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Enfin, voici la rédaction qui a prévalu dans le dernier traité conclu par la France :

« Les crimes et les délits politiques sont exceptés de la présente «< convention. » (Traité avec l'Italie du 12 mai 4870.)

Attentats contre le chef du Gouvernement.

Il est une catégorie d'infractions politiques à laquelle nous devons consacrer un examen spécial : ce sont les attentats dirigés contre la personne du chef du gouvernement.

Pour rester dans les limites du droit conventionnel, nous comprendrons seulement, sous la qualification d'attentats, les crimes tentés ou exécutés contre la personne du chef du gouvernement.

Dans toutes les législations, les attentats de cette nature font l'objet de dispositions particulières. La cause en est dans la gravité de l'atteinte portée par de tels crimes à l'ordre politique et social, et aussi dans le caractère, en quelque sorte sacré, que la tradition a longtemps attribué au Souverain. Personne n'ignore les peines sévères que les lois romaines et l'ancien droit français réservaient aux crimes de lèse-majesté. Le droit moderne tend à se départir de cette rigueur. « La législation française, dit à ce propos M. Faustin Hélie, a eu la gloire, en se réformant la première, de rejeter des incriminations et des peines que le despotime moderne avait empruntées aux lois tyranniques d'un autre temps, et contre lesquelles protestaient à la fois la justice et l'humanité. »>

L'attentat contre le chef de l'État constitue un de ces actes complexes, dont nous avons étudié déjà la nature, et qui renferment, à la fois, une atteinte à l'ordre politique et une atteinte au droit privé d'une personne, c'est-à-dire, un crime politique et un crime commun. La gravité du crime commun est déterminée par l'acte lui-même, abstraction faite du rang de la victime. Quant au crime politique, la mesure en est donnée par l'importance du droit politique violé et par l'intérêt de répression qui s'y attache. Le législateur et le juge, pour déterminer la juridiction et la peine, doivent qualifier l'attentat par le plus grave des deux crimes qu'il renferme. L'attentat sera donc traité, selon les circonstances, tantôt comme un crime politique, tantôt comme un crime commun.

Il ne faut pas dissimuler, toutefois, que cette théorie compte de sérieux adversaires. Ceux-ci sont partagés en deux camps. Frappés de la grandeur des intérêts politiques et sociaux qui se concentrent sur le chef de l'État, les uns admettent que le

crime commun, contenu dans l'attentat, n'est jamais qu'accessoire; pour eux, un tel acte constitue toujours un crime politique. Les autres, au contraire, donnent le pas au droit individuel violé, à l'intérêt de protection qui s'attache à la vie de l'homme; pour ceux-ci, l'attentat est toujours, et avant tout, un crime commun. D'après ce qui précède, on conçoit qu'une demande d'extradition, formée pour attentat contre le chef du gouvernement, soit susceptible de solutions diverses. Cette solution dépend du caractère que le pays requis attribue au fait incriminé.

Le pays requis admet-il que ce fait puisse constituer, soit un crime politique, soit un crime commun? Il refusera ou accordera l'extradition, selon les cas.

Pense-t-il que ce fait constitue, invariablement, un crime politique? Il refusera toujours l'extradition.

Enfin, voit-il toujours dans l'attentat un crime commun? Il accordera l'extradition.

Ainsi, quel que soit le caractère attribué à de pareilles infractions, les règles générales, établies pour les crimes et délits politiques, permettent de parer à toute éventualité. Longtemps, la pratique les a regardées comme suffisantes, et n'a pas jugé utile de fixer d'avance, par des stipulations expresses, la solution des questions d'extradition qui peuvent se poser à l'occasion de semblables attentats. Durant cette période de temps, il ne paraît pas que des difficultés sérieuses soient nées. Plusieurs extraditions ont été obtenues ou accordées par la France, pour des infractions de cette nature, et dans des circonstances bien différentes, alors que de telles extraditions n'étaient pas obligatoires d'après une clause spéciale des traités.

