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blée constituante elle-même a jeté les citoyens ; ils ont pensé que, l'Assemblée ayant déjà plusieurs fois admis des citoyens armés dans son sein, cette faveur ne pouvait leur être refusée que par un décret formel, et non par une simple prohibition du corps municipal, Ainsi donc, messieurs, puisque vous l'avez permis, puisque vous êtes assurés de la pureté des intentions de ceux qui se présentent, vous ne pouvez pas vous y refuser ; car, et ceci est une observation bien importante, le peuple a été justement inquiet, et vous ne pouvez pas douter que dans ce moment il veut vous prouver que quelque intrigue, quelque manœuvre que l'on emploie, quelque trame que l'on ourdisse pour vous effrayer sur le sort de la liberté, les habitans de Paris en seront toujours les plus fermes défenseurs: de tels sentimens ne peuvent mériter aucune improbation; mais peut-être de la bienveillance et de la reconnaissance. Je demande que vous portiez une loi pour l'avenir d'après laquelle aucun rassemblement armé ne pourra s'approcher du lieu de vos séances, mais que les citoyens qui sont déjà réunis à l'effet d'obtenir l'honneur de défiler devant vous soient admis à l'instant. »

Le côté gauche et les tribunes applaudissent; cris; murmures, vive improbation dans le côté droit. M. Ramond est à la tribune; il veut parler; sa voix se perd dans le bruit; un décret de l'Assemblée ordonne enfin qu'il sera entendu. M. Ramond combat M. Vergniaud en reproduisant en partie l'avis de M. Dumolard. Bientôt il est interrompu par un billet adressé au président, et portant que les pétitionnaires sont arrivés, qu'ils sont au nombre de huit mille, qu'ils demandent d'abord à présenter leur pétition, puis à défiler devant l'Assemblée. L'agitation redouble dans une partie de la salle; dans l'autre applaudissemens réitérés. Puisqu'ils sont huit mille, s'écrie M. Calvet, et que nous ne sommes que sept cent quarante-cinq, je demande que nous levions la séance et que nous nous en allions. Cette proposition est unanimement repoussée; le côté droit lui-même en témoigne son indignation. Pour prouver, dit M. Hua, que ce n'est pas le sentiment de la crainte qui anime l'Assemblée, je demande qu'on rappelle à l'ordre M. Calvet. - Adopté

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par acclamation; le président rappelle M. Calvet à l'ordre. M. Ramond était resté à la tribune; il veut continuer son opinion. -Si huit mille hommes, dit-il, attendent à vos portes votre décision, vingt-cinq millions de Français ne l'attendent pas moins. Je continue. M. Ramond obtient du silence; il reprend son discours, et termine en appelant la question préalable sur la motion faite par M. Vergniaud d'envoyer soixante commissaires chez le roi, la regardant comme injurieuse aux pétitionnaires (applaudisemens des tribunes), mais il demande en même temps que, par respect pour le sanctuaire des lois ( ces pétitionnaires, avant de défiler dans le sein de l'assemblée, déposent leurs armes à la porte. (Murmures où l'on venait d'applaudir.) M. Guadet répond à M. Ramond en répétant les observations déjà faites par M. Vergniaud. La discussion est fermée. MM. Dumas, Jaucourt, Gentil, Hua, Girardin, etc., parlent dans le túmulte pour appuyer la motion de M. Ramond, qui est rejetée au milieu d'un trouble extrême et après de très vifs débats. L'Assemblée décide successivement que les pétitionnaires seront admis à la barre, et qu'ils défileront armés devant elle. Au milieu des applaudissemens réitérés du côté gauche et des tribunes on entend ces mots, prononcés par M. Girardin: - D'après cela je demande la question préalable sur toutes les lois du royaume. —

On introduit à la barre une députation des pétitionnaires; l'un d'eux porte la parole en ces termes :

Pétition du peuple.

