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temps nécessaire pour mener à fin, sans désemparer, le procès criminel, intenté dans ce dernier pays. Il est donc préférable, à tous égards, que la procédure commencée dans le pays de refuge achève son cours, avant que l'individu réclamé soit livré au pays requérant. Le gouvernement requis, une fois le jugement prononcé, aura à examiner la question de savoir si l'extradition doit avoir lieu, sans attendre que la condamnation prononcée soit purgée.

2o Il peut arriver que l'individu réclamé soit poursuivi dans le pays requis, et ait été condamné antérieurement dans le pays requérant. Ce peut être, par exemple, un condamné, qui, après s'être évadé de la prison où il subissait sa peine, a commis une infraction dans le pays voisin où il s'était réfugié. La solution indiquée pour le cas précédent s'applique à cette seconde hypothèse. Il est naturel que le pays de refuge retienne l'accusé, jusqu'à ce qu'il ait purgé l'accusation qui pèse sur lui. L'interruption apportée à l'exécution de la peine dans le pays requérant ne présente aucun inconvénient. Le pays requis est donc fondé à suspendre les effets de l'extradition, pour donner suite au procès criminel, intenté au réfugié.

3o L'individu réclamé peut avoir été déjà condamné dans le pays de refuge, et se trouver seulement sous le coup d'une accusation dans le pays requérant. La question est alors plus délicate. Pour déterminer la solution pratique, qui convient le mieux aux intérêts de la justice, il faut tenir compte surtout de la gravité des actes incriminés et des conséquences pénales qui en résultent.

Si l'individu réclamé a été condamné, dans le pays de refuge, à une peine relativement courte et dont la durée ne risque pas de compromettre l'issue du procès intenté dans le pays requérant, rien n'empêche que sa livraison soit retardée jusqu'à l'expiration de la peine.

S'il y a été condamné à une peine relativement forte, il convient, comme nous l'avons dit, que son jugement, dans le pays requérant, ne soit pas renvoyé à une époque trop lointaine. A cet effet, il peut être mis temporairement à la disposition du pays requérant, pour être restitué au pays de refuge, une fois l'accusation purgée. En d'autres termes, l'extradition sera autorisée et effectuée immédiatement, sous la réserve que l'extradé

sera restitué, après jugement, pour achever de subir la peine prononcée contre lui dans le pays de refuge.

L'extradé, livré sous cette réserve, est jugé dans le pays requérant. Il peut arriver alors que l'État, qui l'a livré, estime que la condamnation prononcée dans le pays requérant constitue, à elle seule, une expiation suffisante pour toutes les infractions commises par l'extradé. Dans ce cas, cet État se désistera de la réserve mise à l'extradition et laissera définitivement l'extradé à la disposition du pays requérant.

L'extradition aurait pu, dès le début, être autorisée sous la réserve que l'extradé serait restitué, en cas d'acquittement ou de condamnation inférieure à celle qu'a prononcée le pays requis.

Nous n'essayerons pas de donner la liste de toutes les combinaisons analogues qui peuvent intervenir. Elles varieront suivant les circonstances et selon les facilités présentées par la constitution des deux pays contractants. Elles seront arrêtées, pour chaque cas particulier, à la suite d'une négociation suivie par la voie diplomatique.

4° Enfin l'individu réclamé peut être sous le coup de deux condamnations prononcées, l'une, dans le pays requis, l'autre, dans le pays requérant. Le pays de refuge se demandera s'il y a lieu, dans l'intérêt général, de différer l'extradition jusqu'au jour où le condamné aura subi entièrement sa peine. Peut-être jugera-t-il préférable de faire abstraction de la condamnation prononcée dans le pays de refuge et de livrer immédiatement le condamné au pays requérant. Ce n'est point le cas, sans doute, d'appliquer la maxime de l'ancienne jurisprudence, major pœna minorem absorbet; car le principe de la confusion des peines n'est pas admissible dans les rapports de deux justices étrangères. Mais, si la condamnation prononcée dans le pays requérant est bien supérieure à celle que l'individu réclamé devrait subir dans le pays requis, il est évident que ce dernier pays aura des motifs pour trouver la première suffisamment expiatoire, et pour renoncer à garder le coupable. Il peut aussi y avoir intérêt manifeste à ce que la condamnation prononcée dans le pays requérant, quoique non supérieure, soit subie la première; dans ce cas, le condamné devra être livré, sous réserve de restitution après la peine subie.... Le champ reste ouvert à une foule d'autres combinaisons que les circonstances suggéreront et dont la diplomatie arrêtera les termes.

