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le peuple avait vu tramer sous ses yeux la contre-révolution, et il était resté caline; il s'était borné à adresser à l'Assemblée et au roi des pétitions dans lesquelles il réclamait la punition des prêtres séditieux et l'augmentation de la force publique. Éclairé de toute part sur l'état de la France, sur ses vœux et sur ses besoins, le pouvoir exécutif était le maître encore de se rattacher la majorité des bons citoyens, des vrais patriotes, lorsque, le 19 juin, l'Assemblée reçut la lettre suivante du ministre de la justice:

Monsieur le président, j'ai l'honneur de prévenir l'Assemblée nationale que le roi vient d'apposer la formule constitutionnelle le roi examinera 1o sur le décret du 27 mai 1792, qui détermine les cas et les formes de la déportation des ecclésiastiques insermentés; 2° sur le décret du 8 de ce mois, portant que la force publique sera augmentée de vingt mille hommes pour le 14 juillet.

» Je suis avec respect, etc.

Journée du 20 juin.

DURANTHON. »

A peine cette lettre était lue dans l'Assemblée, et déjà elle avait provoqué un mouvement dans Paris. Depuis plusieurs jours le peuple des fanbourgs se disposait à célébrer l'anniversaire de la séance du Jeu de paume........ Malheureuse coïncidence, qu'une bonne politique aurait su éviter! Préparé pour une fête, le peuple prend, à l'annonce du veto redouté, l'attitude de l'insurrection; aussitôt il paraît en armes. Le même jour, dans la séance du soir, le ministre de l'intérieur communique à l'Assemblée les mesures déjà prises par le département pour éviter le rassemblement qui se forme; mais c'est en vain; au lieu de le dissoudre, la nuit d'aide à s'accroître; et le lendemain, dès l'ouverture de la séance, les membres du departement viennent informer

mais on assure qu'il en fut détourné par queiques conseillers secrets, aristocrates pen confians, et principalement par sa femme: a ce sujet on rapporte le trait suivant. —Confiez-vous à M. Lafayette, disait-on à la reine; allez le joindre dans son camp; il vous attend; il sauvera le roi. Oui, je le crois, répondit Marie-Antoinette, il sauvera le roi, mais il ne sauvera pas la royauté.

l'Assemblée de leurs soins infructueux; le procureur-général syndic, M. Roederer, porte la parole en ces termes :

"

Messieurs, un rassemblement extraordinaire de citoyens armés a lieu en ce moment malgré la loi, malgré deux arrêtés, l'un du conseil général de la commune, l'autre du directoire de département, qui leur rappelaient la loi : il paraît que ce rassemblement, composé de personnes diverses par leurs intentions, a aussi plusieurs objets distincts. Planter un arbre en l'honneur de la liberté, faire une fête civique commémorative' du serment du Jeu de paume, apporter à l'Assemblée nationale un nouveau tribut d'hommages et de nouveaux témoignages de zèle pour la liberté, tel est certainement le but de la plus grande partie de ce rassemblement : mais nous avons lieu de craindre (murmures dans les tribunes) que ce rassemblement ne serve, à son insu peut-être, à appuyer par l'appareil de la force une adresse au roi, à qui il ne doit en parvenir, comme à toute autre autorité constituée, que sous la forme paisible de simple pétition.

» Les rapports qui nous ont été faits cette nuit, et qui nous ont occupés pendant la nuit tout entière, autorisent ces craintes une lettre du ministre de l'intérieur, qui nous est parvenue ce matin à neuf heures, les confirme encore davantage. Cette lettre nous prescrit de faire marcher des troupes sans délai pour défendre le château (ce sont les termes de la lettre), et le ministre motive son ordre sur des nouvelles qui lui annoncent, dit-il, des dangers pressans.

» Vous connaissez, messieurs, l'arrêté que le directoire a cru devoir prendre hier pour fortifier celui que le conseil géral de la commune avait pris le 16 du courant: aujourd'hui nous n'avons eu qu'à en recommander l'exécution à la munici palité, et à lui faire connaître la lettre du ministre de l'intérieur.

» Nous avons rempli ce devoir; mais, responsables à l'’Assemblée nationale de la tranquillité de Paris, et à la nation entière de la tranquillité de l'Assemblée nationale, nous nous empressons de lui faire connaître l'état actuel de la capitale et de lui communiquer les renseignemens qui nous sont parvenus : nous devons aussi lui présenter une observation importante qui

la concerne particulièrement, et que nous soumettons à sa

sagesse.

» La loi défend tout rassemblement armé sans une réquisition préalable, et même tout rassemblement non armé sans une permission de la municipalité, la loi défend aussi de députer plus de vingt citoyens pour apporter et présenter des pétitions. Ces lois, messieurs, nécessaires pour la tranquillité publique et pour celle du corps législatif, le sont encore pour la responsabilité des corps administratifs et municipaux, afin que cette responsabilité ne soit pas tout à la fois inutile pour lạ chose publique et accablante pour eux. Aujourd'hui un grand nombre de citoyens armés accompagnent des pétitionnaires ; ils se portent vers l'Assemblée nationale par un mouvement civique mais demain il peut se rassembler une foule de malveillans, d'ennemis secrets de la révolution et de l'Asemblee nationale elle-même. ( Murmures d'un côté, approbation de l'autre.)

