Page images
PDF
EPUB

à accroître la dépopulation dont, il faut cependant le reconnaître, la vraie cause est le malthusianisme, si en honneur dans les classes aisées.

Ce n'est donc pas sans motifs qu'a été jeté le cri d'alarme contre le péril social créé par le fiéau vénérien.

Or, pour combattre ce fléau et en arrêter les progrès, il faut s'attaquer à sa source, c'est-à-dire à la prostitution malsaine.

Peut-on, ainsi que cela a été écrit dans quelques ouvrages, songer à supprimer la prostitution? C'est, à notre avis, une utopie; et nous ajouterons : si, par hasard, la chose était réalisée, ce serait une atteinte à la liberté privée, car cet acte, que l'on désigne par le terme de prostitution, est un acte inhérent à l'organisme animal et chacun, en tant qu'être social, est libre de l'accomplir, pourvu qu'il ne porte ni atteinte ni préjudice à autrui.

La même idée se trouve exprimée dans les lignes suivantes : « Il serait inutile, a écrit Jeanhenry, ancien procureur général suisse, de se dissimuler que la prostitution est d'autant plus difficile à combattre qu'elle repose sur une véritable loi naturelle (1). «

Si la prostitution était saine, il n'est pas douteux que nous serions tous partisans de la laisser absolument libre de toute réglementation Mais, puisqu'il n'en est pas ainsi, puisqu'il est prouvé que ce sont les prostituées clandestines, c'est-à-dire les prostituées qui ne sont assujetties à aucune visite médicale qui constituent le principal foyer des maladies vénériennes et qu'elles sont, par conséquent, plus dangereuses, puisqu'elles peuvent transmettre la contagion de leur affection, sans qu'aucune entrave soit apportée à la liberté de leur commerce" (MARTINEAU), il est bien naturel que l'on cherche à instituer des mesures de protection générale.

Quelque sacré que soit le principe de la liberté individuelle, l'intérêt privé doit céder le pas à l'intérêt général...

N'est-ce pas le but que l'on poursuit en prescrivant les quarantaines et les mesures hygiéniques qui visent les épidémies et certaines maladies contagieuses (rougeole, variole, scarlatine, diphtérie, choléra, etc.), et en édictant des règlements auxquels sont soumises les industries insalubres nuisibles et dangereuses pour la santé publique.

Bien peu de voix se sont élevées pour en contester l'utilité :

(1) Revue de Morale progressive (août 1892).

Aussi ce n'est pas sans surprise que l'on voit les partisans de la liberté réclamer, au nom de l'autonomie individuelle, en faveur de la prostitution malsaine qui, en diffusant la syphilis et la blennorrhagie, maladies contagieuses au premier chef, fait d'innombrables victimes dans toutes les classes de la société, qu'elle atteint jusque dans l'œuf.

[ocr errors]

Les arguments développés par les partisans de la prostitution libre sont trop connus pour que j'aie besoin d'insister. Les insou"mises, a dit M. Yves Guyot dans un livre où la question sociale " est envisagée, sont moins dangereuses que les filles inscrites, " car elles sont moins souvent atteintes de maladies vénériennes " que ces dernières (1). Cette affirmation péche par la base, car la comparaison établie par cet auteur ne porte que sur un nombre restreint de sujets connus, la majorité des insoumises restant inconnue. Il y a donc lieu de faire des réserves sur ce jugement qui s'appuie, non sur des faits, mais sur le singulier raisonnement suivant : Les insoumises ne doivent pas être malades, puisqu'elles ne se présentent pas aux visites médicales. Ab uno omnes disce.

Il faut, a écrit M. le D' Fiaux, établir l'autonomie individuelle " sans laquelle les autres libertés sont de pures chimères (2).

