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donner aux choses leur véritable nom. Les bonnes mœurs, en ces matières, ont toujours beaucoup de simplicité; mais des imaginations souillées par le vice rendent l'oreille délicate, et forcent de raffiner sans cesse sur les expressions. Les termes grossiers sont sans conséquence; ce sont les idées lascives qu'il faut écarter.

Quoique la pudeur soit naturelle à l'espèce humaine, naturellement les enfants n'en ont point. La pudeur ne naît qu'avec la connoissance du mal: et comment les enfants, qui n'ont ni ne doivent avoir cette connoissance, auroient-ils le sentiment qui en est l'effet? Leur donner des leçons de pudeur et d'honnêteté, c'est leur apprendre qu'il y a des choses honteuses et déshonnêtes, c'est leur donner un desir secret de connoître ces choses-là. Tôt ou tard ils en viennent à bout, et la première étincelle qui touche à l'imagination accélère à coup sûr l'embrasement des sens. Quiconque rougit est déja coupable; la vraie innocence n'a honte de rien.

les

Les enfants n'ont pas les mêmes desirs que hommes; mais, sujets comme eux à la malpropreté qui blesse les sens, ils peuvent de ce seul assujettissement recevoir les mêmes leçons de bienséance. Suivez l'esprit de la nature, qui, plaçant dans les mêmes lieux les organes des plaisirs secrets et ceux des besoins dégoûtants, nous in

par

spire les mêmes soins à différents âges, tantôt une idée et tantôt par une autre; à l'homme par la modestie, à l'enfant par la propreté.

Je ne vois qu'un bon moyen de conserver aux enfants leur innocence; c'est que tous ceux qui les entourent la respectent et l'aiment. Sans cela, toute la retenue dont on tâche d'user avec eux se dément tôt ou tard; un sourire, un clin d'oeil, un geste échappé, leur disent tout ce qu'on cherche à leur taire; il leur suffit, pour l'apprendre, de voir qu'on le leur a voulu cacher. La délicatesse de tours et d'expressions dont se servent entre eux les gens polis, supposant des lumières que les enfants ne doivent point avoir, est tout-à-fait déplacée avec eux: mais quand on honore vraiment leur simplicité, l'on prend aisément, en leur parlant, celle des termes qui leur conviennent. Il y a une certaine naïveté de langage qui sied et qui plaît à l'innocence: voilà le vrai ton qui détourne un enfant d'une dangereuse curiosité. En lui parlant simplement de tout, on ne lui laisse pas soupçonner qu'il reste rien de plus à lui dire. En joignant aux mots grossiers les idées déplaisantes qui leur conviennent, on étouffe le premier feu de l'imagination: on ne lui défend pas de prononcer ces mots et d'avoir ces idées; mais on lui donne, sans qu'il y songe, de la répugnance a les rappeler. Et combien d'embarras cette liberté

naïve ne sauve-t-elle point à ceux qui, la tirant de leur propre cœur, disent toujours ce qu'il faut dire, et le disent toujours comme ils l'ont senti.

Comment se font les enfants? Question embarrassante qui vient assez naturellement aux enfants, et dont la réponse indiscrète où prudente décide quelquefois de leurs mœurs et de leur santé pour toute leur vie. La manière la plus courte qu'une mère imagine pour s'en débarrasser sans tromper son fils, est de lui imposer silence. Cela seroit bon, si on l'y eût accoutumé de longue main dans des questions indifférentes, et qu'il ne soupçonnât pas du mystère à ce nouveau ton. Mais rarement elle s'en tient là. C'est le secret des gens mariés, lui dira-t-elle; de petits garçons ne doivent point étre si curieux. Voilà qui est fort bien pour tirer d'embarras la mère : mais qu'elle sache que, piqué de cet air de mépris, le petit garçon n'aura pas un moment de repos qu'il n'ait appris le secret des gens mariés, et qu'il ne tardera pas de l'apprendre.

Qu'on me permette de rapporter une réponse bien différente que j'ai entendu faire à la même question, et qui me frappa d'autant plus, qu'elle partoit d'une femme aussi modeste dans ses discours que dans ses manières, mais qui savoit au besoin fouler aux pieds, pour le bien de son fils et pour la vertu, la fausse crainte du blâme et les vains propos des plaisants. Il n'y avoit pas long

temps que l'enfant avoit jeté par les urines une petite pierre qui lui avoit déchiré l'urètre; mais le mal passé étoit oublié. Maman, dit le petit étourdi, comment se font les enfants? Mon fils, répond la mère sans hésiter, les femmes les pissent avec des douleurs qui leur coûtent quelquefois la vie. Que les fous rient, et que les sots soient scandalisés; mais les sages cherchent si jamais ils trouveront une réponse plus judicieuse et qui aille mieux à ses fins.

que

D'abord l'idée d'un besoin naturel et connu de l'enfant détourne celle d'une opération mystérieuse. Les idées accessoires de la douleur et de la mort couvrent celle-là d'un voile de tristesse qui amortit l'imagination et réprime la curiosité; tout porte l'esprit sur les suites de l'accouchement, et non pas sur ses causes. Les infirmités de la nature humaine, des objets dégoûtants, des images de souffrance, voilà les éclaircissements où mėne cette réponse, si la répugnance qu'elle inspire permet à l'enfant de les demander. Par où l'inquiétude des desirs aura-t-elle occasion de naître dans des entretiens ainsi dirigés? et cependant vous voyez que la vérité n'a point été altérée, et qu'on n'a point eu besoin d'abuser son élève au lieu de l'instruire.

Vos enfants lisent; ils prennent dans leurs lectures des connoissances qu'ils n'auroient pas s'ils

n'avoient point lu. S'ils étudient, l'imagination s'allume et s'aiguise dans le silence du cabinet. S'ils vivent dans le monde, ils entendent un jargon bizarre, ils voient des exemples dont ils sont frappés on leur a si bien persuadé qu'ils étoient hommes, que, dans tout ce que font les hommes en leur présence, ils cherchent aussitôt comment cela peut leur convenir: il faut bien que les actions d'autrui leur servent de modèle, quand les jugements d'autrui leur servent de loi. Des domestiques qu'on fait dépendre d'eux, par conséquent intéressés à leur plaire, leur font leur cour aux dépens des bonnes mœurs; des gouvernantes rieuses leur tiennent à quatre ans des propos que la plus effrontée n'oseroit leur tenir à quinze. Bientôt elles oublient ce qu'elles ont dit; mais ils n'oublient pas ce qu'ils ont entendu. Les entretiens polissons préparent les mœurs libertines: le laquais fripon rend l'enfant débauché ; et le secret de l'un sert de garant à celui de l'autre.

L'enfant élevé selon son âge est seul. Il ne connoît d'attachements que ceux de l'habitude; il aime sa sœur comme sa montre, et son ami comme son chien. Il ne se sent d'aucun sexe, d'aucune espèce: l'homme et la femme lui sont également étrangers; il ne rapporte à lui rien de ce qu'ils font ni de ce qu'ils disent: il ne le voit ni ne l'entend, ou n'y fait nulle attention; leurs discours

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