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saisi. L'affaire des billets de Confiance tint 1792. long-temps Paris dans une grande agitation que les révolutionnaires surent bien faire tourner à leur profit.

A cette époque, un évêque constitutionnel, du département du Cher, M. Torné, fit défendre, par un décret, aux ecclésiastiques de paraître, hors de l'exercice de leurs fonctions, avec leurs habits religieux, ou autre marque distinctive qui pût les faire reconnaître ; il prétendit que c'était à la police à statuer sur ces vêtemens. Ce décret ne trouva d'opposans que M. Becquet, qui s'efforça de faire sentir qu'une telle prohibition pourrait produire des effets très-fâcheux; on lui répondit par de grands éclats de rire. M. l'abbé Mulot, religieux de la Congrégation de Saint-Victor, combattit M. Becquet; il appela l'habit religieux qu'il venait de quitter, un uniforme contre-révolutionnaire. M. Dubayet avait demandé que dans la suppression de toutes les congrégrations encore existantes, et qu'on licenciait, si je puis parler ainsi, en même temps qu'on interdisait les habits d'église, il fût au moins permis aux religieuses de se vêtir à leur guise dans l'intérieur du malheureux réduit qu'on leur avait laissé : elles sont dans l'erreur, disait M. Dubayet,

je le crois; mais notre sensibilité doit compa1792.

tir à cette erreur même.

M. l'abbé Mulot ne fut point encore de cet avis. « Le préopinant, répondait-il, n’éta<«< blit sa sensibilité et son raisonnement que « sur l'erreur des religieuses. Le meilleur « moyen, selon moi, de détruire leur erreur, << est d'ôter le voile qui leur couvre les

yeux.>> Lorsque M. Torné eut fait adopter sa loi, on vit tous les évêques, tous les prêtres de l'assemblée se dépouiller de leurs rabats, de leurs calottes, et les mettre dans leurs poches, au bruit des éclats de rire et des applaudissemens de tous les spectateurs. M. Guayvernon, qui était aussi évêque, fit hommage de sa croix pectorale à l'assemblée, bientôt après il se maria, et renonça à son épiscopat.

On voit que les révolutionnaires poursuivaient jusques dans leurs dernières traces, toutes les institutions formées dans l'ancien ordre de choses. Pour comprimer les mécontens que tant d'innovations ne pouvaient manquer de faire, ils étaient obligés de chercher des auxiliaires par-tout. Ce n'était pas assez d'avoir amnistié les Avignonais, auxquels ils avaient donné le nom de patriotes, ils furent chercher des amis aux galères, et résolurenť de faire comprendre les soldats

suisses

suisses de Château-Vieux dans l'amnistie générale, ces mêmes soldats insurgés à Nancy, qui avaient pillé la caisse militaire et assassiné le jeune Desilles; sauf à tirer ensuite de la prétendue injustice qu'on leur avait faite, tel parti que les circonstances feraient naître.

Collot d'Herbois fut chargé de négocier cette affaire dans les comités, et obtint facilement ce qu'il demandait. L'amnistie fut accordée, sanctionnée par le roi, et confirmée, sur sa demande, par le gouvernement suisse. Ce premier point ne fut pas plutôt réglé, qu'on convint de leur préparer le triomphe comme à d'honorables victimes de l'oppression, auxquelles les patriotes devaient autant de gloire que les aristocrates leur avaient fait souffrir d'infamies. On commença par les recommander à la société de Brest

où les devoirs qu'on leur rendit furent une première cause de trouble et de dissention; bientôt après la société de Paris envoya des commissaires pour leur porter des paroles de consolation, et les préparer au rôle bizarre qu'on allait leur faire jouer; ce préalable rempli, des pétitionnaires jacobins, se disant envoyés par les sections de Paris, et principalement par celles des faubourgs Saint-Antoine et Saint-Marceau, se présentèrent au

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conseil général de la commune, et l'invitèrent à assister à la fête qu'on préparait aux braves frères de Château-Vieux; plusieurs même de ces pétitionnaires, qui renouvelèrent plusieurs fois leurs demandes, voulaient que la fête fût faite au nom de la commune de Paris. Parmi ces pétitions, voici celle qui nous a devoir être conservée comme servant de type à toutes les autres. Les quatre personnages qui l'ont souscrite, se rendirent à la maison commune, entourés d'une foule considérable d'hommes, de femmes rassemblés au hasard, soit aux Jacobins, soit dans la route, et l'un d'eux s'exprima ainsi :

paru

M. LE MAIRE ET MESSIEURS,

<«< Dans quelques jours nous posséderons au << milieu de nous nos frères les soldats de Chá<< teau-Vieux : leurs fers sont tombés à la voix « de l'assemblée nationale; leurs persécuteurs « sont échappés au glaive de la loi (1), mais « non pas à l'ignominie. Bientôt ces soldats « généreux reverront le Champ-de-Mars, où « leur résistance au despotisme a préparé le

(1) M. de Bouillé, et la première assemblée qui les fit poursuivre.

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règne de la loi (1); bientôt ils embrasseront « leurs frères d'armes, ces braves Gardes

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Françaises, dont ils ont partagé la désobéis«sance héroïque.

« Une bienfesance fraternelle et des hon«< neurs éminens acquitteront envers les sol<< dats de Château-Vieux, la dette que la patrie << a contractée. Ainsi les efforts du civisme << seront à jamais encouragés. Cette fête tou«< chante sera par-tout l'effroi des tyrans, l'es« poir et la consolation des patriotes; ainsi « nous prouverons à l'Europe, que le peuple << n'est pas ingrat comme les despotes; et

qu'une nation devenue libre sait récompen<<< ser les soutiens de la liberté, comme elle «sait frapper les conspirateurs jusques sur « les marches du trône. (1)

(1) Le régiment de Château-Vieux était au Champde-Mars lors de la révolution du 14 juillet; mais il n'est pas vrai de dire qu'il résista à ce que les pétitionnaires appellent ici le despotisme; quelques soldats désertèrent, il est vrai, et se réunirent aux insurgés du Palais Royal; mais le régiment resta sous les armes, et s'il n'agit pas contre les Parisiens, on ne peut pas dire que c'est parce qu'il s'y refusa; il ne fut pas commandé pour agir, mais seulement pour se retirer.

(2) M. Delessart est le conspirateur qu'on veut désiguer.

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