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1791.

Condorcet elle était jeune et extrêmement
jolie. On crut voir que pendant ces élec-
tions, auxquelles son mari avait des préten-
tions, elle développoit encore plus de grâces
dans son maintien, plus d'élégance et d'at-
traits dans son ajustement; et l'on disait qu'il
n'était
pas possible d'éconduire l'époux d'une
aussi charmante solliciteuse. Les opérations
terminées, on crut s'apercevoir que la belle
moitié du philosophe avait voilé ses grâces
électorales d'un linge mieux tissu, et chacun
se disait: Madame de Condorcet a mis son
fichu, les élections sont faites.

Il y avait un autre personnage que tout le monde, excepté les Cordeliers, ses amis, craignaient de voir chargé de quelque fonction publique; ce personnage était Danton, que la cour acheta plusieurs fois, mais qui n'étant pas traité par elle comme il avait espéré de l'être, devint son ennemi le plus acharné, je dirai même le plus redoutable. Cet homme avait deux mandats d'arrêt contre lui, l'un pour dettes, et l'autre pour avoir été un des chefs du complot dont la fameuse affaire du Champ-de-Mars fut le résultat. Ces deux circonstances s'opposaient à ce qu'il devînt électeur et éligible, et cependant il fut l'un et l'autre, je veux dire membre de l'assemblée

électorale et nommé substitut du

procureur

de la commune de Paris. Les huissiers qui furent envoyés pour mettre à exécution les décrets de justice, faillirent être assassinés par la populace dirigée par le club des Cordeliers, dont Danton était le chef: la puissance de l'assemblée nationale toute entière fut compromise dans cette circonstance; Danton y comptait à peine sept à huit partisans. C'est ainsi qu'un seul homme, à peine connu deux ans auparavant, triompha d'une puissance qui étonnait encore et faisait trembler l'Europe.

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Les opérations de l'assemblée électorale furent, comme je l'ai déja dit, le prétexte de toutes sortes de rixes, et réchauffèrent dans les ames l'animosité et la haine, elle ne put ellemême rester formée en un seul corps; elle se divisa: la portion la plus nombreuse fut tenir ses séances dans l'église de la Sainte-Chapelle, et l'autre continua de se réunir dans une des salles de l'Archevêché; cette scission forma deux clubs, celui de la Sainte-Chapelle, et celui de l'Evêché. Ceux qui composaient le premier, voulaient le maintien de la constitution, et ceux qui étaient du second, poussaient à une révolution nouvelle, d'où il est aisé de conclure que les électeurs du club de la Sainte

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Chapelle furent proscrits par les électeurs de l'Evêché et par tous les révolutionnaires qui suivirent leur système. Ce qui n'est pas indigne de remarque dans tout ceci, c'est que toutes les députations séditieuses qui causèrent les émeutes et les diverses secousses révolutionnaires qu'on verra bientôt se succéder, se rassemblèrent constamment à l'Evêché. Ce lieu n'était pas mal choisi.

On vient de voir quel était la déplorable situation de l'intérieur de la France : une constitution inexécutable, des haines, des divisions, des complots, ou des projets de complots par-tout; le délire enfin dans toutes les têtes; voilà le dédale où les Français se trouvaient enfermés à l'époque que je rappelle; mais ils n'étaient pas plus heureux dans leurs rapports avec l'étranger. Une portion considérable d'entr'eux, persécutée par la masse de la nation, allait solliciter des vengeurs chez les nations voisines, et trouvait leurs chefs disposés à embrasser leur cause, A Pilnitz, le chef de la maison d'Autriche et le roi de Prusse, naturellement rivaux, se coalisaient cependant contre la France, sous le prétexte d'y rétablir l'ordre. Cet accord est un monument historique qu'il convient de rapporter ; il y a lieu de croire qu'on

y joignit d'autres dispositions secrètes qui 1791. furent le principe des événemens dont la Pologne fut bientôt le théâtre; en un mot, que l'une et l'autre puissances fondèrent leurs projets d'agrandissement sur des bouleversemens qu'ils disaient vouloir empêcher, et jetèrent, par cet acte, dans toute l'Europe, un germe de division qui n'est pas encore détruit. Le voici, en ce qui nous concerne.

« Sa majesté l'empereur, et sa majesté le « roi de Prusse, ayant entendu les desirs de «Monsieur et de M. le comte d'Artois, décla<< rent conjointement qu'elles regardent la « situation où se trouve actuellement sa << majesté le roi de France, comme un objet « d'un intérêt commun à tous les souverains << de l'Europe; elles espèrent que cet intérêt « ne peut manquer d'être reconnu par les << puissances dont le secours est réclamé, et «< qu'en conséquence elles ne refuseront pas d'employer, conjointement avec leursdites «< majestés, les moyens les plus efficaces, << relativement à leurs forces, pour mettre « le roi de France en état d'affermir, dans << la plus parfaite liberté, les bases d'un « gouvernement monarchique, également « convenable au bien-être des souverains et au

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« bonheur des Français. Alors, et dans ce cas, <«<leursdites majestés sont décidées à agir « promptement et d'un mutuel accord, avec « forces nécessaires, pour obtenir le but pro« posé et commun. En attendant, elles don« neront à leurs troupes les ordres convena«bles pour qu'elles soient à portée de se «mettre en activité.

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Munis d'une telle promesse, les frères du roi, de concert avec les autres émigrans, publièrent la lettre suivante, adressée à sa majesté; mais elle ne fut connue en France qu'après l'acceptation de l'acte constitutionnel. Le monarque, attentivement observé avant cette époque, n'aurait pu en avoir connaissance.

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