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l'obscurité du raisonnement; c'est toujours le moi, l'homme profond qui a médité toute sa vie les hautes questions sociales, le philosophe nourri des grands principes du génie. L'abbé Syeyès disait le plus naïvement du monde : « Tout ce qu'un homme peut sa» voir, je le sais; j'ai creusé et analysé la législation beaucoup mieux que Locke et Montesquieu: je n'ai » plus rien à apprendre des hommes. » Nous avons entendu M. Syeyès proférer ces paroles.

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Les hommes de 1814 et de 1815 lui ont pourtant appris qu'une grande révolution politique ne pardonne jainais à ses principaux auteurs. Déjà, sous le règne des jacobins, il est forcé de descendre dans son souterrain philosophique. Sous le règne de la terreur il se cache et ne reparaît que lorsque la journée du 9 thermidor (V. cette date) a éclairci le sanglant horizon de la convention nationale. Au 18 fructidor (4 septembre 1797, V. cette date), M. Syeyès dirige secrètement les proscriptions lancées par le directoire. Au 18 brumaire (novembre 1799, V. cette date) il ́est l'auteur des proscriptions exercées par Bonaparte. L'abbé Syeyès dresse lui-même la liste des proscrits, et y inscrit plusieurs de ses anciens amis ou complices de révolution. Madame Bonaparte a donné les preuves de ce fait, assurant, en outre, que Bonaparte avait réduit de moitié la liste de déportation. L'abbé Syeyès contribue puissamment à l'arrivée de Bonaparte d'Égypte à Paris (quand il en sera temps, nous donnerons, à cet égard, des détails ignorés ou très-peu connus, détails authentiques, officiels), ainsi qu'à l'organisation du 18 brumaire; mais, dans cette dernière révolution, l'abbé est pris pour dupe par le général, et il l'est sans retour l'ecclésiastique ne se trouve pas d'humeur à guerroyer avec le vainqueur de l'Italie.

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Un peu plus tard, le puritain de la liberté et de l'égalité prend le titre de comte et se couvre de cordons. La restauration surprend le comte ex-sénateur au milieu de son opulence et de ses grandeurs; il est jeté en terre d'exil. Nul doute que l'abbé Syeyès n'ait puissamment influé sur la mesure adoptée par le tiers état le 17 juin, mesure qui décida la révolution; nul doute qu'il n'ait puissamment contribué à faire décréter (aussitôt que les communes se furent constituées assemblée nationale) que, les impôts existans étant illégaux, n'étaient autorisés provisoirement, au nom de la nation, que jusqu'au jour de la séparation de cette assemblée, mesure qui consomma la révolution. L'importance et les conséquences de ces mesures nous ont fait juger convenable d'expliquer le caractère politique de l'individu qui jouit à cette époque d'une si grande influence sur les destinées de la monarchie.

Ces mêmes considérations nous porteront à consigner plus tard, dans cette histoire, le caractère politique du comte de Mirabeau, qui imprima un mouvement si rapide, si terrible aux premières scènes de la révolution.

A peine les communes se sont-elles constituées assemblée nationale, que cette assemblée arrête que «<les contributions, telles qu'elles se perçoivent ac>>tuellement dans le royaume, n'ayant point été con» senties par la nation, sont toutes illégales, et par conséquent nulles dans leur création, extension ou >> prorogation. Elles sont autorisées provisoirement au » nom de la nation, mais jusqu'au jour seulement de » la première séparation de cette assemblée, de quelle » cause qu'elle puisse provenir.

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Le titre d'assemblée nationale prépare à ceux qui la composeront, ou plutôt à ceux qui la dirigeront, les

voies à l'absolu pouvoir, en consacrant dans un sens indéfini que la nation seule est souveraine, et en inférant de cette donnée que l'assemblée représente la nation. Get acte, qui est la révolution elle-même, et qui manifeste l'audace des chefs du tiers état, n'au¬ rait été ni proposé ni reçu si, depuis six semaines, la noblesse eût montré moins d'inconsidération, le clergé moins d'astuce, ou le gouvernement moins `d'incertitude ou de mauvaise foi. Cet acte renverse subitement', et sans précaution, l'édifice monarchique du dix-huitième siècle; il détruit déjà les deux ordres supérieurs. Montrer qu'on peut se passer d'eux, c'est démontrer leur abus et leur inutilité. Avec quelque peu de sagesse, les ministres n'auraient laissé ni la noblesse, ni les communes s'attribuer des droits indépendamment de l'autorité royale.