C'est ainsi qu'en 1835, la France a obtenu de la Prusse l'extradition du nommé Bardou, inculpé de complicité dans l'attentat de Fieschi, et, en 1845, de la Suisse, l'extradition d'un autre individu également poursuivi pour tentative de régicide. En 1848, le gouvernement français n'a pas hésité à livrer les assassins du duc de Lichtenstein.

C'est en 1856 que, pour la première fois, apparaît dans le droit conventionnel une stipulation relative aux attentats contre le chef de l'État. L'histoire de l'insertion de cette clause dans un traité permet d'en apprécier exactement la portée et l'utilité.

Au mois de septembre 1854, une machine infernale fut saisie sur le chemin de fer du Nord, entre Lille et Calais; elle avait été

disposée pour faire sauter le convoi qui devait transporter l'Empereur à Tournay. Deux Français, réfugiés en Belgique, furent à cette occasion poursuivis par les autorités françaises, qui demandèrent leur extradition. Ces demandes ayant donné lieu à des procédures distinctes, il suffira d'exposer ici ce qui concerne le sieur Célestin Jacquin. L'accusé fut mis en état d'arrestation provisoire, sur la production d'un mandat d'arrêt décerné, en France, pour attentat contre la personne de l'Empereur des Français, et pour tentative d'assassinat sur les personnes qui devaient faire partie du convoi impérial. Ce mandat d'arrêt fut rendu exécutoire par la chambre du conseil du tribunal de première instance de Bruxelles. Remarquons, en passant, que l'exequatur n'eût pas été accordé, si le caractère politique eût été attribué par les magistrats belges au fait incriminé (Art. 6 de la loi belge de 1833). L'accusé demanda sa mise en liberté, en se fondant sur ce que le crime qui lui était imputé, n'était pas prévu par la convention conclue avec la France, et que, d'ailleurs, ce crime avait le caractère politique. La chambre des mises en accusation admit que le fait était politique, ou tout au moins, connexe à un fait politique, et ordonna la mise en liberté de Jacquin. L'arrêt, déféré à la Cour de cassation de Belgique, fut cassé, le 12 mars 1855, par les motifs suivants :

« Considérant qu'il résulte de la combinaison des lois du 1er octobre 1833 et 30 décembre 1836, et des motifs qui, dans la discussion de cette dernière loi, ont fait rejeter la disposition exceptionnelle relative aux délits politiques, que les faits spécialement prévus par l'article 1er de la loi de 1833 peuvent donner lieu à l'extradition ou à des poursuites en Belgique, d'après les distinctions et sous les conditions établies par le législateur, toutes les fois qu'ils constituent par eux-mêmes des infractions aux lois naturelles et immuables de la conscience humaine et sont punis comme tels par les lois pénales de toutes les nations;

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Qu'il est évident, dès lors, que le législateur, dans l'art. 6 de la loi précitée du 1er octobre 1833, n'a pu entendre par délit politique que les faits dont le caractère exclusif est de porter atteinte à la forme et à l'ordre politique d'une nation déterminée, et, par faits connexes à ces crimes, que les faits dont l'appréciation, sous le rapport de leur criminalité, peut dépendre du caractère purement politique du fait principal auquel ils se rattachent;

« Mais que, dans aucun cas, cette disposition ne peut s'appliquer à des faits qui, quel que soit le but que l'auteur ait voulu atteindre, et quelle que soit la forme politique de la nation où le fait a été commis, sont réprouvés par la morale, et doivent tomber sous la répression de la loi pénale, dans tous les temps et chez toutes les nations;

« Considérant que, d'après l'arrêt attaqué lui-même, les faits qui ont motivé l'arrestation provisoire du défendeur constituent un attentat contre la vie de l'Empereur des Français et une tentative d'assassinat contre les personnes qui eussent fait partie du convoi impérial;

