y invité au nom de la patrie et de la liberté, que nous sommes résolus à défendre au péril de notre vie, et en mourant s'il le' faut au poste où le peuple nous a placés, et où nous ne respirons que pour sa félicité, et pour le maintien des saintes lois que nous avons juré de faire observer et respecter. l'Assemblée prendra en considération la pétition que vous venez de lui faire; elle vous invite à assister à sa séance.» (Applaudissemens unanimes.) Un grand nombre de pétitionnaires entre dans la salle aux acclamations de la majorité. L'Assemblée reprend le cours de ses délibérations; elle reçoit d'autres pétitionnaires; enfin elle donne l'ordre de laisser défiler dans son sein la foule impatiente qui l'environne, et qui s'était considérablement accrue ; elle s'élevait alors à plus de trente mille âmes. MM. Santerre et Saint-Huruge dirigent le cortége; ils ont le sabre à la main; leur costume est celui de garde national. Des tambours et des musiciens ouvrent la marche. Hommes, femmes, enfans se pressent ensuite, mais cependant sans désordre; ils s'arrêtent par intervalle, puis ils dansent en chantant le refrain ah ça ira, toujours suivi des cris mille fois répétés de vive la nation, vivent les patriotes, vivent les sans-culottes, et surtout à bas le veto. La plupart sont armés, les uns de fusils, les autres de piques, ceux-ci de bâtons surmontés de bonnets de la liberté, ceux-là de faux, de couteaux, de tranchans, et d'instrumens des diverses professions mécaniques; plusieurs femmes portent des épées et des sabres ornés des couleurs nationales. Des drapeaux tricolors et différens emblèmes s'élèvent du milieu des groupes; on voit entr'autres une culotte noire déchirée, avec cette inscription: Avis à Louis XVI. Vivent les sans-culottes! Plus loin sur une bannière : Le peuple est las de souffrir; la liberté ou la mort! Un indigne spectacle vient affliger les regards; c'est un cœur de veau au bout d'un bâton ; au-dessous on lit Cœur d'aristocrate; mais à la première invitation d'un membre de l'Assemblée ce dégoûtant tableau a disparu. Des détachemens de gardes nationaux de presque toutes les sections de Paris augmentaient encore ce cortège, qui mit plus de deux heures devant l'Assemblée nationale. défiler pour Vers la fin de la marche M. Santerre se présente à la barre, et dit : ) « Les citoyens du faubourg Saint-Antoine sont venus offrir leur vie pour la défense de vos décrets. Ils vous prient d'agréer ce drapeau pour les marques d'amitié que vous avez bien voulu leur douner. » Le président. « L'Assemblée nationale reçoit votre offrande; elle vous invite à continuer de marcher sous l'égide de la loi, sauvegarde de la patrie. » (Applaudissemens.) Une partie de l'Assemblée avait partagé l'abandon et le contentement qui régnaient dans le cortège et dans les tribunes publiques; une heureuse circonstance vint réunir tous les esprits dans une commune joie : le président annonça la prise de Courtrai par les Français; il venait à l'instant d'en recevoir la nouvelle : :- Je m'empresse, di-il, de la communiquer au peuple et à l'Assemblée, afia que ce jour, qui inspirait de la défiance et des a'armes, se change en un jour de confiance et d'allégresse. ( La salle retentit d'applaudissemens, et des cris: vive la nation française! vive l'Assemblée nationale ! ) Il était trois heures et demie; le président lève la séance. Bientôt on apprend que le cortège s'est porté aux Tuileries, qu'il environne le château, et que les citoyens qui le composent manifestent l'impérieuse volonté de pénétrer jusqu'à la personne du roi. Les deputés reviennent successivement à leur poste vers cinq heures ils se trouvent en nombre suffisant pour délibérer; M. Guyton-Morveau, ex-président, ouvre la séance. M. Regnault-Beaucaron expose que la garde du roi a été forcée, qu'une foule armée est dans ses apparteméns, que ses jours sont en danger; il demande que l'Assemblée nationale se transporte en corps auprès de sa personne. M. Hébert pense qu'il suffit d'y envoyer une députation de vingt-quatre membres. (La proposition faite le matin par M. Vergniaud de nommer une deputation de soixante membres chargée de veiller à la sûreté du roi u'avait pas eu de suite.) M. Thuriot. « Je suis bien éloigné de croire que le roi soit en danger au milieu du peuple; cependant si l'Assemblée juge à propos de lui envoyer une députation je ne m'y oppose pas. ་ M. Beugnot. « Messieurs, ce n'est pas, comme le dit M. Thuriot, le peuple qui est chez le roi; ce sont des brigands...... (D'un côté : Oui, oui ! De l'autre on réclame contre l'expression de brigands. ) Le peuple est soumis à la loi et les personnes qui sont chez le roi ne le sont pas. >> M. Thuriot. « Si les membres de l'Assemblée qui se permettent de semblables qualifications voulaient réfléchir un seul instant..... (Murmures à droite.) Je demande à être entendu; ce n'est pas avec des calomnies que l'on sauve la république.... (Bruit.) Je demande que le premier membre qui se permettra une expression irritante contre le peuple soit rappelé à l'ordre.» Une voix. « Vous êtes un factieux. >> L'assemblée ferme la discussion : il est décidé qu'une députation se rendra auprès du roi. Plusieurs membres veulent