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qui fût plus docile à servir ses projets. (1)

Mais le prétexte à cette guerre, qui devait paraître le plus plausible, était dans la protection que les puissances d'Allemagne accordaient aux émigrans. Ils se rassemblaient en effet sur les frontières de France, s'y formaient en bataillons, en armées, et ne déguisaient nullement leurs intentions. Avant d'arriver aux puissances étrangères, il fallait donc frapper d'abord sur les émigrans, en commençant par les princes français. M. Brissot, qu'on mettait toujours en avant, fut le premier qui ouvrit la brèche; mais auparavant, les Jacobins avaient manœuvré à l'extérieur, et fait arriver, tant de Paris que des départemens, une multitude de dénoncia-. tions pour préparer l'assemblée au décret qu'ils voulaient lui faire rendre : il faut convenir que les émigrés, par une conduite dont les événemens ont prouyé la haute imprudence, donnaient suffisamment lieu à toutes ces dénonciations, qui ne pouvaient que leur être funestes.

(1) M. Brissot, qui avait affecté, en entrant à l'assemblée, d'avoir beaucoup de connaissances diplomatiques, était membre de ce comité, et un de ses principaux feseurs,

Ce

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. Ce fut la municipalité d'un petit bourg frontière, appelé Sierck, qui fit prendre à l'assemblée la résolution de rendre un décret sur les émigrations. Cette municipalité avait fait arrêter un bateau, où elle avait trouvé des objets précieux, dont quelques-uns portaient les armes de France; elle en avait conclu qu'ils appartenaient au garde-meuble; il n'en fallut pas davantage pour répandre l'alarme, et faire croire que le roi allait de nouveau prendre la fuite, avec ce que la France renfermait de plus précieux; de-là, l'incertitude, la méfiance dans les esprits, le trouble dans toutes les têtes. L'assemblée or donna qu'il lui serait fait un rapport sur les émigrations. Jusqu'à ce rapport, et pendant tout le temps de la discussion, qui fut aussi longue qu'orageuse, l'assemblée fut encombrée de pétitions, de dénonciations contre les émigrés. Des individus qui se déclaraient envoyés par les sections de Paris, des femmes entremêlées de quelques hommes, qui se disaient la société Fraternelle des deux sexes étaient à chaque instant à la barre, ou à demander d'y être admis, pour dénoncer les émigrés et les prêtres, pour appeler la mort sur leurs têtes. (1)

(1) Cette societé était une espèce de succursale des

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Le journaliste Brissot fut encore celui qui fit la motion la plus violente dans le cours de

Jacobins, qui tenait ses séances dans une salle voisine
de la leur et dans la même enceinte. Plusieurs Jacobins
étaient aussi membres de la société Fraternelle, et lors-
que, pour arriver à l'exécution de leurs projets, ils
avaient besoin de quelque motion effrayante, de quel-
qu'acte violent, dont la pudeur publique leur defen-
dait de se charger, ils fesaient agir ces malheureuses
femmes qui leur étaient entièrement dévouées. La so-
ciété Fraternelle avait aussi ses affiliations dans plusieurs
quartiers de Paris: toutes ces Jacobines se répandaient
dans les tribunes de l'assemblée nationale, dans celles
du conseil général de la Commune, et généralement
dans toutes les assemblées politiques où elles pouvaient
avoir accès, ou dans leurs alentours, couvrant par des
huées tous les discours qui ne portaient pas le caractère
du patriotisme le plus extravagant et le plus furieux;
applaudissant, avec le même excès, tout ce qui avait
le cachet de la rage et de la folie. Il est difficile de
croire, combien ces femmes, qu'on appelait tricoteuses,
ont servi la révolution ; il faut avoir été témoin des évé-
nemens pour
s'en faire une idée.

Dans le commencement de leur établissement, clles avaient pour orateur, un nommé Beaumier qui parlait toujours pour elles. Cet homme eut une espèce d'honnêteté, et crut qu'il devait persister à suivre les instructions qu'il avait vraisemblablement reçues; il resta attaché au parti Girondin ou Brissotin, lorsque cette faction cessa d'être populaire cette conduite le

cette discussion; il proposa de diviser les émi grés en trois classes: les princes et les plus grands seigneurs; le reste des gentilshommes, et ceux qui les avaient suivis par attachement ou esprit de système. Il voulait que, si les princes ne rentraient pas dans un court délai, ils fussent déchus de leur traitement et de leur droit à la couronne, et punis de mort, comme les autres individus qu'il plaçait dans la première classe; il était d'avis qu'on prononçât la même peine contre la seconde classe, mais cependant avec, quelques modifications, mais qu'on fît grâce à la troisième. Ce projet fut cependant goûté de peu de personnes; l'on adopta, le 8 novembre *1791, celui proposé par le comité de législation, dont M. Ducastel fut le rapporteur. Le décret porte que les émigrés, rassemblés sur les bords du Rhin, qui ne seraient pas rentrés en France au premier janvier 1792, seraient

fit chasser, comme un traître, par ses commettantes. M. Beaumier a été assez heureux pour échapper aux orages révolutionnaires; il paraît aujourd'hui fort paisible, et assez honteux d'avoir été l'organe de toutes ces femmes folles; mais ce qui doit un peu tranquilliser sa conscience, c'est que ses fonctions d'orateur de la société Fraternelle ne l'ont point conduit à la for

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punis de mort, par jugement de la hautecour nationale; il contenait ensuite quelques dispositions particulières aux officiers déserteurs, et autres fonctionnaires qui avaient quitté leur poste.

Ce décret trouva quelques approbateurs, même parmi les constitutionnels; le roi luimême hésita quelques temps sur le parti qu'il avait à prendre; mais enfin il se décida à refuser sa sanction, et motiva ce refus de la manière suivante :

PROCLAMATION DU ROI,

En refusant sa sanction au décret rendu contre les émigrans,

Du 12 novembre 1791.

« Le roi n'a point attendu jusqu'à ce jour << pour manifester son improbation sur le mou<< vement qui entraîne et qui retient hors du << royaume un grand nombre de citoyens << français. Mais après avoir pris les mesures «< convenables pour maintenir la France dans « un état de paix et de bienveillance récipro<< que avec les puissances étrangères, et pour « mettre les frontières du royaume à l'abri de <«toute invasion, sa majesté avait cru que les

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