On a vu, depuis six semaines, le gouvernement, 20 juin. cédant à l'impulsion de la cour, manquer et d'habileté et de prudence, marcher de faute en faute, et toujours hors d'état de prévenir un événement fâcheux ou d'en réparer les inconvéniens. D'abord il a soumis à des délibérations entre les commissaires des trois ordres (V. du 23 mai au 16 juin) la question du mode d'opiner dans les états. Ces délibérations n'ont eu et ne pouvaient avoir que des résultats contraires à l'attente du gouvernement; lui-même aurait dû céder, afin qu'on reçût comme un bienfait ce dont il devait prévoir qu'on ne tarderait guère à faire une conquête. La victoire décidée, que fait-il encore? Il se rattache au parti vaincu pour en favoriser l'inutile résistance et s'exposer à tomber avec lui.

La cour voudrait donc dissoudre les états, ne pouvant plus se dissimuler que les petits artifices em

ployés pour diviser les ordres vont tourner contre les auteurs eux-mêmes, et ne sauraient empêcher la réunion. On tient le roi loin de Versailles; on l'effraie sur les empiètemens du tiers; deux prélats vont à Marly où l'a conduit la douleur de la perte de són fils aîné 1, le conjurer de sauver la religion vivement menacée par l'animosité qui s'élève contre le clergé ; le parlement envoie une députation secrète, proposant de se passer d'états, et promettant d'enregistrer tous les édits. Les Polignac réussissent à faire faire à Louis XVI les instances les plus capables d'alarmer sa sensibilité. Pour se donner le loisir de mûrir le projet définitif, on décide la suspension des états pendant quelques jours, et sous un prétexte plausible.

Le 20 au matin, peu d'instans seulement avant celui où les députés du tiers doivent se réunir dans la salle générale affectée à leurs séances particulières, Bailly, doyen ou président provisoire, reçoit du grand-maître des cérémonies l'avis que la salle est fermée, afin d'y faire des dispositions pour une séance royale. En même temps, et au plus tôt, des hérauts d'armes le publient au coin des rues où des affiches l'annoncent aussi. Cependant les députés, ignorant ces mesures, ou n'en étant qu'imparfaitement instruits, se sont présentés aux portes repoussés par des soldats en faction, et supposant qu'on a le dessein de les outrager, ils se rendent dans un jeu de paume et y jurent de ne se séparer qu'après avoir donné une constitution à la France.

1 L'assemblée des états généraux nomma une députation chargée de se rendre à Meudon pour y répandre l'eau bénite sur le corps du dauphin. M. de Brézé, grand-maître des cérémonies, l'annonça Monseigneur, voilà une députation des états gé>néraux. » On ne saurait pousser plus loin l'orgueil de l'étiquette : annoncer à un prince mort une députation !

en ces termes : "

M. Mathieu de Montmorency fut le cinquième à prê

ter ce serment.

Comment qualifier les procédés d'un domestique du roi envers des représentans de la nation, envers l'assemblée d'un ordre de l'empire, et cela postérieurement à la mesure si hardie qu'ils ont prise le 17? Que dire aussi du conseil royal, ne supposant pas qu'on ose méconnaître un acte d'autorité proclamé par des crieurs publics, qu'on se permette de dédaigner la communication d'un maître des cérémonies? Comment faut-il juger des ministres qui donnent lieu à ce que des préposés de l'intérieur du palais, dont le service consiste à faire observer les petits règlemens de l'éti-.. quette autour des personnes royales, manquent aux égards toujours dus à des hommes réunis dans des fonctions publiques, blessent les convenances, et de manière à faire naître le mécontement des esprits les moins passionnés, l'indignation de la population de Versailles, et à provoquer une fermentation dangereuse à Paris?

<< L'autorité royale, dit Mounier, aurait pu traiter >> avec les hommes probes de tous les partis, les réunir >> sous ses auspices et prévenir les maux; mais, au lieu » de prendre les mesures nécessaires pour attacher le

peuple à ses intérêts, la cour se repentait de ce » qu'elle avait accordé. On crút qu'il fallait contenir >> ses représentans par des apparences de dédain, par

des semblans de hauteur qu'ils prendraient pour de » la dignité, de la fierté, de la force, du caractère. » On s'irrita de ce qu'ils prenaient le titre de com» munes, quoique ce nom eût toujours été celui du » troisième état dans les assemblées précédentes. On » affecta de laisser sans réponse une adresse présen»tée au roi par les communes qui offraient de

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