Page images
PDF
EPUB

13 juillet.

13-14 juill.

que sa nouvelle dénomination de garde nationale; les provinces s'empresseront d'imiter Paris; peu de jours suffiront pour que des villes, situées aux frontières, prennent les armes, prononcent le serment de maintenir les décrets de l'assemblée et la liberté de ses membres, en offrant de marcher à sa défense. Trois millions de Français vont être sous les armes pour soutenir la cause du tiers état et les motifs de la révolution.

Dans l'assemblée nationale plusieurs décrets sont rendus après un discours du comte de Lally-Tollendal. Les ministres et leurs agens sont personnellement responsables de toute entreprise contraire aux droits de la nation et aux décrets de l'assemblée nationale. La dette publique ayant été mise sous la garde de la loyauté française, nul pouvoir n'a le droit de manquer à la foi publique. L'assemblée déclare persister dans ses arrêtés des 17, 20 et 23 juin.

Les troubles continuent à Paris. La cour semble jeter un oeil tranquille sur ces mouvemens. Les troupes postées au Champ-de-Mars, à Sèvres, à Saint-Cloud, à Saint-Denis, y restent immobiles. On croirait que les ministres de deux jours, bien assurés du succès, laissent croître le désordre pour l'abattre au moment favorable avec plus de force et d'impétuosité. Ils envisagent tout ceci comme un trouble-fête accidentel, comme une émeute aussi facile à dissiper que dans les temps où six cent mille habitans tremblaient à l'apparition d'un lieutenant de police et de huit cents hommes du guet. Ils ne mettent pas une plus grande importance à cette insurrection qu'on n'en mettait sous les règnes précédens aux mouvemens populaires, toujours terminés

par le triomphe du pouvoir, la punition de quelques malheureux, et la fortune de quelques intrigans. Telle est, en effet, jusqu'à ce jour la leçon de l'histoire en France, et la différence des époques, les approches d'une révolution, née d'un grand accroissement de lumières publiques, sont des idées trop supérieures aux conceptions des ministres en exercice.

Les courtisans vont jusqu'à se réjouir de ces tumultes; ils disent : << Plus la commotion sera violente, » moins elle aura de durée; plus ils en feront, plus » tôt cela finira. » Cependant la fermentation prend un développement effrayant; le tocsin ne cesse pas de se faire entendre; les boutiques et les ateliers se ferment; les rues s'inondent de gens bizarrement armés; les détenus de la Force et du Châtelet sont délivrés; la maison de Saint-Lazare est livrée au pillage. La multitude, et ceux qui l'excitent, et les bourgeois qui s'efforcent de les contenir, tous accusent la cour. Plusieurs courriers sont arrêtés; on trouve dans leurs dépêches de nouveaux sujets de défiance. Une foule prodigieuse se porte à l'hôtel des Invalides et somme le gouverneur de livrer le dépôt d'armes confié à sa garde. Il s'y refuse, et trente mille fusils sont enlevés avec vingt pièces de canon. Dès la veille, le peuple s'est emparé de toutes les armes trouvées chez les armuriers, ainsi que d'un bateau chargé de poudre. On se porte aussi au Garde-Meuble, où l'on s'empare, mais sans dévastation, de toutes les armes qui s'y trouvent déposées les plus riches, les plus belles attirent de préférence l'attention et l'empressement de ces hommes du peuple; fusils, pistolets, sabres, couteaux de chasse, armes offensives de toute espèce sont enlevées en moins d'une demi-heure; deux canons sur leurs affûts, envoyés par le roi de Siam à Louis XIV,

sont traînés, descendus et conduits vers la place de Grève. Ce groupe d'hommes, de femmes, d'enfans, formé tout à coup en bataillon, offre l'assemblage des différens costumes guerriers de tout siècle, de tous pays anciens et modernes, et portant toutes les espèces d'armes d'Europe, d'Asie, d'Amérique, même les flèches empoisonnées des sauvages. La lance de Boucicaut, le sabre de Duguesclin brillent dans la main d'un bourgeois, d'un ouvrier; un portefaix brandit l'épée de François Ier; c'est une scène de carnaval en juillet. Dans plusieurs églises, lieux d'assemblées pour les districts, des ouvriers s'emploient à faire des balles. L'assemblée des électeurs, siégeant à l'Hôtel-de-Ville, autorise les districts à faire fabriquer sur-le-champ, aux dépens de la ville, des piques, des hallebardes et d'autres armes aussi peu formidables, mais que le désespoir sait employer dans les mouvemens populaires : cinquante mille piques sont fabriquées en trente-six heures. Tel est le tableau de Paris à l'aube du 14.

