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1792.

dans l'autorité publique,pensèrent qu'ils pourraient être aussi quelque chose, en culbutant les Brissotins sur les constitutionnels, comme les Brissotins avaient renversé les constitutionnels sur les partisans de l'ancienne cour, qui les premiers avaient été écrasés par la révolution.

Rien de mieux imaginé qu'un pareil projet, son succès était dans l'ordre naturel; il n'y avait qu'à mettre la main à l'œuvre. Robespierre avait déja répandu à la tribune des Jacobins son venin sur Brissot et les députés de son parti; et Camille-Desmoulins, dans ses écrits, portait à ce chef des coups non moins dangereux; il le rendait odieux et ridicule. L'un de ces pamphlets, ayant pour titre, Brissot démasqué, avait pour épigraphe: Et factus sum proverbium. Il fesait allusion au mot brissoter, imaginé par le journaliste Morande, pour servir de synonyme à voler. (1)

Cependant ces orateurs qui attaquaient avec tant de hardiesse et de fierté, le roi de

(1) La vérité est cependant, que M. Brissot, si on lui fait grâce de ses opinions et de ses opérations politiques, fut un homme de probité; il est mort pauvre, et sa femme et ses enfans sont dans un état très-misérable.

France et toutes les pnissances de l'Europe, osaient à peine répondre aux diatribes de Robespierre et aux petits pamphlets de Camille Desmoulins. Il est assez curieux de revoir quelques-uns de ces écrits, de les comparer avec ce qui est arrivé, et de chercher ensuite si dans tout cela l'on peut reconnaître quelque chose. Voici ce qu'écrivaient et disaient les amis de Robespierre, lorsque les Brissotins eurent fait occuper le ministère par MM. Dumourier, Servan et Roland.

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« Le parti Brissot a voulu faire triom

pher son ambition et se créer une puis« sance, en formant un ministère à sa

disposition il a fait dire à la cour, « qu'un projet d'accusation contre la reine << était formé, conçu, rédigé, on croit, en dix<< neuf articles; et que, si l'on ne composait pas un ministère suivant les désignations qui seraient faites, la reine serait dénoncée.

«

<<< La menace réussit, le beau-frère de Brissot(1) et ses autres amis furent proclamés; « et le prix de cette nomination fut un ar<«<<ticle inséré dans le Patriote français (2),

(1) M. Roland. Il n'était pas beau-frère de Brissot.
(2) Journal rédigé par Brissot.

1792.

1792. « qui annonçait que le projet n'avait pu << exister, et fesait cesser toutes les craintes.

<< Pendant qu'on travaillait ainsi la cour, a les plans se formaient, d'un autre côté, << pour établir un nouveau système de gou<< vernement au gré du parti devenu triomphant. Il a senti qu'il était nécessaire d'a« voir un chef de l'armée, et il s'est lié avec « Lafayette, avec qui Brissot a conservé de« puis long-temps des relations, quoiqu'il << lui ait paru souvent opposé, car Lafayette « a ménagé Brissot en plusieurs circons« tances, et notamment lors de l'affaire du « Champ-de-Mars, et Brissot a eu constam« ment beaucoup d'égards pour Lafayette « Ce général donc s'entend avec le nouveau «< ministère, pour changer le gouvernement(1), « et êtrele Wasingthon de la France. Il a une ar« mée organisée à peu près comme celle du pro<< tecteur en Angleterre, composée d'hommes qui, payés plus cher qu'ils ne le seraient chez

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(1) M. de Lafayette ne s'est jamais entendu avec ce ministère, et ce n'est pas sous le rapport de cette prétendue liaison que tout ceci est remarquable; on avait pour but de faire échouer des projets que les Brissotins avaient conçus, sans mettre les Robespierristes dans leur confidence.

«<eux pour leurs travaux habituels, ne deman« deront pas mieux, officiers ou soldats, que de << perpétuer leur existence militaire,infiniment plus agréable pour eux que leur existence <<< sociale habituelle, à laquelle le retour << de la paix les rendrait. C'est avec cette << armée victorieuse au-dehors, si la guerre << est décidée, que le parti Brissot,coalisé avec « Lafayette,renversera la royauté, et établira << une puissance sénatoriale qui satisfera l'am<< bition du parti militaire, et l'avidité du « parti civil. »

Ainsi raisonnaient les partisans de Robespierre. Qui se serait attendu à les trouver parmi les défenseurs du trône, et à leur entendre tenir un pareil langage? L'histoire de notre révolution est un tableau continuel de contrastes.

Si les hommes qui, dans des vues politiques, même bien intentionnées, imaginent des révolutions, pensaient un instant dans quels gouffres ils s'élancent, à côté de quels hommes ils se placent, quels crimes odieux ils sont forcés de tolérer, de défendre, quelquefois même de partager, ils frémiraient d'y avoir songé. Il est des personnes connues par des principes humains, et signalées comme des philosophes, qui, s'abandonnant graduelle

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ment à la pente révolutionnaire, se sont trou1792. vées unies, sans s'en apercevoir, aux cruels égorgeurs d'Avignon et du 2 septembre: étonnées d'un tel voisinage, les unes ont voulu s'en séparer, mais le retour était impossible; elles ont péri; les autres se sont confondues avec des bourreaux dont le nom seul leur eût autrefois fait horreur : séparées du monde social par une telle infamie, elles se sont vues isolées dans leur patrie, tandis que dans un temps paisible elles en eussent fait la gloire. En suivant, jusqu'à son dernier période, la marche de beaucoup de révolutionnaires, on se convaincra facilement que cette réflexion n'est point hasardée; il suffit pour cela, après avoir récapitulé tout ce qui s'est passé depuis 1789, de s'arrêter un instant à l'époque que je décris, d'observer les événemens, leurs caractères et leurs rapports immédiats avec ceux qui vont suivre.

Il s'agit ici des crimes commis à Avignon et dans tout le Comtat. Tous ces horribles détails ne peuvent être racontés; il faudrait pour tout cela une histoire particulière. Des hommes avaient été massacrés sous prétexte des intérêts du ciel, et au bruit des cantiques religieux, et d'autres avaient été obligés de creuser les fosses qui devaient les

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