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crois pures; mais aussi je crois qu'il faut défendre la pureté des principes même contre les généraux dans qui l'on aurait le plus de confiance. Je demande donc que l'on passe à l'ordre du jour. (Applaudissemens et murmures.)

M. Thévenet. « il y a bien longtemps que nous sommes travaillés ; il y a longtemps que nous sommes pénétrés des maux, des malheurs que les factions nous préparent. Il ne faut pas se dissimuler qu'il eût été à désirer que l'Assemblée nationale eût pris un tempérament, une force, une consistance telle qu'elle doit l'avoir pour mépriser toutes ces factions. Il a fallu un homme comme M. Lafayette pour avoir le courage de vous adresser ces vérités ! ( Applaudissemens à droite. ) Voilà le moment de nous signaler, voilà le moment de sauver la patrie; et de détruire toutes les factions! (Applaudissemens.) Ceux qui les composent ne font que flagorner le peuple; et ils flagornent le peuple. pourquoi ? Pour se faire un parti, pour parvenir à avoir des places, mais non pas pour le bien du peuple. Je demande qu'on mette aux voix la proposition d'envoyer la lettre aux quatre-vingt-trois départemens. »>

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les uns;

les autres

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L'ordre du jour est réclamé par sistent à demander l'envoi aux départemens; plusieurs meinbres élèvent des doutes sur l'authenticité de la lettre.. Quand elle ne serait pas signée, s'écrie M. Coubé, il n'y a que M. Lafayette qui ait pu l'écrire. Sous tous les rapports elle est inconstitutionnelle, dit M. Henri-Larivière.

M. Guadet: « Je demande la parole pour un fait. (Bruit.) Mettez aux voix si nous anéantirons la Constitution ou si nous la maintiendrons. (Murmures.) Il est impossible que la lettre qui vient de vous être lue soit de M. Lafayette... >>

M. Dumas: « Je demande qu'on vérifie la signature ; il n'y a pas un bon citoyen qui ne la connaisse.»

M. Guadet. « Le signataire de la lettre parle de la démission de M. Dumourier, et M. Dumourier n'a donné sa démission que d'avant-hier. Il serait donc impossible que M. Lafayette vous cût parlé de la démission d'un ministre qui ne devait pas

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lui être connue à l'époque à laquelle la lettre a été écrite. Il suit de là que si la lettre était véritablement de M. Lafayette, c'est à dire signée par lui, il faudrait supposer que sa signature était ici en blanc... » (Applaudissemens et murmures.)

M. Léopold. « Vous devez être accoutumés à entendre. M. Guadet; laissez-le dire. »

M. Dumas. « Une fois laissez-le se confondre. >>

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M. Guadet. S'il en était autrement, messieurs, il faudrait supposer que la signature était ici en blanc, à la disposition de ceux qui attendaient une occasion favorable pour remplir le vide d'une doctrine favorable à leur faction... (Applaudissement du côté gauche et des tribunes publiques.)

» D'ailleurs les sentimens de M. Lafayette indiquent assez qu'il est impossible qu'il soit l'auteur de la lettre qui vient de vous être lue. M. Lafayette sait que lorsque Cromwell osait tenir un langage pareil... (Bruit.)

M. Dumas. «Non, vous n'avilirez pas la gloire de Lafayette. Je demande la parole pour répondre... ( Grande agitation.) C'est une atroce calomnie! » (Tumulte ; longue interruption.)

M. Guadet. Je disais... (une voix : Vous en étiez à Cromwell. Au fait.) J'y reviendrai. Je disais qu'il était impossible que la lettre qui vous a été lue soit de M. Lafayette : j'ai tiré ma première preuve de la nature des faits énoncés dans la lettre ; j'ai tiré la seconde des sentimens de M. Lafayette, et je disais que M. Lafayette n'ignore pas que lorsque Cromwell tenait un pareil langage la liberté était perdue en Angleterre. Or je ne me persuaderai jamais que l'émule de Washington veuille imiter le protecteur de la Grande-Bretagne. Si cependant telle était la puissance du parti qui veut tuer la liberté en France (ruit) que M. Lafayette eût cru, ce que je ne me persuaderai jamais, pouvoir se permettre cette démarche, je pense qu'alors l'Assemblée ne saurait prendre une telle démarche en trop grande considération. (Plusieurs voix : Au fait, au fait.)