Il reste néanmoins beaucoup d'hommes à armer, lorsque le bruit se répand que la Bastille renferme des dépôts considérables. Le peuple y court, à la suite des personnes qui portent au gouverneur une lettre du prévôt des marchands (premier magistrat municipal). La porte de ce château est ouverte à une quarantaine d'hommes; mais, dès leur entrée, une fusillade a lieu dans l'intérieur. Il peut se peut se faire que le gouverneur, marquis de Launay, croie qu'on veut le surprendre, et, sous prétexte de pourparlers, s'introduire dans le château dont quatre-vingt-deux invalides et trentetrois Suisses forment toute la garnison; car le maréchal de Broglie n'y a fait entrer, ni secours, ni vivres, ni soldats, malgré les avis réitérés du gouverneur, malgré les assurances qui lui ont été données. Que pour

rait ce simulacre de garnison, cette ombre de service militaire, même derrière d'épaisses fortifications, contre une multitude qui, quoique mal armée, est redoutable par sa fureur et son impétuosité? Le marquis de Launay, devenu en un jour si célèbre, a négligé de s'approvisionner de vivres, au point que si le siége durait jusqu'au lendemain, le danger d'une disette instante et inévitable sera l'un des motifs que ses officiers lui présentent pour le déterminer à se rendre, négligence plus impardonnable que celle d'avoir oublié de se pourvoir d'un drapeau blanc (on y suppléa par quelques mouchoirs blancs attachés ensemble); mais les deux fautes viennent de la même cause. Launay supposait, comme les ministres, que la première décharge d'artillerie ferait trembler la capitale, et que l'approche de l'armée établirait une communication facile entre la ville et la citadelle. Au reste, le gouverneur, né et élevé dans ce château-fort, le regardait, pour ainsi dire, comme son domaine patrimonial. Résolu de se défendre, il avait disposé dès les jours précédens tous les moyens remis à sa disposition. Les tours étaient garnies de quinze pièces de canon; on avait placé douze fusils de rempart, du calibre d'une livre et demie de balle; le château renfermait en outre quatre cents biscaïens, quatorze coffrets de boulets sabotés, quinze mille cartouches et cent vingt barils de poudre ; et, pour prévenir le cas où les munitions seraient épuisées et où les assaillans s'approcheraient assez pour n'être plus atteints par le canon, on avait versé sur les tours plusieurs charretées de vieux pavés, de vieux ferremens, boulets, chenets, etc. Dès la veille, on avait placé des sentinelles dans tous les endroits jusqu'alors négligés, et envoyé douze hommes sur les tours pour observer les mouvemens du

dehors. Ces dispositions, très-convenables sous le rapport militaire, suppléaient jusqu'à un certain point à la négligence du ministère.

Au bruit de la fusillade de l'intérieur, la fureur de la multitude redouble; on crie: Il a reçu nos parlementaires ! à la trahison! au meurles massacrer pour tre! Pendant que beaucoup d'hommes se sont portés sur les derrières de la forteresse, et y mettent le feu au moyen de plusieurs voitures de paille amenées jusque-là, incendiant le corps de garde avancé, l'habitation du gouverneur et les cuisines, la présence de trois compagnies de gardes françaises qui arrivent dans l'avant-cour avec un mortier, deux pièces de quatre, et un canon d'argent enlevé au Garde-Meuble, intimide la garnison qui néanmoins fait résistance. Après quatre heures d'alternative dans l'agression ou la défense, un papier sort d'un créneau au moyen d'une longue planche posée sur le bord du fóssé, un citoyen ne craint pas d'aller le ramasser. L'écrit porte: Nous avons vingt milliers de poudre ; nous ferons sauter la garnison et tout le quartier si vous n'acceptez la capitulatión. Nous l'acceptons, foi d'officier, dit un bourgeois nommé Élie; baissez vos ponts. Les ponts se baissent; en un instant la foule inonde les cours, on saisit le gouverneur, on l'entraîne vers la Grève, on l'égorge, pendant que le major de la Bastille, de Losme-Solbray, homme vertueux, humain, aussi chéri des prisonniers que Launay en était redouté, conduit aussi vers l'Hôtel-de-Ville, est enlevé à ses gardes et massacré. Les deux têtes, montées sur des piques, sont portées dans les rues'. On trouve

Voici un petit fait qui mérite d'être conservé; on le livre à la méditation des moralistes, des philosophes : nous le tenons de l'archevêque de Bordeaux, Champion de Cicé. Le jour même de la

« PreviousContinue »