» Je vous le demande, messieurs, qu'aurions-nous à leur dire? Quel obstacle pourrions-nous mettre à ces funestes rassemblemens? en un mot comment la municipalité et nous pourrionsnous répondre de votre sûreté si la loi ne nous en donnait le moyen, ou si ce moyen était affaibli dans nos mains par la condescendance de l'Assemblée nationale à recevoir des multitudes armées dans son sein? Nous demandons, messieurs, à rester chargés de tous nos devoirs, de toute notre responsabilité; nous demandons que rien ne diminue l'obligation où nous sommes de mourir pour maintenir l'ordre public et le respect dû aux pouvoirs qui forment les bases de la Constitution. » (Applaudissemens de la minorité; murmures de l'autre partie de l'Assemblée et des tribunes publiquse).

M. Vergniaud. « Je crois, et nous avons entendu avec plaisir M. Roederer nous le confirmer, que le civisme seul anime les citoyens qui ont formé le rassemblement dont on vient de vous parler; je crois aussi que vous devez prendre les précautions que la prudence commande pour prévenir les événemens que la malveillance pourrait tenter et occasionner. Nous aurions mieux fait sans doute, et il serait à désirer que l'Assemblée consti

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tuante ne nous en eût point donné l'exemple, de ne jamais recevoir ici d'hommes a rinés; car, comme l'a observé M. Roderer, si aujourd'hui le civisme y conduit de bons citoyens, demain l'aristocratie peut y conduire des janissaires. Le sanctuaire de la loi ne doit être ouvert qu'aux législateurs et aux citoyens paisibles, jamais l'appareil de la force ne doit y apporter son influence en le souffrant nous nous sommes écartés des principes; mais c'est par l'erreur dans laquelle nous sommes tombés nous-mêmes que nous avons provoqué celle du peuple. Comment nous étonnerions-nous de ce qu'un rassemblement d'hommes aripés demande à défiler dans cette salle puisque nous y avons déjà admis plusieurs sections, et que pas plus tard qu'hier nous l'avons encore permis à un bataillon? Cependant vous vous trouvez aujourd'hui dans une position extrêmement critique : les rassemblemens armés qui jusqu'à présent ont défilé dans la salle du corps législatif paraissaient autorisés par le silence des organes de la loi; ils s'étaient formés sans avoir eu recours aux corps administratifs pour en demander la permission: mais ici il existe un refus de la part des magistrats du peuple. Dans ces circonstances que devez-vous faire ? Je crois qu'il y aurait une extrême rigueur à calculer avec une faute dont le principe est dans vos décrets; que ce serait faire injure aux citoyens qui demande nt en ce moment à vous présenter leurs hommages que de leur supposer de mauvaises intentions; qu'il serait inconvenant et imprudent de leur refuser la faveur qu'ils sollicitent; que la première loi est celle de l'égalité, que nous devons nous conduire à leur égard comme avec ceux que nous avons reçus. Ce rassemblement est formé; il est comme autorisé par l'usage que vous avez introduit. On prétend que ce rassemblement veut présenter une adresse au roi : je ne pense pas que les citoyens qui le composent demandent à être introduits en armes auprès de la personue du roi ; je pense qu'ils se conformeront aux lois, et que de même qu'ils enverront des citoyens sans armes à la barre pour vous demander la permission de défiler devant vous, ils enverront aussi des citoyens sans armes porter leur pétition au roi. Au reste si l'ou croit que jusqu'au moment où ce rassemblement sera dispersé il existe quelque danger, vous devez le partager, et je demande

'que vous envoyiez soixante commissaires chez le roi. » Applaudissemens. )

M. Dumolard. « Je déclare d'abord que je rends justice à la pureté des sentimens qui animent les citoyens de Paris, et que je suis loin de croire que la majorité de ceux qui composent le rassemblement dont il s'agit, puisse avoir des intention s criminelles ; mais je rappelle à l'Assemblée que dans les cir constances critiques où nous sommes les meilleurs citoyens peuvent devenir les instrumens des intrigues et des manoeuvres dont on nous assiége tous les jours. Le temps est venu où nous devons asseoir la Constitution sur la base respectable de la tranquillité et du bonheur de l'empire; le temps est venu où nous devons exécuter les lois pour les faire exécuter nousmêmes aux autorités qui nous sont subordonnées ! ( Bruit.) Je conçois que l'Assemblée nationale, entraînée par l'exemple de ses prédécesseurs, ait pu jusqu'ici recevoir dans son sein des députations d'hommes armés, elle est excusable sans doute ; mais la loi qui les prohibe n'existe pas moins, et des infractions passées n'autorisent pas des infractions futures. Vous avez senti vous-mêmes au commencement de votre session combien il serait dangereux d'admettre dans le sein du corps législatif non seulement des députations armées, mais même des députations trop nombreuses, et vous rendites un décret réglementaire qui en réduisait le nombre à dix personnes au plus. Ce décret tutélaire doit être observé à la rigueur, et ce serait en éluder perfidement les dispositions si dix hommes, parlant à la barre, pouvaient se dire appuyés par un rassemblement de sept à huit mille hommes armés qui investiraient votre salle, et finiraient par la traverser en triomphe.

» Je vous prie d'observer que la France entière a les yeux sur vous (murmures. ); je vous prie d'observer que les malveillans peuvent abuser de votre conduite ; je vous prie d'observer enfin que si malgré les arrêtés du département et de la municipalité de Paris, malgré la prohibition des lois les plus formelles et les plus saintes, malgré l'agitation et le désordre qui paraissent régner dans une multitude égarée, elle pénètre dans cette enceinte et se porte ensuite au château, on en

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