Peut-être serait-on tenté de croire ces combinaisons inapplicables, en raison des obstacles apportés par la législation du pays requis, et par le principe de la séparation des pouvoirs. Il s'agit d'un individu déclaré coupable par le pouvoir judiciaire, et condamné conformément aux lois : le pouvoir exécutif a-t-il le droit d'interrompre l'exécution de la peine, ou d'en faire cesser prématurément les effets, pour livrer le condamné, sous réserve ou même sans condition, au pays requérant? - Le soin de faire exécuter la condamnation prononcée par le pouvoir judiciaire appartient à l'administration, c'est-à-dire au pouvoir exécutif; il est dès lors difficile, en l'absence d'une prohibition légale, de lui contester le droit de suspendre l'exécution de la peine, pour livrer le condamné, sous réserve de restitution. S'agit-il de livrer ce condamné, définitivement et sans condition, avant l'expiration de la peine? Le pouvoir exécutif n'a qu'à provoquer une mesure de grâce une fois gracié, l'individu réclamé se trouve à la disposition du pouvoir exécutif, qui est libre de donner suite aux arrangements intervenus.

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Une objection plus sérieuse se présente, lorsque l'individu réclamé appartient, par sa nationalité, au pays requérant. Son extradition, peut-on dire alors, ne saurait être accordée, sous réserve de restitution; le pays requérant ne peut s'engager à restituer ultérieurement l'extradé: car ce serait, contrairement au principe admis, autoriser l'extradition d'un national. Nous ne pensons pas que cette objection soit de nature à faire avorter la négociation. Il n'est pas exact de dire que le pays requérant consente, dans ce cas, à l'extradition d'un national. Ce dernier sera restitué au pays de refuge, non pas comme extradé, mais par suite de la condition acceptée lors de sa réception. Aucune des conséquences, aucune des règles de l'extradition ne lui est applicable. Le pays de refuge n'a aucune preuve à fournir, le pays d'origine aucune vérification à faire. Le prévenu, une fois restitué au pays de refuge, y sera jugé, comme s'il ne l'avait pas quitté, sans réserve des faits non passibles d'extradition. - Sur quel motif, d'ailleurs, se fonde la règle qui interdit l'extradition d'un national? Sur l'intérêt même de ce national. Eh bien! de deux choses l'une : ou le pays requérant, dès le début de l'affaire, ne voudra pas sousorire à la réserve posée par le pays de refuge, et alors l'individu réclamé restera soumis, dans ce dernier pays, à l'application des lois; ou bien le pays requérant acceptera la condition, et le pré

venu, une fois restitué, retombera sous l'application de ces mêmes lois. Dans les deux cas, la situation est la même, et l'intérêt du national n'a point à souffrir de la décision de son pays d'origine. - Nous allons plus loin. Dans le cas même où le national aurait à souffrir de sa restitution au pays de refuge, nous pensons que le pays d'origine devrait passer outre. L'intérêt privé doit fléchir devant l'intérêt social, engagé dans la question. L'extradition, sous réserve de restitution, est souvent le seul moyen offert au pays requérant pour arriver au jugement contradictoire du national réfugié à l'étranger. Repousser ce moyen, par respect pour un principe au moins contestable, ce serait, à notre avis, manquer inutilement à des devoirs supérieurs.

