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1791.

Avant de prendre la mesure à laquelle le roi oppose son veto, l'assemblée nationale, par un acte auquel elle étoit constitutionnellement autorisée, avait notifié à Monsieur, en sa qualité de régent éventuel pendant la minorité de l'héritier présomptif, de rentrer en France dans le délai de deux mois, à peine d'être censé avoir abdiqué tous ses droits à la régence et à la couronne.

Mais la discussion sur les émigrations n'était pas la seule importante dont l'assemblée s'occupât alors. Poussée par les mêmes agens, agitée par les mêmes intrigues, elle statuait en même temps sur les prêtres non-sermentés; elle recevait les nouvelles les plus funestes de l'île fameuse de Saint-Domingue, que les nègres insurgés bouleversaient, dévastaient dans toute son étendue; elle apprenait aussi les horreurs commises dans la ville d'Avignon; là, les cadavres d'une foule de malheureux égorgés dans les prisons par des hommes qui se disaient amis de la révolution de France, étaient précipités dans l'affreuse glacière.

Ces bourreaux et ceux qui les mettaient en mouvement, trouvaient déja des défenseurs dans l'assemblée; elle leur accordera bientôt une amnistie funeste, et préparera ainsi, sans le prévoir sans doute, les scènes révol

tantes dont Paris et toute la France furent, quelques mois après, le déplorable théâtre. (1)

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Cependant ceux qui, à force d'intrigues, parvinrent à mettre l'assemblée sous leur dépendance, n'avaient pas encore assez de pouvoir sur elle pour lui faire considérer de pareilles barbaries comme des actes de patriotisme à l'exception de quelques individus, qui déja avaient bu toute honte, elle en fut révoltée, et décréta que les auteurs et les ins-* tigateurs de ces attentats seraient punis; et un tribunal spécial fut formé pour les poursuivre.

Les événemens, non moins funestes, qui

(1) Il n'y a pas de doute pour moi que l'amnistie accordée pour les massacres d'Avignon, n'ait été une des plus puissantes causes de ceux du 2 septembre; les seconds furent la conséquence des premiers; l'impunité du crime est la source la plus féconde du crime; d'ailléurs, les deux événemens furent dirigés de la même manière; ils étaient calqués l'un sur l'autre; on y reconnut jusqu'aux mêmes bourreaux. Des hommes qui avaient provoqué les deux massacres, devinrent également membres de la fameuse convention; et ce qu'il y eut de remarquable, c'est que les ordonnateurs des scènes de septembre firent périr ceux qui avaient dirigé celles d'Avignon.

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s'étaient passés à Saint-Domingue, et qui continuaient de détruire ce beau pays, bien qu'ils anéantissent la source la plus féconde du commerce national, firent cependant une sensation moins vive sur l'assemblée. Le journaliste Brissot et les autres amis des noirs, n'abandonnèrent pas la cause de leurs protégés; ils ne vouloient même pas qu'on envoyât des troupes pour arrêter leurs dévastations; et en observant la tournure de la discussion qui eut lieu à ce sujet, il y a tout lieu de croire qu'ils l'eussent empêché, si M. Bertrand de Molleville, alors ministre de la marine, n'eût déja fait partir deux mille cinq cents hommes avant qu'elle fût terminée. Ils obtinrent néanmoins qu'une espèce de concordat, passé entre une portion des hommes de couleur et les blancs, contre les nègres révoltés, aurait provisoirement son exécution. Par ce concordat, les blancs et les hommes de couleur déclaraient oublier leurs querelles pour faire cause commune contre les rebelles; et en considération de cet acte, les hommes de couleur entraient en exercice de tous les droits et de toutes les fonctions publiques qui, jusqu'alors, avaient été réservées aux seuls blancs.

Dans le cours des débats auxquels cette

malheureuse affaire donna lieu, un parti puissant ne cessa de dire que c'était l'orgueil, l'avidité, la barbarie des colons blancs qui était la cause de tous ces désastres : ceux qu'on massacrait furent perpétuellement accusés, et ceux qui les égorgeaient constamment justifiés. Brissot fut jusqu'à demander le terrible décret d'accusation contre les membres de l'assemblée coloniale, pour avoir fait rapporter, par l'organe de Barnave, le fameux décret du 15 mai, rendu sur la propo sition de Rewbell. Les colons trouvaient le principe de tous leurs malheurs dans ce décret, et les amis des noirs les attribuaient à son inexécution. Ce qu'il y a de certain, c'est qu'ils étaient au-dessus de toute expression. Qu'on se représente ce que la barbarie peut imaginer d'odieux et de féroce, Saint- Domingue en était l'arène épouvantable; tout était incendié, dévasté, massacré, hommes, femmes, vieillards, enfans, et leurs membres sanglans devenaient des trophées aux bouts des armes de leurs bourreaux (1). Mais le prolétaire Brissot n'était pas le seul défenseur des nègres, des négocians de Bordeaux, dont les habitans avaient

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(1) On a vu des Nègres porter de petits enfans blancs au bout de leurs baïonnettes et de leurs piques.

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le plus à souffrir de la ruine de Saint-Domingue,
ne cessèrent,sinon de les excuser, au moins d'in-
sister pour qu'on pactisât avec eux, en fesant
successivement droit à la plupart de leurs
prétentions, en un mot, en les rendant libres.
Tous ces débats, au lieu de calmer l'incendie,
lui donnèrent plus d'activité, et les nègres,
instruits de ce qu'on fesait pour eux, n'en
furent que plus audacieux et plus intraita-
bles. Ce fut pour poursuivre ce système de
conciliation, que ceux qu'on appelait leurs
amis, envoyèrent, en qualité de commis-
saires à Saint-Domingue, MM. Sonthonax
et Polverel, On verra de quelle manière ils
's'acquittèrent de leur mission. Je reviens
maintenant à l'historique de la discussion sur
les prêtres non-sermentés.

Les effets de ce déplorable serment se fe-
saient sentir tous les jours davantage; il était
devenu un des moyens de résistance politique
pour
les ennemis de la révolution, et un pré
texte pour la continuer dans leurs adversaires;
enfin, les prétendus philosophes profitaient
des désordres qui en étaient le résultat, pour
décrier tous les cultes religieux, et les faire
considérer comme l'appui de la tyrannie.

L'homme qui parla avec le plus de violence contre les prêtres, fut M. Isnard, député par

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