"

H

Nous serions prêts à nous rallier à cette opinion, à la condition que la liberté individuelle restât toujours inoffensive. Or, tel n'est pas le cas pour la prostitution malsaine; aussi dirons-nous avec Barthélemy. La liberté de l'individu ne saurait s'étendre jusqu'au point de compromettre les intérêts du plus grand nombre (3), " ou encore avec Thiry: La liberté qui permet l'empoisonnement de toute une population ne mérite plus le nom de liberté (4) " C'est en vertu des mêmes principes et au nom du vrai socialisme que la société a le devoir de protéger l'individu qui s'expose à contracter la syphilis ou la blennorrhagie. S'il était seul en jeu, si les conséquences n'en devaient pas se généraliser à un plus ou moins grand nombre d'individus, elle ferait, en imposant des précautions sanitaires, preuve d'un arbitraire nullement justifié : La question,

(1) Yves Guyor: Le Prostitution, Paris, 1882.

(2) Dr FIAUX Rapport de 4883.

(3) Dr T. BARTHÉLEMY: Syphilis et santé publique, Paris, 1890, p. 308. (4) THIRY: De la Prostitution, Bruxelles, 1886.

surplus, est au moins discutable... Mais ce n'est pas un seul homme que la maladie va tarer, c'est une ou plusieurs générations, c'est la race vouée, en un temps plus ou moins éloigné, à la dégénérescence, sinon à la ruine.

On a encore objecté contre la réglementation l'insuffisance de ses résultats. C'est l'une des armes des partisans de la libre prostitution et, certes, ce n'est pas la plus mauvaise. Nous sommes, en effet, les premiers à reconnaître que, telle qu'elle est actuellement mise en vigueur, à Paris tout du moins, la réglementation est absolument insuffisante. Cela tient, d'une part, à ce qu'elle n'est appliquée qu'à l'égard d'un petit nombre de prostituées, et, d'autre part, à ce qu'elle est mise en pratique de telle sorte qu'elle a pour conséquence une diminution croissante de la prostitution soumise au profit de la prostitution clandestine. Or, il est de notoriété publique que ce sont les prostituées clandestines, en particulier les mineures, qui font courir le plus de dangers à la société. Il est donc de toute nécessité de les mettre dans l'impossibilité de propager les maladies vénériennes.

Mais, tout en notant que la surveillance doit surtout s'exercer sur la prostitution clandestine, nous estimons qu'elle ne doit pas se désintéresser de la prostitution inscrite, car les résultats que donnent chez ces dernières les visites sanitaires ne sont pas dénués de toute valeur. Les chiffres suivants, que je me permets de soumettre aux apôtres de la liberté de la prostitution, en sont une preuve: Dans un article: Prostitution. Syphilis, dit Mr le Dr " Butte (1), médecin du Dispensaire de Salubrité, j'ai donné les " chiffres qui montrent que de 1859 à 1889, c'est-à-dire pendant "trente années, le Dispensaire de Salubrité de la ville de Paris a "reconnu l'existence de la syphilis 31,228 fois chez les prostituées de toutes les catégories.

"En fixant à un mois le séjour à l'infirmerie spéciale pour chaque cas, chiffre au-dessous de la réalité, nous voyons que, pendant 936,840 journées, ces filles ont été mises dans l'impossibilité de " nuire.

"Si l'on songe que la plupart d'entre elles voient au moins quatre " ou cinq hommes par jour, on est véritablement stupéfait du

(1) BUTTE: Prostitution et syphilis, in Ann. de la polyclinique, Paris, 1894.7

" nombre considérable d'individus qui, grâce à la surveillance " médicale, ont été préservés d'un contact dangereux. "

u

Ces chiffres n'ont-ils pas une certaine éloquence, quand on songe à ce que donnerait la liberté de la prostitution? L'expérience, d'ailleurs, en a été tentée dans certains pays et nous savons (en ce qui regarde l'élément civil) que peu d'années se sont écoulées sans que l'on aiteu à en déplorer les résultats. C'est, d'ailleurs, ce que l'on constate également dans les villes où il n'existe qu'un semblant de surveillance des prostituées. Blennorrhagiques et syphilitiques y circulent librement en semant l'ivraie, dont les membres des Ligues abolitionnistes eux-mêmes peuvent un jour devenir les victimes.

