des fondateurs de la loge du Bord'hau. Eude Rigaud la mentionne ainsi dans son Pouillé (4) :

(1) Archives municipales de Chars.

(2) C'est-à-dire dans l'île. Il a toujours été commun aux paroissiens de cette île et à ceux des deux paroisses de la ville. Il n'y avait point de chapelain en titre.

(3) Cf. Archives de la Chambre des Comptes de Paris. Mémoire du sieur vicaire de Meulan.

(4) Recueil des historiens des Gaules, T. XXII, p. 317.

« ..... Capella leprosaria de Bordello (1) Vignetti vallet (hecus vacuus in codice) Archiepiscopus Odo Rigaudi contulit eam domino Guillelmo ».

Elle éprouva, pendant le cours des xve et xvie siècles, des tracasseries moins des faits de sa gestion que du passage sur la grande route de Paris à Rouen où elle se trouvait et des déprédations des vagabonds et non lépreux fidèles aux traditions de la « Cour des Miracles ».

« Le Bord'hau comme le village de Villeneuve-Saint-Martin » estant sur le grand chemin de Paris à Rouen a esté abandonné » du temps des guerres civiles, les troupes ayant alors ravagé ces » villages qu'on a eu bien de la peine à rétablir ». (2)

Un compte des domaines de Meulan, en 1455, nous apprend que le village de Vignery, alias Vigny, avait été complètement détruit et incendié depuis peu et que le receveur ne pouvait en percevoir les redevances et revenus en grains, attendu que ledit lieu est « de demolli et ars». D'un autre côté, il est de tradition universelle dans le pays et il n'y a pas d'habitant qui ne le sache et le dise, les maisons étaient placées sur la colline et formaient une rue en pente. (3)

Les bâtiments de la « loge des ladres de Vigny » étaient vastes et réguliers. Nous ne savons pas par qui cet établissement était anciennement desservi. On sait seulement qu'il ne faut pas le confondre avec la chapelle Saint-Nicolas et de la Sainte-Vierge du Bord'hau.

La lèpre ayant disparu, la maison fut abandonnée vers la fin du XVIIe siècle et ses propriétés, nous l'avons vu plus haut, réunies à Meulan du consentement des évêques diocésains, consentement homologué au Conseil d'État le 10 avril 1704.

La maladrerie d'Aincourt se rattache de trop près à l'histoire du pays d'Artie pour être oubliée. Elle est citée jusqu'en 1769 comme faisant partie du fief de Marigny-en-Arthies. Conformément à la transaction du 25 juillet 1735 et à l'aveu ou dénombrement que << rend à messire Elie Randon de Massané, sieur de Brunel, Aincourt, » Drocourt, etc., à Alexandre, duc de la Rochefoucault, on indique :

(1) Bordes, Bordello, Bord'hau signifiait primitivement, et signifie encore, dans le centre et le midi: maison écartée, cabane. Bord'hau dérive donc de barde, maison en planches ou petite métairie; l'origine de ce hameau de la paroisse de Vigny nous paraît être dans l'érection de sa maladrerie.

A Pontoise il y avait la rue du Bordeau « 1490 ». 6 1. p. de rente annuelle sur une maison sise en la rue de Bordeau tenant d'un côté à Jean des Vignes de l'autre à l'hôtel de Poix, d'un bout à l'hôtel des Vignes et la censive es chef cens de noble homme Nicolas le Boucher écuyer. (Bibliothèque de Pontoise, no 1857). Renseignements sur les noms anciens des diverses rues de Pontoise.

(2) Archives de Seine-et-Oise G. 125. Liasse 18 pièces.

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