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pères de famille des réflexions salutaires et à l'autorité militaire certaines mesures dans le détail desquelles nous entrerons plus loin, afin de préserver dans la mesure du possible nos enfants à peine conscients, contre le danger qui les guette à l'arrivée au régiment.

A l'égard des réservistes et des hommes de la territoriale, il ne serait pas non plus oiseux de prendre certaines mesures prophylactiques, sinon pour éclairer leur conscience, du moins pour les empêcher matériellement de contracter et de porter ensuite dans leurs villages ou du moins au foyer conjugal la terrible maladie. Or, on ne saurait croire le nombre de réservistes et des territoriaux qui contractent la syphilis pendant leurs courtes périodes d'instruction. Échappant à tout contrôle, excités par diverses influences qui les font sortir de leur régime habituel, ils commettent souvent des écarts qui leur coûtent cher.

Ces cas de syphilis, tardivement contractés au service, échappent à la statistique qui ne porte que sur les hommes de l'armée active, mais on en apprécie l'importance quand on a l'attention éveillée sur ce détail.

Nous venons de voir l'étendue du mal dénoncé par une statistique aussi rigoureuse que possible, quels seraient les remèdes ? Il est de toute évidence que les remèdes seraient de tarir le mal dans sa source, en éteignant la syphilis chez la femme, et en empêchant les hommes de s'exposer aux dangers de contagions: mais les moyens d'arriver à ce double résultat? Il est facile d'en imaginer de nombreux dans le silence du cabinet, autre chose est de les appliquer.

Or, après mûres réflexions et après avoir pris conseil de médecins connaissant dans ses détails la vie militaire, nous nous sommes arrêter à proposer les moyens suivants :

1. Il faudrait, tout d'abord, qu'aucun syphilitique n'échappât au contrôle médical: parce que les syphilis ignorées, méconnues, dissimulées, non soignées sont celles qui menacent le plus l'avenir de l'individu et de sa famille, et les malades ainsi atteints sont les propagateurs par excellence de la maladie.

Or, comment les militaires syphilitiques échappent-ils au contrôle médical? C'est pour trois raisons :

1o Les uns contractent la maladie sans le savoir (syphilis ignorées de bonne foi). Parfois le chancre est si minime qu'il n'est pas

perçu par le malade et les accidents secondaires sont si peu importants qu'ils ne sont perçus ni par le malade ni par le médecin du régiment.

La recherche de ces cas offre, à vrai dire, de grandes difficultés pratiques, mais fort heureusement, ils sont exceptionnels;

2o Le plus souvent, l'homme sait qu'il a contracté une maladie vénérienne; deux cas alors se présentent : ou il en ignore l'importance ou il la dissimule pour mille et une raisons que nous dirons plus loin.

PREMIER CAS.

La nature de la maladie est ignorée du malade. Pour obvier à cette éventualité, il ne serait pas mauvais que l'on donnât aux soldats, aux sous-officiers, aux officiers quelques notions médicales au sujet des maladies vénériennes.

Ces notions seraient données de la manière suivante :

1o Par les médecins de régiment qui, chaque fois qu'ils verraient un syphilitique. ne manqueraient pas de lui dire en quelques mots discrets la gravité de la maladie qu'il a contractée, la nécessité des soins réguliers et prolongés, et l'avertir que pendant tout le cours de son existence, quelles que soient les raisons pour lesquelles il appellera un médecin, il aura à leur dire qu'il a eu la syphilis en telle année;

2o Les médecins aides-major de régiment ne perdraient rien de leur autorité en faisant aux sous-officiers, parmi les conférences réglementaires, une conférence annuelle sur la syphilis, ses ravages, son traitement et sa prophylaxie;