De l'étude qui précède, se dégage une règle bien déterminée qui peut se formuler ainsi :

Si l'individu réclamé est poursuivi ou a été condamné dans le pays de refuge, sa remise au pays requérant peut être retardée, jusqu'à ce que l'accusation ou la condamnation soit purgée; toutefois, le pays de refuge doit statuer immédiatement sur la demande d'extradition.

Cette règle est précise, et peut trouver place dans les conventions. Quant aux combinaisons diverses qui peuvent intervenir pour la livraison temporaire ou sous réserve, on conçoit qu'elles ne puissent pas faire l'objet de stipulations expresses. Elles ne sauraient être réglées par avance et dépendent des circonstances. Elles seront arrêtées, nous le répétons, à la suite de négociations spéciales, ouvertes sur chaque cas particulier.

Poursuites civiles.

L'individu réclamé peut être poursuivi ou détenu, dans le pays de refuge, à raison d'obligations contractées par lui envers des particuliers. Il s'agit de savoir si l'extradition sera suspendue jusqu'à la fin des poursuites ou de la détention, si le procès civil tiendra en échec le procès criminel.

Il suffit d'arrêter sa pensée sur la nature de chacune des actions dirigées contre l'inculpé, pour ne point hésiter sur la solution que la question comporte. D'un côté, dans le pays de refuge, c'est une action civile, ou l'application d'une mesure de coercition, tendant à contraindre l'individu réclamé à satisfaire à ses obligations; l'intérêt privé du cocontractant est seul en jeu. De l'autre, dans le pays requérant, c'est l'action publique, ou l'application de la peine, c'est-à-dire, dans tous les cas, une mesure

d'ordre public; l'intérêt social, l'intérêt de la justice universelle est engagé. L'intérêt social doit l'emporter sur l'intérêt privé. Les poursuites civiles ne sauraient donc empêcher ni même suspendre l'extradition. Le pays requis faillirait à ses devoirs envers la nation requérante, s'il abusait de son droit de possession et de souveraineté, pour refuser l'extradition d'un individu poursuivi ou détenu pour des obligations civiles.

Cette solution se fortifie par des arguments d'analogie.

Rappelons-nous la règle juridique : « Le criminel tient le civil en état ». Les rédacteurs de notre Code d'instruction criminelle l'ont insérée dans l'article 3, en y écrivant que l'exercice de l'action civile est suspendu, tant qu'il n'a pas été prononcé définitivement sur l'action publique, intentée avant ou pendant la poursuite de l'action civile. Cette règle s'applique aux deux actions qui naissent d'un même fait; et c'est pourquoi nous ne l'invoquons pas directement à l'appui de notre thèse. Mais elle fournit au moins un puissant argument d'analogie. Quel est, en effet, le motif déterminant, qui en a fait admettre universellement l'application? C'est que, dans l'action pénale, il y a un intérêt public engagé, et que l'intérêt public doit avoir le pas sur l'intérêt privé, seul en jeu dans l'action civile. Il est utile, en outre, que le prévenu n'ait pas à redouter l'influence que le jugement civil exercerait sur les juges de l'action publique; mais cette considération est secondaire. La cause principale, qui a inspiré la règle, « le criminel tient le civil en état », se présente avec la même force, lorsqu'il s'agit, non plus de deux actions nées d'un même fait, mais de deux actions nées de faits différents. Cette cause produira le même effet l'action civile fléchira devant l'action publique.

A l'appui de la règle, « le criminel tient le civil en état », on fait observer que l'intérêt privé n'a pas à souffrir de la préférence accordée à l'action publique : les réparations civiles ne sont pas compromises, puisqu'elles peuvent être demandées devant les juges de l'action publique. Ces considérations s'appliquent, dans une certaine mesure, au cas qui nous occupe. L'extradition du prévenu ne fait pas tomber les droits de celui qui avait mis l'action civile en mouvement; et il reste libre de poursuivre, devant l'autorité compétente, les réparations qu'il demande.

N'est-ce pas, d'ailleurs, un fait ordinaire et constant que l'action publique prenne le pas sur l'action civile, alors même que les

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