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avaient proposé au roi d'en demander la nullité à leur assemblée, qui, à cette époque y eût facilement consenti; mais il fallait pour cela qu'elle prolongeât sa session de cinq à six mois; et un parti puissant à la cour ne le voulait pas. Le roi céda à ce parti et à d'autres intrigues.

Les principaux souverains de l'Europe avaient aussi été consultés sur la question de savoir s'il devait, ou non, accepter l'acte constitutionnel; tous furent pour l'affirmative, malgré les insinuations des princes français, qui, dès-lors, furent les dupes de ceux dont ils regardaient l'intervention, en leur faveur, comme absolument décidée. Le seul roi d'Angleterre, si j'ai été bien instruit, fut pour la négative. Louis XVI crut voir dans ce conseil du monarque Britannique, un avis dicté par le ressentiment; et, dans les délibérations qu'il fut obligé de prendre, il préféra régler sa conduite sur les avis de M. Moritz, envoyé des Etats-Unis d'Amérique, auquel il ne pouvait cependant, sans beaucoup de circonspection, supposer des vues favorables au gouvernement monarchique.

Le plus grand nombre des membres de l'assemblée nouvelle étaient sans doute bien in

tentionnés; mais tous, ou presque tous, dé

vorés par la maladie de la révolution: quelques-uns avaient des talens très-remarquables, mais leur inexpérience, la fausseté de leurs vues, se fesaient encore plus sentir; ajoutez à cela l'habitude contractée dans les assemblées populaires, de parler sans cesse, et sur tout, l'envie de se distinguer, l'ambition naturelle à tous les hommes d'arriver à la fortune, dont on regardait la législature comme le marche-pied. Avec de telles dispositions, pouvaient-ils arrêter le torrent par des lois sages? Non, sans doute; tous leurs décrets ne pouvaient que le grossir, et rendre l'inondation générale. L'autre portion, composée d'enthousiastes sans principes, à la disposition de quelques hommes adroits, était destinée à diriger la première, à vaincre la résistance qu'elle pouvait lui opposer, par les ruses de l'intrigue, les menaces et la violence.

A peine cette assemblée fut-elle réunie, qu'on put apercevoir ce qu'on devait en attendre. Sur-le-champ, et à l'imitation sans doute de ce qui s'était passé à la constituante, elle se divisa en deux partis distincts, à droite et à gauche du président, et chacun de dire aussitôt: Voilà les patriotes, voilà les aristocrates. Les journalistes ne manquèrent

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pas de saisir cette singulière particularité, les uns par malice, les autres pour paraître scrupuleusement fidèles, et la transmettre à leurs lecteurs, c'est-à-dire à toute l'Europe. Il était donc difficile de croire qu'avec les dispositions turbulentes qui formaient son ca ractère, la législature pût se contenir dans le cercle constitutionnel; cependant on n'y entendait pas dire un mot qu'on n'invoquât là constitution; à peine eut-elle reconnu la légalité des pouvoirs de ses membres, qu'elle envoya chercher l'arche sainte; c'est la qualification qu'on donnait réellement à la chartre nouvelle. Une députation de vieillards fut la prendre aux archives, et accompagna, en forme de procession, l'archiviste Camus, qui la tenait déposée sur son sein, avec une com→ ponction religieuse. Arrivé dans la salle; le précieux dépôt, reçu par les plus jeunes, fut presqu'adoré par tout le monde. On le plaça respectueusement sur la tribune aux harangues, et tous les députés, appelés tour-àtour vinrent lui jurer une fidélité inviolable en imposant la main dessus exacte ment, de la même manière qu'on fait prêter serment sur les saints Evangiles, Pendant toute la cérémonie, qui dura environ deux heures, l'archiviste Camus, le corps droit,

une de ses mains sur sa poitrine, et l'autre sur le livret sacré, ne l'abandonna pas un seul instant; il était dans une telle immobilité, qu'on l'eût pris pour le dieu Terme. La constitution retourna ensuite dans le lieu où elle était gardée, dans le même ordre qu'on l'avait fait venir. Ceux qu'on appelait aristocrates, à Paris et dans les départemens, se moquèrent de cette cérémonie comme d'une ridicule farce; les Jacobins crièrent haro sur eux, tout en prenant des mesures pour mettre en pièces ce qu'ils avaient l'air de vouloir conserver comme l'objet de leurs plus respectueux hommages; et les Feuillans s'indignèrent de la conduite des uns et des autres.

Ceci me ramène à l'examen des causes immédiates de tous les mouvemens qui vont de nouveau sé développer. On distinguait trois classes de royalistes, les partisans.exclusifs de l'ancien régime, les royalistes, tempérés et et les royalistes constitutionnels. Une grande partie des premiers avait déja émigré, et formait des rassemblemens hostiles contre les diverses classes de révolutionnaires sans distinction; tandis que leurs amis de l'intérieur manifestaient le même esprit dans leurs discours et leurs écrits de la manière la plus claire et la plus positive. On aurait tort de

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reprocher à ce parti de Français aucune des ruses politiques recommandées par Machiavel; jamais, au contraire, plus de franchise ne fut développée ; jamais projet, plus hautement avoué, ne partit d'une intention plus nettement déterminée : ils voulaient absolument tout ou rien, et avaient l'imprudente naïveté de le dire, de le certifier publiquement. En se conduisant ainsi, ils sacrifiaient tout, fors l'honneur dont ils cherchèrent en vain la trace, parce qu'on en avait détruit le principe; et en cela ils ne furent pas plus heureux que certains philosophes leurs rivaux, qui, ayant voulu séparer le jour du principe de la lumière, poursuivirent la vertu dans le chaos, et n'y trouvèrent que les ténèbres, le désordre et la confusion.

Une preuve du système exclusif de ces roya. listes se trouve dans la réception que l'on fit, à Coblentz, à l'un des membres les plus distingués de l'assemblée constituante. Certainement personne dans cette assemblée, même avant la réunion des trois ordres (1), n'avait défendu la cause de la monarchie et du roi avec plus de talens, de noblesse et de courage que M. de Cazalès; mais il était convenu que le

(1) Voyez mon premier volume.

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