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plusieurs fois dans cette déclaration; toutes les phrases impératives sont employées, ainsi que dans ces lits de justice où les derniers rois venaient semoncer le parlement; il n'est parlé, ni de la constitution tant demandée, ni de la part des états généraux à la législation, ni de la responsabilité des ministres ; comme si le roi pouvait se croire seul `maître et seul législateur devant la nation assemblée en états généraux ! Les menaçantes injonctions que renouvelle ici le ministre rédacteur doivent offenser et irriter ceux auxquels elles s'adressent, d'autant plus qu'elles contrastent avec les expressions si affectueuses que Louis XVI semble ne devoir qu'aux inspirations de son âme. Si cette déclaration, qui spécifie un grand nombre de bienfaits, avait été publiée à l'ouverture même, elle aurait été reçue aux acclamations des députés du tiers; mais Louis XVI ni ses conseils ne sauront jamais juger les époques, ni saisir les circonstances. L'effet que la cour s'est promis de cet acte d'éclat sera donc complétement manqué.

Aujourd'hui le torrent ne peut plus être refoulé ; il faut le suivre dans son cours terrible, en subir les accidens, et se résigner, en attendant qu'il s'étende dans un lit moins agité; mais surtout se donner toutes les apparences de la sincérité.

Le roi fait la clôture de la séance par le discours suivant : « Vous venez, messieurs, d'entendre le ré>>sultat de mes dispositions et de mes vues; elles sont >> conformes au vif désir que j'ai d'opérer le bien public; et si, par une fatalité loin de ma pensée, vous » m'abandonniez dans une si belle entreprise, seul je » ferai le bien de mes peuples; seul je me considèrerai » comme leur véritable représentant; et, connaissant

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» vos cahiers, connaissant l'accord parfait qui existe » entre le vœu le plus général de la nation et mes in>>tentions bienfaisantes, j'aurai toute la confiance que >> doit inspirer une si rare harmonie, et je marcherai » vers le but auquel je veux atteindre avec tout le con» rage et la fermeté qu'il doit m'inspirer. Réfléchissez, » messieurs, qu'aucun de vos projets, aucune de vos dispositions ne peut avoir force de loi sans mon approbation spéciale. Ainsi, je suis le garant naturel » de vos droits respectifs, et tous les ordres de l'état » peuvent se reposer sur mon équitable impartialité : >> toute défiance de votre part serait une grande injus»tice. C'est moi, jusqu'à présent, qui fais tout pour le bonheur de mes peuples, et il est rare, peut-être, que l'unique ambition d'un souverain soit d'obtenir » de ses sujets qu'ils s'entendent enfin pour accepter » ses bienfaits. Je vous ordonne, messieurs, de Vous séparer tout de suite, et de vous rendre, demain ma>> tin, chacun dans les chambres affectées à votre ordre, » pour y reprendre vos séances. J'ordonne, en consé»quence, au grand-maître des cérémonies, de faire

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préparer les salles. » Il est présumable que ces derniers mots sont sortis de la plume du garde des sceaux, Barentin, homme fort peu capable d'en pressentir l'inconvénient. Le roi, dans le temps de sa toute-puissance, faisant enregistrer d'autorité un édit, n'aurait pas dit au parlement dont ses ancêtres avaient créé les prérogatives; « Je vous ordonne de vous séparer; » et ce commandement on le lui fait intimer aux représentans directs de la nation!!!

Le roi retiré, et la séance levée, le clergé, à l'exception de quelques curés, et la noblesse, obéissent et s'éloignent; les communes seules restent dans la salle. Le maître des cérémonies (marquis de Brézé),

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rappelant les ordres du roi touchant la séparation de l'assemblée, Bailly répond qu'il est lié par le vœu des membres dont il est le président. Le maître des cérémonies insistant, Mirabeau s'écrie; « Oui, monsieur, »> nous avons entendu les intentions qu'on a suggérées » au roi; mais vous, qui ne sauriez être son organe auprès de l'assemblée nationale; vous, qui n'avez » ici ni place, ni voix, ni droit de parler, vous n'êtes >> pas fait pour nous rappeler son discours. Cepen» dant, pour éviter toute équivoque et tout délai, je » vous déclare que, si l'on vous a chargé de nous faire » sortir d'ici, vous devez demander des ordres pour employer la force, Allez dire à votre maître que »> nous sommes ici par la puissance du peuple, et qu'on ne nous en arrachera que par la force des >> baïonnettes. » La véhémence de cette apostrophe foudroie le domestique de cour; elle électrise l'assemblée, qui décrète sur-le-champ, et à la majorité de quatre cent quatre-vingt-treize voix contre trois cent quarante, le maintien de ses précédens arrêtés (V. les 17 et 20), l'inviolabilité de ses membres, et déclare infâmes et traîtres envers la nation, coupables de crime capital, tout particulier, toute corporation, tout tribunal, cour ou commission, qui oseraient, pendant ou après la présente session, poursuivre, rechercher, arrêter ou faire arrêter, détenir ou faire détenir un député, pour raison d'aucunes propositions, avis, opinions ou discours par lui faits aux états généraux; de même que toutes personnes qui prêteraient leur ministère à aucun desdits attentats, de quelque part qu'ils fussent ordonnés.

