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principe de la souveraineté des nations résidait 1791. en elles-mêmes, et ce principe était contraire à la profession de foi politique des émigrans. M. de Cazalès voyant qu'il n'y avait plus en France de sûreté pour lui, se rendit à Coblentz qui était le point central de leurs opérations; mais au lieu des félicitations auxquelles il devait s'attendre, il n'éprouva que froideur et mécontentement; on lui reprocha d'avoir adopté le système des révolutionnaires, et étayé d'une main ce qu'il avait voulu renverser de l'autre. Ainsi repoussé, le célèbre orateur passa peu de temps après en Angleterre, où il fut très-bien reçu (1).

D'après la réception faite à Coblentz à M. de Cazalès, les royalistes tempérés, qui avaient choisi un système de monarchie encore moins coercitif que celui qu'il avait défendu, ne pouvaient, à plus forte raison, faire cause commune avec les royalistes exclusifs; ceux d'entr'eux qui sortirent de France, formèrent une seconde classe d'émigrans qui vécut isolée chez l'étranger, comme le reste

(1) Il a résidé dans ce pays jusqu'au moment où, sur la seule caution de sa parole d'honneur de ne rien entreprendre contre la république, il a obtenu du gouvernement consulaire la faculté de rentrer dans sa patrie.

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de leurs amis, dans l'intérieur. Cependant quelques-uns de ces derniers se rapprochaient des royalistes constitutionnels qui, étant alors maîtres du gouvernement, avaient intérêt de rallier tous les partis. Ce fut dans cet amalgamme de quelques-uns des royalistes tempérés avec un certain nombre de constitutionnels, reconnaissant la foiblesse de leur ouvrage, que fut formé le projet de séparer le corps législatif en deux chambres, projet qu'on a vu réaliser d'une certaine manière depuis, par ceux - là même qui l'avaient combattu avec le plus d'inflexibilité. Les hommes qui avaient cette idée, se réunirent à la société dite des Feuillans, dont j'ai déja annoncé l'origine et la formation: elle fut d'abord très-considérable, car elle renfermait la pluralité des membres de l'assemblée constituante, et un très-grand nombre d'individus qui, d'abord réunis aux Jacobins, abandonnèrent ce club lors de l'affaire du Champ-de-Mars, vû qu'ils n'avaient desiré qu'une modification dans la monarchie, et non la destruction de la royauté que leurs co-sociétaires avaient imaginée. La société des Feuillans renfermait encore quelques autres personnes qui, n'ayant auparavant fait partie d'aucun club, s'y réunirent, cependant,

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comme à un point central d'opposition au nouveau mouvement révolutionnaire imprimé par l'insurrection du Champ-de-Mars; mais à peine le club fut-il installé qu'il se désorganisa; les députés constituans qui n'avaient fréquenté celui des Jacobins que parce qu'ils l'avaient considéré comme un moyen de faire propager leurs opinions dans les départemens, et de les faire triompher dans l'assemblée, ne trouvaient pas les mêmes avantages dans la société des Feuillans. Il ne s'agissait plus de révolutionner la partie de la nation qu'on appelle peuple, encore excessivement exaltée, mais de la contenir; et cette tâche était aussi difficile qu'elle était impopulaire : ils devaient s'attendre à être couverts de boue par ce même peuple qui venait de leur prostituer ses adorations, de les charger de couronnes civiques. Il n'était plus question de faire mouvoir les ressorts par lesquels l'assemblée avait été jusqu'alors dirigée; elle allait incessamment se séparer. Aussi vit-on ces constituans s'éloigner successivement du triste club qui, par cette désertion, se trouva réduit à sept à huit personnes, n'ayant aucune consistance individuelle; malgré cet abandon, ces personnes parvinrent à faire croire aux départemens, par une correspondance active,

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qu'elles formaient l'immense société des Amis de la Constitution, dont les Feuillans avaient pris le titre, et cela pendant plus de deux mois. J'étais un de ces zélés, comme nouveau venu, n'ayant jamais mis le pied aux Jacobins. Le député Barrère fut un des constituans qui nous fréquenta le plus; il nous présida même quelquefois (1): la Réveillière-Lépaux,

(1) D'après la connaissance personnelle que j'ai du caractère de cet homme, je suis convaincu que cette tache de feuillantisme détermina la conduite qu'il a tenue depuis; car il vint un temps où le feuillantisme fut peut-être un titre plus certain à la proscription que le véritable royalisme même. Barrère avait trop d'esprit pour ne pas comprendre ce qui devait arriver, aussi la frayeur le saisit-elle dans tout son être après la révolution du 10 août. Il demanda grâce à Robespierre, et celui-ci lui promit protection, à condition qu'à son tour il consacrerait tous ses talens pour faire triompher le système du protecteur. Le protégé s'y engagea, et ne tint que trop fidèlement sa promesse : c'est ainsi que pour éviter la mort, il donna tête baissée dans le chaos de la révolution. Il y avait encore dans notre petit comité feuillantin, un autre personnage dont j'aurais également garanti l'honnêteté une semblable frayeur lui avait tellement dérangé le cerveau, qu'il avait mérité de devenir membre de l'état-major, ou plutôt coupejarret d'Henriot, dans les temps les plus affreux de la terreur. Comme Barrère, il avait fait amende aux

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depuis

depuis directeur, fut aussi des députés cons- 1791. tituans les plus assidus au club des Feuillans. Lorsque les membres de l'assemblée législative furent arrivés à Paris, ils jetèrent les yeux autour d'eux; et comme le plus grand nombre avait fréquenté les clubs de leurs départemens, que c'étoit même là où ils avoient réuni les suffrages qui les avaient faits membres de la législature, leurs regards se portèrent naturellement sur les deux clubs rivaux qui prenaient également le titre de société des Amis de la Constitution. Les hommes

pieds de Robespierre, pour son péché de feuillantisme; mais, moins adroit que lui, il ne sut pas changer ses batteries au 9 thermidor, en se déclarant contre leur commun patron, et porta, le 10, sa tête sur l'échafaud. Ce malheureux se nommait de Lavalette, appartenait à une famille noble assez distinguée, et avait été offi→ cier dans les troupes du roi avant la révolution.

L'exemple de ces deux hommes, qui pourtant n'étaient ni scélérats, ni fous, ni même enthousiastes, et que cependant on a vu donner dans tous les excès auxquels on ne peut supposer que l'une de ces trois causes, justifie assez bien, je pense, la vérité que j'ai voulu faire sortir de l'épigraphe mise à la tête de mon livre, que c'est la peur qui donna naissance à la plupart des épouvantables divinités pour qui la révolutionfit dres➡ ser des autels,

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