» Législateurs, le peuple français ( quelques murmures à droite) vient aujourd'hui vous présenter ses craintes et ses inquiétudes ; c'est dans votre sein qu'il dépose ses alarmes, et qu'il espère trouver enfin le remède à ses maux. Ce jour lui rappelle l'époque mémorable du 20 juin, au jeu de paume, où les représentans du peuple se sont réunis, et ont juré à la face du ciel de ne point abandonner notre cause, de mourir pour la

défendre!

Rappelez-vous, messieurs, ce serment sacré, et souffrez que ce même peuple, affligé à son tour, vous demande si vous

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l'abandonnerez! au nom de la nation qui a les yeux fixés sur cette ville, nous venons vous assurer que le peuple est debout, est à la hauteur des circonstances, et prêt à se servir de grands moyens pour venger la majesté du peuple outragée: ces moyens de rigneur sont justifiés par l'art. 2 de la Déclaration des Droits de l'homme; résistance à l'oppression !

Quel malheur cependant pour des hommes libres qui vous ont transmis tous leurs pouvoirs, de se voir réduits à la cruelle nécessité de tremper leurs mains dans le sang des conspirateurs! Il n'est plus temps de le dissimuler; la trame est découverte, l'heure est arrivée; le sang coulera, ou l'arbre de la liberté, que nous allons planter, fleurira en paix! (Applaudissemens d'une partie de l'Assemblée et des tribunes.)

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Législateurs, que ce langage ne vous étonne pas : nous ne sommes d'aucun parti; nous n'en voulons adopter d'autre que celui qui sera d'accord avec la Constitution. (Applaudissemens unanimes.) Les ennemis de la patrie s'imagineraient-ils que les hommes du 14 juillet sont endormis? S'ils leur avaient paru l'être leur réveil est terrible! ils n'ont rien perdu de leur énergie; l'immortelle Déclaration des Droits est trop profondément gravée dans leur cœur! Ce bien précieux; ce bien de toutes les nations sera defendu par eux, et rien ne sera capable de le leur ravir. Il est temps', messieurs, de mettre à exécution cet article 2 des droits de l'homme! Imitez les Cicéron et les Desmothènes, et dévoilez en plein sénat les perfides machinations des Catilina! Vous avez des hommes animés du feu sacré du patriotisme; qu'ils parlent, et nous agirons! C'est en vous que réside aujourd'hui le salut public. Nous avons toujours cru que notre union faisait notre force : l'union, le concert général devrait régner plus essentiellement chez vous. Nous avons toujours cru que lorsqu'on discutait les intérêts de l'Etat on ne devait envisager que lui, et que le législateur devait avoir un cœur inaccessible à tout intérêt particulier. (Applaudissemens.) L'image de la patrie étant la seule divinité qu'il lui soit permis d'adorer, cette divinité, si chère à tous les Français, trouverait-elle jusque dans son temple des réfractaires à son culte ? En existerait-il? Qu'ils se nomment les amis du pouvoir arbitraire! qu'ils se fassent connaître! Le peuple, le véritable souverain est là pour les

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juger! Leur place n'est point ici: qu'ils purgent la terre de la liberté; qu'ils aillent à Coblentz rejoindre les émigrés! Prèsd'eux leurs cœurs s'épanouiront; là ils distilleront tout leur venin ; ils machineront sans regrets; là ils conspireront contre leur patrie, qui ne tremblera jamais!

