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règne des lois et de la raison viendra enfin « réjouir une terre où l'on opprime au nom « de l'égalité, et où l'effigie de la liberté n'est << qu'une empreinte employée à sceller les « volontés de quelques tyrans.

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<< Il est certes bien étonnant que toutes ces <«< choses fussent assez inconnues à un membre « de l'assemblée nationale, pour qu'il eût pu « demander hautement, il y a peu de jours, <<< qu'on lui citât quelques-uns des excès de «< ces sociétés, si mal nommées Patriotiques, « et il faut en effet, que cet incroyable défi « ait frappé l'assemblée d'un grand étonne«ment, puisqu'elle ne s'est pas levée toute << entière pour lui répondre d'une manière << trop satisfesante, par la triste énumération << que je viens de faire.

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1792.

<«< Il a paru, sous le nom d'un magistrat, «une lettre qui m'a semblé bien niaise (1), << d'autres l'ont jugée pernicieuse. Ils ont cru << y voir le desir de servir les factions les plus << ennemies du bien public, et justifier les pas<«<sions les plus iniques et les plus anti-sociales, <«<et d'armer tous ceux qui n'ont rien, contre «< tous ceux qui ont quelque chose.Mais quoique << je ne connaisse point ce magistrat, et que je

(1) M. Pélion, maire de Paris.

1792.

« l'entende prôner par des gens que je « n'aime point, et pour qui je n'ai aucune «< estime, je n'ai rien vu ni dans sa conduite, << ni dans son esprit, qui m'autorise à adopter << de pareils soupçons: quoi qu'il en soit, cette <«<lettre assure, en différens endroits et de diffé« rentes manières, que la bourgeoisie n'est « plus aussi attachée à la révolution. Sice fait important est vrai, il me semble qu'il au«rait dû inspirer à ce magistrat d'autres réflexions que celles qu'on lit dans sa lettre. << Il aurait dû considérer que cette classe qu'il désigne par ce mot de bourgeoisie, étant « celle qui est placée à distance égale entre « les vices de l'opulence et ceux de la misère, << entre les prodigalités du luxe et les extrêmes «< besoins, fait essentiellement la masse du

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vrai peuple, dans tous les temps et dans << tous les lieux où l'on donne un sens aux « mots qu'on emploie; que cette classe est la plus sobre, la plus sage, la mieux active, << la plus remplie de tout ce qu'une honnête «< industrie enfante de louable et de bon; « que, lorsque cette classe entière est mé«< contente, il faut en accuser quelque vice « secret dans les lois ou dans le gouvernement. « Des lois qui rétablissent l'égalité parmi les << hommes; des lois qui ouvrent le champ le

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plus vaste et le plus libre à toute espèce de «< travaux; des lois qui, malgré les imper« fections dont nul ouvrage des hommes << n'est exempt, sont au moins évidemment << destinées à fonder la concorde et le bonheur « de tous, sur les intérêts de tous, ne peuvent << assurément pas être la cause de leur mécontentement. Il faut donc, ou que le gou<< vernement contrarie les lois, ou que le « gouvernement n'ait point de force. Si en« suite ce magistrat eût regardé autour de « lui, s'il eût vu les tribunaux sans force, les «< administrations sans pouvoir et sans consi→ « dération, la France entière alarmée sur << l'état de ses finances, sur celui de sa dette > <«< sur les contributions, sur la fortune publique, et par conséquent, les particuliers in<< quiets sur leur fortune privée, la défiance ou « l'effroi arrêtant ou précipitant les transac<< tions commerciales, les spéculations les << plus légitimes devenues dangereuses; vingt << tentatives pour taxer le prix des denrées; « le discrédit de nos papiers, effet infaillible « de toutes ces causes, il n'aurait pas été em« barrassé de rendre raison de ce grand nom«bre de mécontens qui se grossit tous les jours: il eût ensuite cherché d'où peut naître « un relâchement si incroyable dans toutes

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1792.

1792.

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les

parties du

gouvernement, et cette ter<< reur des bons, et cette audace des méchans; « je doute que ses yeux eussent cherché à se «< fixer ailleurs que sur ces sociétés, où un <«< infiniment petit nombre de Français parais« sent un grand nombre, parce qu'ils sont « réunis et qu'ils crient.

« Et alors, comparant leur action et leur organisation avec les idées qu'il doit s'être « faites d'un état libre et bien ordonné, il «< aurait, je pense, conclu avec moi et avec « tout lecteur qui n'est pas un des fripons inK téressé à tant de désordres, ou un imbé« cille à qui tous raisonnemens sont inter

dits, qu'il est absolument impossible d'éta« blir et d'affermir un gouvernement à côté « de sociétés pareilles; que ces clubs sont et «< seront funestes à la liberté; qu'ils anéanti<< ront la constitution; que la horde énergu<<< mène de Coblentz n'a pas de plus sûrs auxi

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liaires; que leur destruction est le seul re« mède aux maux de la France, et que le << jour de leur mort sera un jour de fête et d'alégresse publique. Ils crient par-tout que la patrie est en danger; cela est malheureuse<< ment bien vrai; et cela sera vrai tant qu'ils << existeront. >>

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L'auteur ne s'est trompé dans tout cela

pas

que sur un point; je veux dire, en ce 1792. qu'il annonce que les émigrés n'avaient de plus sûrs auxiliaires que les sociétés dites Patriotiques: au moins, s'il en était ainsi, il faut convenir que les auxiliaires ont bien mal servi l'armée principale, toujours battue, sans être une seule fois restée maîtresse du champ de bataille. M. Chénier, en traçant un tel portrait, attirait sur lui la plus implacable vengeance; aussi ne vit-il pas entièrement accomplir ses prédictions.

Le sort de ce jeune homme me fournit l'occasion de faire remarquer l'énorme différence que la révolution mit dans le sort des parens les plus proches; l'étonnante disparité qu'elle fit ressortir de leurs sentimens, de leurs opinions, de leur caractère. Les Jacobins n'avaient pas d'adversaire plus intrépide, plus redoutable que M. André Chénier, et M. Marie-Joseph Chénier, son frère, était un de leurs plus audacieux coryphées: l'un les attaquait à outrance dans le Journal de Paris; l'autre les défendait de toutes ses forces dans le Moniteur: M. André Chénier les foudroyait, chaque jour, par une dialectique sûre, sévère, par une prose aussi belle que et M. Marie-Joseph les célébrait aussi en prose, et dans des vers quelquefois assez

nerveuse

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