3o Les médecins-major de régiment qui réglementairement doivent faire aux officiers des conférences d'hygiène, consacreraient tous les ans trois quarts d'heure à leur parler de la syphilis; des dangers qu'elle fait courir aux jeunes soldats en particulier, de la dépréciation qu'elle amène chez les hommes qu'elle atteint, du danger de la prostitution clandestine. L'ignorance des officiers. sur ces matières est digne d'être remarquée. Beaucoup d'entre eux qui ont des connaissances générales extrêmement étendues, quelquefois excessives quand elles portent sur les sujets d'ordre médical, sur les microbes en particulier, sont d'une ignorance absolue à l'égard des maladies vénériennes; ils sont par trop unicistes et gagneraient vraiment à être instruits de ce sujet, dut-il n'en découler aucune conséquence pratique. Mais les conséquences pratiques ne tarderaient pas à sourdre et à récompenser le labeur du

médecin, car les officiers, le capitaine en particulier, prenant au sérieux le rôle d'éducateur, ne manqueraient pas, une fois instruits, même sommairement, d'avertir leurs soldats des périls qu'entrainent les fréquentations douteuses, avec la réserve qui convient en pareille matière.

5o Dans toutes les salles d'hôpital, qui sont réglementairement dotées d'une bibliothèque (art. 444 du règlement), dans les infirmeries régimentaires, qui sont pourvues d'une petite bibliothèque, (art. 80 du règlement), un petit manuel semblable à celui du brancardier militaire serait à la disposition de tous les lecteurs désœuvrés le manuel, redigé simplement, en quelques pages pourrait renfermer d'excellentes choses sur les maladies vénériennes en général, et la syphilis en particulier, sur son diagnostic, son pronostic suivant qu'elle est ou qu'elle n'est pas traitée convenablement, sur la syphilis tertiaire, ses dangers pour le malade et pour sa descendance et sur les moyens prophylactiques. Mais, dira-t-on de tels enseignements sont de nature à créer une syphilophobie endémique. Nous avouons que ce ne serait pas pour nous déplaire, la crainte de la vérole n'étant pas loin d'être le commencement de la sagesse.

DEUXIÈME CAS. -11 peut arriver que la nature de la maladie soit ignorée non seulement du malade, mais du médecin sans vouloir faire injure à nos confrères de l'armée, nous pouvons, au nom de notre expérience personnelle, appeler leur attention sur la difficulté parfois extrême du diagnostic de la syphilis; d'ailleurs, un de nos amis médecin, militaire, nous avouait récemment avoir tiré de la fréquentation assidue du service de M. le professeur Fournier à Saint-Louis, un profit inqualifiable. La vérité est que le diagnostic du chancre syphilitique est parfois extrêmement difficile et qu'un médecin instruit et soigneux peut très bien commettre des erreurs. Aussi conseillons-nous à nos confrères de l'armée la précaution suivante: Chaque fois qu'un homme atteint d'ulcération à la verge se présente à sa visite, prendre de suite l'observation sur un cahier spécial, qui sera gardé dans les papiers secrets et transmis précieusement par le médecin à son successeur; rechercher la date du dernier coït. L'époque exacte d'apparition de l'ulcération et, si possible, l'adresse de la femme suspecte. S'il y a doute sur la nature de la maladie, surveiller le malade tous les jours en le prenant à l'infirmerie; s'il n'y a pas de doutes, le soigner encore à l'infirmerie

et non à l'hôpital; le maintenir à l'infirmerie tant qu'il y a danger de contamination; lui faire rependre son service, mais le faire revenir aussi souvent qu'il faut à la visite pour surveiller l'évolution de la maladie, l'apparition de la vérole, des plaques muqueuses, etc. et surtout pour appliquer le traitement : Le plus souvent, le soldat syphilitique est soigné deux ou trois mois à l'hôpital pendant la durée de son chancre, puis il est perdu de vue indéfiniment, ou bien jusqu'à ce qu'apparaisse une grave manifestation secondaire. Ce n'est pas ainsi que les choses doivent se passer. Le soldat a droit à la surveillance médicale prolongée pendant toute la durée de son séjour sous les drapeaux. Or, le traitement de la syphilis exige au moins deux ans (1).

Notons en outre qu'avec cette façon de procéder, le médecin du régiment se créerait des titres à la reconnaissance du soldat et verrait troître de jour en jour son autorité morale, la seule sur laquelle il puisse sûrement compter.