» C'est ainsi que parlait Cicéron dans le sénat de Rome lorsqu'il pressait le traître Catilina d'aller joindre le camp des traîtres à la patrie: faites donc exécuter la Constitution, la volonté du peuple, qui vous soutient, qui périra pour vous défendre! Réunissez-vous, agissez; il en est temps! Oui, il est temps, législateurs, que le peuple français se montre digne du caractère qu'il a prís : il a abattu les préjugés; il entend rester libre, se délivrer des tyrans ligués contre lui! Ces tyrans vous les connaissez: ne mollissez point devant eux, tandis qu'un simple parlement foudroyait souvent la volonté des de potes-! Le pouvoir exécutif n'est point d'accord avec vous : nous n'en voulons d'autre preuve que le renvoi des ministres patriotes. C'est donc ainsi que le bonheur d'un peuple libre dépendra du caprice d'un roi ! Mais ce roi doit-il avoit d'autre volonté que celle de la loi? Le peuple le veut ainsi, et sa tête vaut bien celle des de potes couronnés ! Cette tête est l'arbre généalogique de la nation, et devant ce chêne robuste le faible roseau doit plier!

» Nous nous plaignons, messieurs, de l'inaction de nos armées; nous demandons que vous en pénétriez la cause : si elle dérive du pouvoir exécutif, qu'il soit anéanti! Le sang des patriotes ne doit point couler pour satisfaire l'orgueil et l'ambition du château perfide des Tuileries! (Applaudissemens des tribunes, )

»

Qui peut donc nous arrêter dans notre marche? Verronsnous nos armées périr partiellement? La cause étant commune, l'action doit être générale, et si les premiers défenseurs de la liberté eussent ainsi temporisé, siégerez-vous aujourd'hui dans cet auguste aréopage?

Réfléchissez-y bien; rien ne peut vous arrêter; la liberté ne peut être suspendue; si le pouvoir executif n'agit point, il ne peut y avoir d'alternative; c'est lui qui doit l'être! Un seul homme ne doit point influencer la volonté de vingt-cinq mil

lions d'hommes : si par un souvenir nous le maintenons dans son poste, c'est à la condition qu'il le remplira constitutionnellement; s'il s'en écarte il n'est plus rien pour le peuple français.

» Nous nous plaignons enfin des lenteurs de la haute cour nationa'e vous lui avez remis le glaive de la loi ; qu'attendelle pour l'appesantir sur la tête des coupables? La liste civile aurait-elle encore ici quelque influence? Aurait-elle des criminels privilégiés, des criminels qu'elle puisse impunément soustraire à la vengeance de la loi? Forcera-t-on le peuple à se rp ̧rter à l'époque du 14 juillet, à reprendre lui-même ce glaive, à venger d'un seul coup la loi outragée, et à punir les coupables et les déposi taires pusillanimes de cette même loi ? Non, messieurs, non; vous voyez nos craintes, nos alarmes, et vous les dissiperez!

» Nous avons déposé dans votre sein une grande douleur; nous vous avons ouvert nos cœurs, ulcérés depuis long-temps: nous espérons que le dernier cri que nous vous adressons se fera sentir au vôtre ! Le peuple est là ; il attend dans le silence une réponse digne de sa souveraineté. ( Bruit. ) Législateurs, nous demandons la permanence de nos armes jusqu'à ce que la Contitution soit exécutée.

» Cette pétition n'est pas seulement des habitans du faubourg Saint-Antoine, mais de toutes les sections de la capitale et des environs de Paris. Les pétitionnaires de cette adresse deman→ dent à avoir l'honneur de défiler devant vous. » ( La majorité de l'Assemblée et les tribunes applaudissent à plusieurs reprises.)

Réponse du président ( M. Français de Nantes.)

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Citoyens, l'Assemblée nationale et le peuple ne font qu'un. Nous voulons votre intérêt, votre bonheur, votre liberté ; mais nous voulons aussi la Constitution et la loi. Les représentans de vingt-quatre millions d'homine vous assurent par mon organe qu'ils déjoueront les trames des conspirateurs ; qu'ils les livreront au glaive des lois, parce que les lois seules ont le droit de venger le peuple, et que ce n'est que dans elles et que par elles que vous trouverez cette Constitution et cette liberté que vous cherchez. L'Assemblée nationale vous invite au respect pour les lois et pour les autorités constituées, et vous

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