Toutefois, si nous estimons qu'il y aurait danger et faute à laisser la prostituée absolument libre, nous ne faisons aucune difficulté pour nous déclarer l'adversaire des systèmes de réglementation qui ne reposent que sur des bases coercitives.

Puisque la prostitution ne peut pas ne point exister, on doit, pour diminuer, autant que possible, les dangers qu'elle fait courir à la société, la soumettre à une surveillance effective qui amène toutes les femmes malades à réclamer d'elles-mêmes, plutôt qu'à les subir, les soins qu'exige leur état.

Il faut assainir la prostitution insalubre.

C'est le devoir auquel ne doit manquer aucune société soucieuse de sa vitalité.

La plupart des Gouvernements n'en ont-ils pas reconnu l'importance et la nécessité, comme le démontre l'existence des institutions réglementaires que chacun d'eux a promulguées? Mais, pour différentes raisons, dans le détail desquelles les limites de ce rapport ne nous permettent pas d'entrer, le but poursuivi n'a pas été atteint.

Nous n'avons guère à nous en étonner si l'on constate que, dans tous les règlements, la prostitution est considérée comme un délit, et la prostituée malade comme une coupable.

11 est temps de rompre avec ces anciennes traditions, vestiges d'une époque peu regrettable, et les médecins ne devront s'arrêter dans cette voie humanitaire que le jour où ils seront parvenus à inculquer aux administrations gouvernementales ce principe: La femme atteinte de maladies vénériennes est une malade, qui a droit aux mémes soins que toutes les autres malades: Elle doit étre hospitalisée... Nous ne pouvons entrer dans la critique des nombreux projets de

réforme qui ont été proposés depuis quelques années sur la réorganisation du service sanitaire relatif à la prostitution. Chacun de ces projets, dans cette question d'hygiène publique et sociale, inséparable de l'organisation de tout État, a concouru à accentuer le mouvement d'impulsion qui doit faire aboutir à des réformes véritablement efficaces.

Ces réformes s'imposent pour la ville de Paris en particulier et nous sommes convaincus qu'elle serait la première à applaudir à la réalisation de cette œuvre utile, essentiellement humanitaire, si la réorganisation de ce service reposait sur les principales bases suivantes :

1o Création d'un asile sanitaire spécial, dépendant de la Préfecture de la Seine, soumis aux règlements et régime des hôpitaux. Dans cet asile seront envoyées et traitées jusqu'à guérison toute prostituée inscrite malade et seront admises, après visite à la consultation externe, toute femme reconnue malade. Consultations externes quotidiennes.

Suppression de la section-prison de Saint-Lazare et transformation de cet établissement en cet asile, 'qui portera le nom d'Institut sanitaire. Cet institut serait, en outre, un centre d'enseignement, comme il l'est actuellement. L'administration en serait confiée à des laïques.

2o Création, dans les différents quartiers de Paris, de Dispensaires de consultations; toute vénérienne qui s'y présentera recevra un billet d'entrée pour l'Institut sanitaire.

30 Maintien de l'inscription volontaire pour les prostituées majeures seules. Obligation de se soumettre à une visite bi-hebdomadaire dans les Dispensaires ou à la consultation de l'Institut.— Obligation d'entrer à l'Institut, si elles sont reconnues malades. En cas de contravention à ces obligations, l'entrée d'office à l'Institut est obligatoire.

Toute infraction, pour les filles inscrites, aux lois, décrets ou ordonnances relatives à la police de la rue, sont justiciables des tribunaux ordinaires.

30 Surveillance plus active des insoumises connues, et de toutes les maisons de passe, qui sont bien connues de la police. Obligation de se soumettre à une visite bi-hebdomadaire dans les Dispenpensaires ou à l'Institut. Une carte délivrée à la consultation servira de contrôle.- Toute insoumise malade sera envoyé à l'Institut.

« PreviousContinue »