Mais que va faire l'insolent maître des cérémonies, en se dérobant avec précipitation? Il court rendre compte au roi, qui, déjà lassé des résistances qu'il

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éprouve, ou las d'un rôle qu'on lui a persuadé de jouer, répond, « que si messieurs du tiers refusent de quitter » la salle, il n'y a qu'à les y laisser. » Alors la cour n'imagine rien de plus décisif que d'envoyer dans la salle des ouvriers, qui, munis de marteaux et d'échelles, détendant et retendant des tapisseries, démontant et remontant des panneaux, frappent, scient, et font en conscience leur bruyante besogne. Les courtisans ne doutent pas que les gens du tiers, assourdis, impatientés, ne lèvent la séance. Faux espoir : les députés demeurent immobiles sur leurs bancs, continuent la délibération, et décrètent les dispositions les plus énergiques, confondant de la sorte les courtisans et leurs complots si mesquins, les femmes de cour si futiles, les conseillers occultes, avec leurs agens si peu subtils. A-t-on idée d'une révolution d'empire qui résulte d'aussi misérables circonstances de la part de ceux qui s'y opposent ? La France, dégénérée par deux siècle de despotisme ou d'arbitraire, de mauvaises lois et de mauvaises mœurs, a seule jusqu'à ce jour donné ce pitoyable spectacle. Mais, en 1807 et 1808, l'Europe verra des signes de dégradation et d'opprobre aussi prononcés, dans une cour analogue, à Aranjuez.

Telle est la séance extraordinaire, et si digne de l'attention de tous les Français dans l'âme desquels des mœurs frivoles ou des habitudes serviles n'ont pas éteint le désir de voir prospérer la patrie; séance dont les résultats répondront si mal aux vœux de ceux qui la conseillèrent, à l'espoir des imprudens qui la disposèrent en décevant le roi. Cette séance détruit aussi les espérances des véritables amis de cette vraie liberté qui s'unit à l'ordre, Mounier, Malouet, Dupont de Nemours, la Rochefoucault-Liancourt, tous placés alors sur l'avant-scène. L'autorité des partisans

de la royauté non limitée reçoit un coup mortel, et ce sont leurs propres assauts qui, n'ayant pas même un quart d'heure de succès, affermissent cet ordre que la veille on appelait dédaigneusement tiers état, et que désormais on reconnaîtra comme représentant toute la nation. Faisons ici l'observation que le système du plus impérieux des rois, de Louis XIV, n'aura pas eu, dater de sa mort, une durée égale à la durée de sa vie; ce despotisme aura pesé sur le royaume moins d'années que le despote n'en passa sur le trône.

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Mais si, moins orgueilleuse, la majorité du tiers état victorieux, considérant avant tout les vrais besoins de la France, si cette majorité restait soumise à ses mandats (V. le 27), elle ferait au roi des observations mesurées sur sa première déclaration, aussi contraire aux intérêts du trône qu'à ceux du peuple; elle se montrerait reconnaissante à l'égard de la seconde déclaration qu'elle cimenterait en obtenant des garanties pour sa pleine et entière exécution. Les députés pourraient déjà s'apercevoir que le peuple français est bien peu susceptible de supporter une liberté plus étendue. Quel spectacle que celui d'un souverain déposant une portion considérable de ce pouvoir illimité qu'il regarde comme son héritage légitime; et cela (dit-il), dans la vue d'amener le bonheur de ses sujets!

Puisqu'un certain nombre de députés avaient ordre de leurs commettans de ne pas accorder des subsides avant l'établissement de la constitution, ils auraient dû reconnaître les bases déterminées par le roi, bases, pour la plupart, sagement posées, quoique par la main du pouvoir absolu. L'esprit public, se mûrissant par la jouissance de plusieurs droits politiques convenablement circonscrits, aurait atteint graduellement et sans secousses la consistance nécessaire pour

TOME II.

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