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pourra conclure que l'Assemblée nationale et le roi, instrumens et victimes d'une faction coupable, ne jouissent pas de la liberté et du respect dont il est nécessaire qu'ils soient investis. Cette imputation, je le sais, serait injurieuse à tous les bons citoyens de la capitale; mais il est important de faire taire les calomniateurs ; il est important de montrer à nos compatriotes que les intrigues et les manoeuvres des aristocrates et des anarchistes sont également impuissantes, que la Constitution ne périra pas sous leurs efforts, et qu'elle triomphera de tous ses ennemis !( Applaudissemens d'une grande partie de l'Assemblée.)

» Je suis loin de repousser la motion de M. Vergniaud; elle me paraît au contraire bien essentielle, puisqu'elle peut étouffer des espérances criminelles en favorisant l'union qui doit exister entre les deux pouvoirs pour le bonheur de la patrie : elle est plus essentielle encore pour faire voir à l'Europe attentive que l'Assemblée nationale n'est pas l'organe servile d'une faction dont le but est d'anéantir en France la Constitution et la royauté! (Applaudissemens.)

>> Mais vous vous devez à vous-mêmes, vous devez à vos commettans d'imposer à cette faction qui nous déchire en dém veloppant un caractère digne d'eux et de vous: il faut enfin que la loi triomphe, ou que nous nous ensevelissions avec elle! » Je demande 1o que la motion de M. Vergniaud soit décrétée. (Applaudissemens.)

» Je demande ensuite que le département et la municipalité de Paris vous rendent compte à la séance de ce soir des mesures qu'ils auront prises pour dissiper les rassemblemens d'hommes armés qui seraient contraires aux lois. » (Nombreux murmures; quelques applaudissmens.)

Plusieurs membres se pressent à la tribune pour obtenir la parole. M. Gilbert soupçonne que l'aristocratie elle-même a provoqué le rassemblement, et il s'appuie sur les vains efforts que M. Pétion, malgré toute son influence sur l'esprit du peuple, a fait pour le dissip r. M. Thorillon informe l'Assemblée que les citoyens rassemblés traînent avec eux des pièces de canon. M. Vergniaud veut répondre à

M. Dumolard; mais le président l'interrompt pour annoncer une lettre de M. Santerre, commandant du bataillon du faubourg Saint-Antoine; les tribunes applaudissent; on fait lecture de la lettre.

» Monsieur le président, les habitans du faubourg SaintAntoine célèbrent aujourd'hui l'anniversaire du serment du jeu de paume. Ils veulent présenter leurs hommages à l'Assemblée nationale. On a calomnié leurs intentions; ils demandent l'honneur d'être admis aujourd'hui à la barre pour confondre une seconde fois leurs lâches détracteurs, et prouver qu'ils sont toujours les amis de la liberté et les hommes du 14 juillet. Je suis avec respect, etc. SANTERRE. » Le côté gauche et les tribunes applaudissent à plusieurs reprises ; agitation dans l'autre partie de l'Assemblée.)

M. Vergniaud. » Je partage l'opinion de M. Dumolard ; je pense comme lui que la Constitution doit être assise sur des bases inébranlables, et que la loi doit être exécutée : mais aussi je pense que si le peuple se trouve dans ce moment un peu écarté de la loi, c'est parce que l'Assemblée constituante et l'Assemblée actuelle out formellement favorisé cet écart en tolérant que les citoyens présentassent leurs hommages au corps législatif en défilant dans le lieu de ses séances; et je pense surtout, messieurs, que si dans cette circonstance vous adoptiez la proposition de M. Dumolard, qui enjoint au département et à la municipalité de faire exécuter la loi à la rigueur, ce qui en d'autres termes voudrait dire que le département et la municipalité renouvelassent la scène sanglante du Champ de Mars.... (Murmures dans une partie de l'Assemblée; vifs applaudissemens des tribunes). Si, dis-je, vous preniez ce parti, qui n'est pas dans vos cœurs, l'Assemblée, j'ose le dire, aurait à s'imputer à elle-même ce malheur extrême, et ce serait dans son histoire une tache ineffacable! (Applaudissemens des tribunes. )

>> On objecte qu'il y a de la part des citoyens rassemblés une désobéissance à la loi : j'ai déjà répondu à cette objection eu faisant observer qu'ici la désobéissance est une suite de l'erreur dans laquelle la conduite de l'Assemblée nationale et de l'Assem

blée constituante elle-même a jeté les citoyens ; ils ont pensé que, l'Assemblée ayant déjà plusieurs fois admis des citoyens armés dans son sein, cette faveur ne pouvait leur être refusée que par un décret formel, et non par une simple prohibition du corps municipal. Ainsi donc, messieurs, puisque vous l'avez permis, puisque vous êtes assurés de la pureté des intentions de ceux qui se présentent, vous ne pouvez pas vous y refuser ; car, et ceci est une observation bien importante, le peuple a été justement inquiet, et vous ne pouvez pas douter que dans ce moment il veut vous prouver que quelque intrigue, quelque manoeuvre que l'on emploie, quelque trame que l'on ourdisse pour vous effrayer sur le sort de la liberté, les habitans de Paris en seront toujours les plus fermes défenseurs: de tels sentimens ne peuvent mériter aucune improbation; mais peut-être de la bienveillance et de la reconnaissance. Je demande que vous portiez une loi pour l'avenir d'après laquelle aucun rassemblement armé ne pourra s'approcher du lieu de vos séances, mais que les citoyens qui sont déjà réunis à l'effet d'obtenir l'honneur de défiler devant vous soien admis à l'instant. »