TROISIÈME CAS. — Il arrive, avons-nous dit, que le syphilitique militaire dissimule autant qu'il le peut sa maladie, au grand détriment de sa santé future. Il nous faut chercher les causes de cette dissimulation: le remède découlera naturellement de cette enquête.

Le soldat dissimule pour les raisons suivantes : premièrement et c'est là la raison majeure, parce qu'il lui répugne de savoir son malheur connu de ses camarades. Il faut savoir comment les choses se passent à la visite régimentaire pour comprendre le bien fondé de cette appréhension. La visite est pour ainsi dire publique; les fiévreux, les écorchés, les soi-disant carottiers, les vénériens passent par fournées de 4, 6, 10 hommes dans la salle de visite et sont ainsi interrogés à tour de rôle en présence de leurs

(1) Voici celui qui serait à conseiller à nos confrères de l'armée à cause de sa précision, de sa simplicité, de son innocuité absolue et de l'absence de douleur. Il ne nécessite pas la moindre interruption de service; c'est celui que nous employons à Saint-Lazare depuis plus de quatre ans : injection intrafessière de quatre gouttes d'huile grise au moyen d'une seringue stérilisable, repétée tous les huit jours pendant les six premières semaines, deux mois de repos, puis huit autres injections hebdomadaires, trois mois de repos, et enfin, huit autres injections. Elle pourrait être livrée par la pharmacie centrale des hôpitaux militaires tout comme le sont les pilules de protoiodure. Elle se conserve aussi bien que ces pilules.

camarades. Le secret professionnel est donc tout a fait impossible à garder dans l'état actuel de nos mœurs. L'habitude seule peut faire tolérer de semblables procédés qui ne révoltent personne, mais intimident certains jeunes gens désireux de ne pas étaler leurs misères devant des camarades, devant des compatriotes le plus souvent qui iront narrer plus tard dans le pays les choses dont ils ont été témoins involontaires ou curieux. Après la visite du médecin, des facéties, des plaisanteries faciles et d'un goût douteux agrémentent la séance en attendant que chacun recoive les soins ou les médicaments prescrits.

Cette regrettable promiscuité pourrait être évitée Les visites devraient être individuelles, en présence d'un seul infirmier auquel il serait aisé de faire comprendre que la discrétion est l'honneur du médecin et de ses aides. Les malades se présenteraient alors à la visitesans craindre la dévulgation de leurs misères, sachant que le secret leur serait gardé dans la mesure du possible. Cette première partie du programme n'est pas difficile à remplir. Mais la question. se complique quand le malade ayant été reconnu syphilitique il faut libeller le diagnostic. sur le cahier de visite de la compagnie, sur le cahier d'entrée à l'infirmerie ou sur la feuille d'entrée à l'hôpital. Ne pas déclarer le diagnostic c'est tourner le règlement et fausser la statistique; le déclarer, c'est éloigner le malade et favoriser toutes les tentatives de dissimulation. Comment faire? Un de nos amis n'avait pas hésité à sacrifier l'exactitude de la statistique à l'intérêt des malades: s'étant entendu avec un de ses amis chef de service à l'hôpital militaire du lieu, il lui envoyait avec le diagnostic: hémorrhoïde ou entorse du poignet tous les syphilitiques qui sûrs dès lors de l'impunité et surtout du secret n'hésitaient pas à se présenter à la visite à la moindre alerte. Pour résoudre la difficulté, le mieux serait peut-être de ne pas envoyer les malades à l'hôpital, pour ne pas multiplier les contrôles, de les garder à l'infirmerie, de n'apposer le diagnostic de syphilis qu'à ceux dont on aurait préalablement acquis le consentement. Bref, agir suivant ses inspirations, mais en ayant toujours présente à l'esprit la notion du secret professionnel qui nous semble devoir lier le médecin militaire à peu près autant que ses confrères civils. D'autant que dans l'espèce, l'observance de ce secret ne fait de tort qu'à l'exactitude de la statistique. S'il s'agissait d'un personnage important, d'un fils de haut fonctionnaire soucieux de ne pas voir ébruiter son

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