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les marchandises à sa convenance : le public et les particuliers sont volés, il est vrai; mais l'agioteur ou le "ministre fait fortune. Nous n'avons eu sous les yeux que trop d'exemples de ce trafic scandaleux de l'autorité ministérielle. M. Necker entendait parfaitement les affaires de banque et les reviremens du crédit public; mais ce banquier ne comprenait pas la science des finances et ignorait complètement l'art des institutions politiques; il doit être regardé comme l'un des plus habiles emprunteurs et l'un des plus mauvais ministres qu'ait eus la France, Nous ajouterons qu'on peut l'envisager comme l'une des principales causes addition⚫nelles ou d'accident qui précipitèrent les approches de la révolution française; car les écrits de ce banquier contribuèrent puissamment à échauffer les esprits et à les diriger vers les innovations funestes.

Le ministre des finances Necker dit à l'assemblée : «... On ne saurait rétablir la fortune de l'état qu'en » agissant avec ménagement sur les intérêts particu» liers. Vous n'avez pas seulement à faire le bien, mais, >> ce qui est plus important encore, à le rendre du>> rable et à l'abri des injures du temps et des fautes >> des hommes.... » Ce ministre présente les comptes très-détaillés du trésor pour l'année courante.

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Le ministre Necker annonce que ce déficit sera facilement comblé par divers moyens dont il donne l'aperçu; mais que les anticipations s'élèvent à deux cent soixante millions. Les soixante-seize millions de remboursemens, suspendus par l'arrêt du 16 août 1788 (V. cette date), quelques autres dettes arriérées, avec quatre-vingts millions de rentrées qui se trouvent en retard, forment le véritable embarras des finances et nécessitent des emprunts.

Dans la soirée de ce même jour, les députés du tiers, assemblés par provinces dans la salle commune, décident que les députés du clergé et de la noblesse se réuniront à eux pour procéder à la vérification des pouvoirs respectifs. Il n'est pas inutile d'observer que le tiers état reste dans la salle d'assemblée générale, la seule qui ait été désignée pour lui, tandis que noblesse et le clergé vont siéger dans des salles parti

la

culières. Sa permanence dans ce local lui donne déjà le rôle et l'état du corps prépondérant qui attend, qui reçoit, qui admet.

Les députés du tiers état se rendent le lendemain 6 mai. dans la salle commune, et y attendent inutilement les députés du clergé et de la noblesse. Ceux-ci, assemblés dans des salles séparées, décident (le clergé, à la majorité de cent trente - trois voix contre cent quatorze; la noblesse, de cent quatre-vingt-huit contre quarante - sept) que les pouvoirs seront vérifiés et légitimés dans chaque ordre séparément. Le tiers état, au contraire, tient pour principe que toutes les délibérations, et surtout les vérifications des pouvoirs, doivent se faire en présence des trois ordres, et que, sans cette vérification préalable, les réprésentans de la nation n'ont aucun caractère re

connu.

Ainsi, dès le second jour, la scission a lieu sur le point le plus important. Les partisans de la réunion s'appuient sur les témoignages historiques les plus anciens; ils montrent que, depuis l'assemblée générale convoquée par Philippe le Bel, en 1303, dans laquelle le tiers état parut pour la première fois, jusqu'aux états généraux tenus à Orléans, en 1560, les ordres se sont toujours réunis pour délibérer et.prendre leurs résolutions définitives; qu'ils n'ont présenté qu'un seul cahier, n'ont choisi qu'un seul président, et se sont exprimés par la bouche d'un seul orateur; qu'en 1560 les ordres ont commencé à délibérer séparément, et que ce fut le tiers qui l'exigea; mais cette forme parut si contraire à l'ancien usage, qu'elle excita les réclamations des deux premiers ordres, et principalement du clergé; que si, dès-lors, jusqu'aux derniers états de 1614, les ordres ont continué de se

TOME II.

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séparer, il ne faut l'attribuer qu'aux querelles de religion, au fanatisme et à l'intolérance qui avaient jeté la défiance dans tous les coeurs, et armé le Français contre le Français, et à l'ambition de quelques grands qui faisaient servir la religion de prétexte pour établir leur pouvoir et s'élever jusqu'au trône. On démontre aussi que, dans plusieurs états généraux postérieurs à 1355, on a délibéré par tête, même sur les subsides.

On ne saurait expliquer la négligence du conseil royal à laisser indécise, jusqu'à l'installation des états généraux, cette question du mode de délibération, si l'on suppose que cette négligence n'est point affectée. La majorité du clergé, celle de la noblesse, ont mandat pour délibérer par ordre; le tiers état, avec une minorité d'ecclésiastiques et de nobles, ont mandat pour délibérer par tête. Si chacun persiste dans l'obéissance à ses commettans, la session des états généraux, par ordres séparés ou réunis, devient également impossible. Le roi seul pouvait intervenir comme arbitre; il aurait dû fixer cet objet dès le principe: en s'abstenant de prononcer, il amène les divisions et provoque un combat dangereux dont la dissolution des états généraux peut devenir la suite ( V. plus haut, 24 août 1788, la lettre de l'abbé Maury à l'abbé de Vermond), ou, ce qui sera plus funeste, il expose l'état au soulèvement de la multitude en faveur de ceux qu'elle regarde comme ses défenseurs. Les ministres sont arrivés à la séance d'ouverture sans plan déterminé, avec des idées confuses, incertaines, et cependant les dissentimens sur cette grande difficulté s'annoncent en tous lieux depuis deux mois. (V. 30 avril). La manière ambiguë dont le garde des sceaux a, dans son discours d'hier, parlé du vote par ordre ou par

tête est plus propre à nourrir les divisions qu'à produire une conciliation. Tout en ne prononçant pas, le ministère a néanmoins laissé pénétrer sa pensée quand il a fait construire, dans l'enceinte du local destiné aux états généraux, deux salles particulières pour le clergé et pour la noblesse, sans en indiquer d'autre pour le tiers état que la salle même des états gé❤ néraux. Le ministère éprouve ainsi les reproches, et des partisans, et des adversaires de la délibération par ordre; sa force morale se perd, et l'autorité royale est grièvement exposée. Les députés, amenés par le silence du monarque, leur juge naturel, à persister dans leurs divergences, les rendent générales dans le royaume. Quoique la vérification en commun ne semble pas emporter la confusion des ordres, il y a cependant connexité entre ces deux questions.

Sur quelques paroles de paix envoyées par le cler- 7 mai. gé, les députés du tiers état conviennent de nommer des commissaires, et d'inviter les deux autres ordres à nommer les leurs, à l'effet de conférer ensemble et de se concerter sur la proposition faite l'avant-veille par le tiers.

Les électeurs du tiers état de Paris se déclarent en 10 mai. séance permanente. Afin d'y procéder à l'élection des députés, on avait divisé cette ville en soixante districts, dont chacun avait choisi un certain nombre d'électeurs.

L'ordre de la noblesse arrête, à la pluralité de cent 12-13 mai. soixante-treize voix, de nommer à l'instant des commissaires pour se concerter avec les deux autres ordres. Le clergé prend la même décision.

Le comte d'Artois, frère du roi, fait informer l'as- 15 mai.

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