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sultat, selon M. de Bouillé, que l'impéra- 1791. trice fournirait trente ou quarante mille hommes, qu'on ferait débarquer à Dunkerque, sous le commandement du roi de Suède en personne; M. de Bouillé eût été son lieutenant. L'Espagne aurait fait les frais de l'expédition; à cette armée se seraient réunis tous les Français mécontens qu'on aurait pu rassembler, et elle se serait avancée dans l'intérieur de la France, tandis que les Allemands, les Prussiens, les Espagnols et les Piémontais l'auraient attaquée sur tous les autres points de son territoire. Il n'entrait dans les projets du roi de Suède aucune idée d'intérêt personnel, si l'on en excepte celui de sa gloire, ce qui n'était guères naturel de supposer dans les monarques voisins, et sur-tout dans le cabinet de Vienne; il est donc permis de croire que l'attaque de ce roi guerrier n'eût pas été la moins dangereuse pour les amis de la révolution; parce qu'il aurait trouvé des partisans chez tous les amis de la royauté, mais qui, l'étant aussi de leur patrie, ne pouvaient se réunir à des souverains qu'on devait croire disposés à profiter d'une telle circonstance pour enlever aux Français toutes les conquêtes qu'ils avaient précédemment faites sur eux. Cette idée venoit à l'es

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prit de tout le monde, et éloignait les improbateurs les plus ardens de la révolution, de toute coalition entr'eux et les soldats de l'Au

triche; tandis que rien de ce qui fesait le légitime objet de leurs appréhensions, ne pouvait se supposer dans l'entreprise du roi de Suède. D'ailleurs, quand on n'eût pas connu son caractère chevaleresque et désintéressé, personne n'ignorait que la politique la plus ambitieuse ne pouvait lui suggérer l'idée de démembrer la France; tout le monde savait, au contraire, qu'il devait plutôt desirer l'affoiblissement des grandes puissances d'Allemagne que concourir à leur agrandissement; aussi ceux des révolutionnaires qui eurent connaissance de ses projets, en furent - ils beaucoup plus effrayés que des menaces faites par des souverains plus redoutables; mais au moment où il en poursuivait l'exécution avec activité, il fut assassiné au bal par un gentilhomme nommé Ankastroom, auquel, pour cette action, les républicains français ont presque dressé des autels (1). C'est ce qui fit

(1) Il y avait à l'hôtel des Invalides un corridor qu'on appelait Corridor d'Ankastroom; il était parallèle à celui qui portait le nom de Marat. Celui qui fonda ce superbe établissement, ne prévoyait pas qu'un jour on éleverait des trophées à de semblables héros.

dire que les propagandistes Jacobins de France avaient dirigé le pistolet du meurtrier suédois. Ce bruit est dénué de fondement; il n'y avait aucun rapport entre les principes de la noblesse de Suède et les Jacobins français; ceux-ci combattaient pour l'établissement de l'égalité politique, et ceux-là, pour l'empêcher de naître. Les hommes de la révolution ont assez d'écarts, d'erreurs et de délits à se reprocher; l'historien doit rejeter ceux qui ne leur appartiennent pas, avec la même énergie qu'il doit publier les crimes dont ils sont coupables.

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Tel était, dans ses divers rapports, l'état de la France, lorsque l'assemblée législative se forma. Menacée au-dehors par toutes les puissances de l'Europe, tiraillée dans l'intérieur par une multitude de prétendus politiques et de rêveurs idéologues, de royalistes de divers partis, de républicains de tous les systèmes, d'énergumènes et de furieux, songeant uniquement à détruire et à préparer la proie d'une nuée d'immondes vautours répandus de toutes parts pour la saisir, que pouvait être l'assemblée nouvelle, au milieu d'un tel volcan? ce qu'elle fut, turbulente et révolutionnaire; il était impossible qu'elle eût un caractère différent; ce caractère devait

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se composer des élémens dont elle était formée, et son mouvement ne pouvait être autre que celui que toute la France lui impriprimait, c'est-à-dire qu'elle devait s'agiter dans un perpétuel désordre. Les membres de l'assemblée législative furent élus lorsque la destinée de la monarchie, même constitutionnelle, était encore incertaine. L'exercice de la royauté était suspendu; celui à qui il devait appartenir était prisonnier; et dans plusieurs départemens on s'attendait à le voir soumis à un jugement extraordinaire. Ce fut au milieu des pensées diverses qu'un tel événement ne pouvait manquer de faire naître, que quelques individus qui avaient beaucoup d'adhérens dans plusieurs parties du royaume, mirent en avant l'idée de constituer la France en république; il est certain que c'est d'après ce projet que beaucoup d'élections, furent faites. Une foule d'hommes ardens et ambitieux résolurent d'exécuter ce système qui présentait à leur imagination une carrière sans bornes; ils s'élancèrent parmi les candidats à la prochaine législature; et plusieurs électeurs, même très - modérés, ignorant ce qui devait arriver, crurent qu'il était sage de donner leurs voix à des personnages qui, leur énergie, fussent capables de rester

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debout au milieu des tempêtes qu'ils voyaient 1791. se former. Il faut croire aussi que, dans les ames pusillanimes, la peur influa autant que l'ambition sur les élections, dites républicaines: on voulut se ménager, à tout événement, des protecteurs dans cette république qu'on voyait prête à éclore; et il est plus que vraisemblable que si la cause de la monarchie eût été décidée, les mêmes hommes qui firent des représentans républicains, auraient nommé des députés royalistes. L'autre chance paraissant probable, l'impétuosité qui pouvait être nécessaire pour la formation du nouvel empire, devait présider aux élections, comme je l'ai déja dit. Aussi vit-on les députés de la Gironde (Bordeaux), jurer de détruire la monarchie; parole qu'ils tinrent avec fidélité, au mépris du serment qu'ils avaient fait de la maintenir en entrant dans l'assemblée législative; car il n'y a pas de doute que ce ne soit les mesures qu'ils prirent, les décrets qu'ils firent rendre, eux et leurs amis, qui amenèrent la révolution du 10 août, que cependant ils ne firent pas immédiatement, et dont même ils n'eurent ni l'adresse, ni le courage de s'emparer.

Plusieurs députés constituans, qui avaient prévu ce que pouvaient être les élections

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