Le côté gauche et les tribunes applaudissent; cris; murmures, vive improbation dans le côté droit. M. Ramond est à la tribune; il veut parler; sa voix se perd dans le bruit; un décret de l'Assemblée ordonne enfin qu'il sera entendu. M. Ramond combat M. Vergniaud en reproduisant en partie l'avis de M. Dumolard. Bientôt il est interrompu par un billet adressé au président, et portant que les pétitionnaires sont arrivés, qu'ils sont au nombre de huit mille, qu'ils demandent d'abord à présenter leur pétition, puis à défiler devant l'Assemblée. L'agitation redouble dans une partie de la salle; dans l'autre applaudissemens réitérés. Puisqu'ils sont huit mille, s'écrie M. Calvet, et que nous ne sommes que sept cent quarante-cinq, je demande que nous levions la séance et que nous nous en allions. Cette proposition est unanimement repoussée; le côté droit lui-même en témoigne son indignation. Pour prouver, dit M. Hua, que ce n'est pas le sentiment de la crainte qui anime l'Assemblée, je demande qu'on rappelle à l'ordre M. Calvet. — Adopté

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par acclamation; le président rappelle M. Calvet à l'ordre. M. Ramond était resté à la tribune; il veut continuer son opinion. Si huit mille hommes, dit-il, attendent à vos portes votre décision, vingt-cinq millions de Français ne l'attendent pas moins. Je continue. M. Ramond obtient du silence; il reprend son discours, et termine en appelant la question préalable sur la motion faite par M. Vergniaud d'envoyer soixante commissaires chez le roi, la regardant comme injurieuse aux pétitionnaires (applaudisemens des tribunes), mais il demande en même temps que, par respect pour le sanctuaire des lois ( ces pétitionnaires, avant de défiler dans le sein de l'assemblée, déposent leurs armes à la porte. (Murmures où l'on venait d'applaudir.) M. Guadet répond à M. Ramond en répétant les observations déjà faites par M. Vergniaud. La discussion est fermée. MM. Dumas, Jaucourt, Gentil, Hua, Girardin, etc., parlent dans le tumulte pour appuyer la motion de M. Ramond, qui est rejetée au milieu d'un trouble extrême et après de très vifs débats. L'Assemblée décide successivement que les pétitionnaires seront admis à la barre, et qu'ils défileront armés devant elle. Au milieu des applaudissemens réitérés du côté gauche et des tribunes on entend ces mots, prononcés par M. Girardin: D'après cela je demande la question préalable sur toutes les lois du royaume.

On introduit à la barre une députation des pétitionnaires; l'un d'eux porte la parole en ces termes :

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Pétition du peuple.

Législateurs, le peuple français ( quelques murmures à droite) vient aujourd'hui vous présenter ses craintes et ses inquiétudes; c'est dans votre sein qu'il dépose ses alarmes, et qu'il espère trouver enfin le remède à ses maux. Ce jour lui rappelle l'époque mémorable du 20 juin, au jeu de au jeu de paume, où les représentans du peuple se sont réunis, et ont juré à la face du ciel de ne point abandonner notre cause, de mourir pour la défendre!

» Rappelez-vous, messieurs, ce serment sacré, et souffrez que ce même peuple, affligé à son tour, vous demande si vous

l'abandonnerez! au nom de la nation qui a les yeux fixés sur cette ville, nous venons vous assurer que le peuple est debout est à la hauteur des circonstances, et prêt à se servir de grands moyens pour vengerla majesté du peuple outragée : ces moyens de rigneur sont justifiés par l'art. 2 de la Déclaration des Droits de l'homme; résistance à l'oppression !

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Quel malheur cependant pour des hommes libres qui vous ont transmis tous leurs pouvoirs, de se voir réduits à la cruelle nécessité de tremper leurs mains dans le sang des conspirateurs! Il n'est plus temps de le dissimuler; la trame est découverte l'heure est arrivée; le sang coulera, ou l'arbre de la liberté, que nous allons planter, fleurira en paix! (Applaudissemens d'une partie de l'Assemblée et des tribunes.)

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Législateurs, que ce langage ne vous étonne pas : nous ne sommes d'aucun parti; nous n'en voulons adopter d'autre que celui qui sera d'accord avec la Constitution. (Applaudissemens unanimes.) Les ennemis de la patrie s'imagineraient-ils que les hommes du 14 juillet sont endormis? S'ils leur avaient paru l'être leur réveil est terrible! ils n'ont rien perdu de leur énergie; l'immortelle Déclaration des Droits est trop profondément gravée dans leur cœur! Ce bien précieux; ce bien de toutes les nations sera defendu par eux, et rien ne sera capable de le leur ravir. Il est temps', messieurs, de mettre à exécution cet article 2 des droits de l'homme! Imitez les Cicéron et les Desmothènes, et dévoilez en plein sénat les perfides machinations des Catilina! Vous avez des hommes animés du feu sacré du patriotisme; qu'ils parlent, et nous agirons! C'est en vous que réside aujourd'hui le salut public. Nous avons toujours cru que notre union faisait notre force l'union, le concert général devrait régner plus essentiellement chez vous. Nous avons toujours cru que lorsqu'on discutait les intérêts de l'Etat on ne devait envisager que lui, et que le législateur devait avoir un cœur inaccessible à tout intérêt particulier. (Applaudissemens.) L'image de la patrie étant la seule divinité qu'il lui soit permis d'adorer, cette divinité, si chère à tous les Français, trouverait-elle jusque dans son temple des réfractaires à son culte ? En existerait-il? Qu'ils se nomment les amis du pouvoir arbitraire! qu'ils se fassent connaître! Le peuple, le véritable souverain est là pour les

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