• Considérant qu'il est impossible d'envisager ces faits comme ayant exclusivement un caractère politique, dans le sens de l'art. 6 de la loi du 1er octobre 1835;

« Et qu'ainsi, en ordonnant la mise en liberté du défendeur, en vertu de ce dernier article, l'arrêt attaqué a fait une fausse interprétation de cette disposition, et formellement contrevenu à l'art 1er de la même loi;... casse... etc. »

La Cour de Liége, à laquelle l'affaire fut renvoyée, statua, par arrêt du 29 mars, dans le même sens que la Cour de cassation. Durant le cours de ces divers incidents, le gouvernement français avait produit l'arrêt de mise en accusation nécessaire, d'après la convention franco-belge, pour obtenir l'extradition de l'inculpé. Deux chefs de prévention y étaient visés : la tentative d'attentat et le complot contre la vie de l'Empereur.

Conformément à la loi belge, l'avis de la chambre des mises en accusation de la Cour de Bruxelles fut demandé par le gouvernement belge. Cette chambre fut d'avis qu'il n'y avait pas lieu d'autoriser l'extradition de l'accusé.

Le procès faisait grand bruit. L'opinion publique se prononçait en faveur de Jacquin. La décision qu'allait rendre le cabinet de Bruxelles, non tenu de se conformer à l'avis du pouvoir judiciaire, avait toute l'importance d'un événement politique.

Le gouvernement français fit cesser tout embarras, en se désistant de la demande d'extradition.

L'affaire avait pris une telle gravité, qu'elle fut l'objet d'une interpellation à la Chambre des députés de Belgique. Le ministre des affaires étrangères saisit cette occasion pour annoncer solennellement que le gouvernement, afin de lever toute espèce de doute sur le sens de la loi d'extradition, avait l'intention de pré

senter aux Chambres un projet de loi ayant pour objet d'assimiler, purement et simplement, l'assassinat d'un souverain étranger à l'assassinat de toute autre personne.

Voici le texte de cette loi, qui fut votée par la Chambre le

14 mars 1856:

« Le paragraphe suivant est ajouté à l'article 6 de la loi du 1er octobre 1833:

« Ne sera pas réputé délit politique, ni fait connexe à un semblable délit, l'attentat contre la personne du chef d'un gouvernement étranger ou contre celle des membres de sa famille, lorsque cet attentat constitue le fait soit de meurtre, soit d'assassinat, soit d'empoisonnement. »>

Ce projet de loi fut également adopté par le sénat belge, dans la séance du 18 mars.

Dans les deux Chambres, les discussions avaient été animées et les objections nombreuses. Les adversaires de la loi s'élevaient contre le mot attentat, dont l'acception leur paraissait trop vague. Ils faisaient observer, que l'assassinat d'un souverain est un crime complexe, presque toujours entrepris dans une pensée politique, et qu'on s'exposait, par la nouvelle loi, à ouvrir la porte aux extraditions politiques. Ils proposaient la suppression des mots « ni fait connexe à un semblable délit »; qu'on suppose, disaientils, un chef d'État tué à la tête de ses troupes, en marchant contre une insurrection : dans ce cas, l'insurrection, fait principal et éminemment politique, ne donnera pas lieu à extradition, tandis que le meurtre du chef de l'État, fait accessoire et connexe, pourra être disjoint et y donner lieu. C'est là une conséquence qui ne saurait être admise.

Un passage du rapport présenté à la Chambre des députés met très-bien en lumière le but qu'on s'est proposé d'atteindre par la nouvelle loi :

« Le régicide, au vœu de tous, doit désormais, en Belgique, être incontestablement réputé homicide. La vie du souverain étranger sera protégée à l'égal de la vie de tout étranger, sans distinction de rang, ni plus, ni moins. Faire plus, ce serait, en effet, ériger le régicide en crime politique par un triste privilége, et admettre ce que tous nous repoussons: l'extradition politique. Faire moins, c'est exclure le prince étranger du droit commun, et sanctionner une injustice. »

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