qu'elle soit de soixante membres, d'autres de vingt-quatre ; quelques débats s'élèvent; M. Thuriot crie de sa place :-Le roi n'a qu'à se bien comporter, le peuple ne se portera pas chez lui. L'Assemblée décrète que la députation sera de vingt-quatre membres, et qu'elle se rendra sur le champ chez le roi; elle part. Un secrétaire commence la lecture du procès verbal de la veille : au même instant arrive M. Dumas; il prend la parole. M. Dumas. « J'interromps la lecture du procès verbal; des soins plus instans nous pressent. Je demande la parole sur un objet qui concerne la tranquillité publique; l'honneur de l'Assemblée nationale et la sûreté du représentant héréditaire du peuple français. » Vous venez d'envoyer chez le roi une députation de vingtquatre membres : je crois qu'il est nécessaire de prendre immédiatement des mesures qui puissent vous assurer que vos députés chez le roi pourront faire exécuter tout ce qu'ils croiront utile pour procurer la liberté et la sûreté de sa personne. Messieurs, peu de temps après la levée de la séance de l'Assemblée, ayant appris qu'un grand nombre d'hommes armés remplissaient les appartemens du roi, après avoir forcé sa garde, je me suis réuni à quelques uns de mes collègues pour entrer au château ; nous avons vu le roi dans un imminent danger.... » (Murmures à gauche et dans les tribunes.) M. Charlier. « Le roi est au milieu du peuple français : il ne peut courir aucun danger. » (Applaudissemens d'un côté; bruit.) M. Dumas. « Je demande du silence; l'objet est assez important pour en obtenir. Il est question, je le répète, de la sûreté du roi.... (Murmures.) Je demande d'être entenduen silence.... (Les murmures continuent.) Le moment presse; j'ai la parole; je veux être entendu. » M. Chabot. » Il calomnie le peuple! ( Bruit.) M. Dumas. « Si j'avais vu le roi entre les mains du peuple je n'aurais aucune inquiétude; je l'y ai vu souveut pendant la révolution, et je n'en ai jamais conçu. Mais ce n'est pas le peuple qui est auprès du roi dans ce moment; ce sont des furieux, des hommes égarés: j'en atteste MM. Isnard, Vergniaud et plusieurs autres membres de l'Assemblée, qui ont parlé à ces séditieux pour les ramener au respect dû aux autorités constituées. Ces faits sont suffisans pour motiver la proposition que je fais dans ce moment de mander le commandant général de la garde nationale, pour qu'il soit donné au château les ordres nécessaires pour y rétablir l'ordre et procurer la sûreté de la personne du roi. (Murmures.) Quoi! j'entends des murmures. L'Assemblée nationale voudrait-elle se charger d'une telle responsabilité aux yeux de la postérité? Quoi! elle entendrait ces détails, et ne prendrait aucune précaution suffisante! Il était manifeste au moment où j'ai parcouru le château, et non pas seulement à mes yeux, mais à ceux de tous les membres qui étaient avec moi, et plusieurs sont ici présens; il était, dis-je, manifeste qu'aucune consigne n'était plus respectée, que le roi n'était pas dans un état de liberté tel qu'il pût donner aucun ordre; il était entouré, assailli, menacé, avili par le signe d'une faction; il avait un bonnet rouge sur la tête........... » (Les tribunes applaudissent; "quelques membres aussi ; d'autres s'écrient que la Constitution est détruite, et le roi dégradé; la plus grande agitation règne dans l'Assemblée; on entend plusieurs voix répéter: Le bonnet de la liberté n'est point avilissant. - A l'ordre! —A l'Abbaye! - A bas l'orateur! M. Dumas, resté à la tribune, conclut ainsi : ) » Je demande que l'Assemblée nationale prenne les précautions nécessaires pour s'assurer que les mesures qu'auraient à prendre ses députés au château soient rendues efficaces par une force suffisante. Le compte que l'Assemblée se fera rendre ne justifiera que trop cette proposition; et celui que l'Assemblée constituante a chargé de répondre à ìa nation de la sûreté de la famille royale au 21 juin de l'année 1791 (1) paraîtra sans doute excusable de se montrer si affecté de ses dangers au mois de juin 1792. » ( Murmures. ) Les députés envoyés au château rentrent dans la salle ; l'un d'eux porte la parole: M. Granet (de Toulon). « Je supplie l'Assemblée de vouloir bien m'accorder un instant de silence pour lui rendre compte des faits. La députation de l'Assemblée nationale s'est rendue au château des Tuileries avec la plus grande facilité; partout elle a trouvé dans le peuple des marques du plus profond respect pour la loi et pour ses représentans. (Applaudissemens.) Arrivant au château, nous avons trouvé une foule de citoyens armés qui nous ont ouvert le passage; la garde nationale nous a accompagnés. Sa Majesté était assise devant une croisée; elle était déjà entourée d'une foule de députés qui s'y étaient rendus. M. Brunck, au nom de la députation, lui a expliqué l'objet de notre mission. M, le maire de Paris en a informé les citoyens, et leur a enjoint de se retirer : comme ils commençaient à défiler, ayant trouvé que le moment était favorable, nous avons ramené le roi dans son appartement. Sa Majesté y est rentrée avec une grande partie (1) Voyez tome III, page 130, le rapport de Barnave à l'occasion du retour du roi après son arrestation à Varennes. |