» Je demande donc le renvoi de cette lettre à un comité, afin que l'Assemblée puisse venger M. Lafayette du lâche qui a osé se couvrir de son nom, ou bien qu'elle prouve par un nouvel et grand exemple au peuple français.... ( Murmures à droite; applaudissemens du côté gauche et des tribunes publiques.) Ou bien qu'elle prouve au peuple français qu'elle n'a pas fait un vain serment lorsqu'elle a juré de maintenir la Constitution; car il n'y aurait plus de Constitution s'il arrivait qu'un général d'armée pût dicter des lois aux représentans de la nation. (Murmures d'un côté. ) Je m'unis donc à M. Guyton pour demander l'ajournement, et je demande en outre que la lettre ne soit livrée à l'impression que lorsqu'il aura été constaté qu'elle est ou n'est pas signée de M. Lafayette.

>>

M. Dumas. « J'atteste la signature de M. Lafayette, et tous mes collègues l'attesteront avec moi. Je prie M. Brissot, qui était à l'Hôtel-de-Ville le 14 juillet 1789, de l'attester

aussi. »

L'Assemblée ferme la discussion; après quelques momeus d'agitation et de trouble elle décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer sur l'envoi aux départemens, et renvoie la lettre à la commission des douze.

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Anniversaire de l'abolition de la noblesse. (Voyez tome II, séance du 19 juin 1790, abolition de la noblesse, etc.) Au moment où les ennemis de la révolution puisaient de nouvelles forces dans l'erreur des hommes de bonne foi qui croyaient encore à la possibilité d'une monarchie constitutionnelle avec les hommes de l'ancienne monarchie; à ce moment, où les vrais constitutionnels prêtaient sans le savoir un appui aux aristocrates, en protégeant de leurs sermens solennels les projets secrets d'une cour qui n'attendait que l'instant favorable pour se venger des uns et rendre aux autres leurs priviléges, M. Condorcet provoqua une mesure qui ravit à ceux-ci une de leurs plus chères espérances. (Déjà la destruction des archives de la noblesse avait été ordonnée par un décret du 12 mai de la même année, sanctionné le 16 par le roi; mais son exécution, remise au dix-neuf juin, et

complétée par la proposition de Condorcet, amena une sorte d'épisode dans l'événement du 20 du même mois : pendant que les citoyens se rassemblaient pour porter à l'Assemblée et au roi l'expression de leur vou, le brûlement des titres de noblesse s'effectuait sur la place Vendôme aux acclamations publiques.)

M. Condorcet. (Séance du 19 juin 1792.) « Messieurs, c'est aujourd'hui l'anniversaire de ce jour mémorable où l'Assemblée constituanté, en détruisant les hochets de la noblesse, dont elle avait anéanti déjà les prérogatives, a mis la dernière main à l'édifice de l'égalité politique. Attentifs à maintenir son ouvrage, vous avez vu dans le dépôt des titres et généalogies une dernière retraite qu'il était imprudent de laisser à l'incorrigible vanité; vous avez ordonné la destruction des titres que renfermait ce dépôt ; c'est aujourd'hui que dans la capitale la raison brûle au pied de la statue de Louis XIV ces immenses volumes qui attestaient l'orgueil de cette caste. Mais d'autres vestiges en subsistent encore dans les bibliothèques publiques, dans les greffes des chambres des comptes, dans les archives des chapitres où l'on exigeait des preuves, dans les bureaux des généalogistes; il faut envelopper tous ces dépôts dans une destruction commune : vous ne ferez point garder aux dépens de la nation ce ridicule espoir qui semble menacer l'égalité. Ne croyez pas cet objet trop peu digne de vous occuper; il s'agit de combattre la plus imbécile, mais la plus incurable de toutes les passions. En ce moment même elle médite encore le projet de deux chambres, ou d'une distinction de grands propriétaires, si favorable à ces hommes qui ne cachent plus combien l'égalité pèse à leur nullité personnelle. Je vous proposerai donc le décret suivant :

« L'Assemblée nationale, considérant qu'il existe dans plusieurs dépôts publics, comme la bibliothèque nationale, dans les greffes des chambres des comptes, dans les archives des chapitres à preuves, etc., des titres généalogiques qui seraient dispendieux à conserver, et qu'il est utile d'anéantir, décrète qu'il y a urgence.

» L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète ce qui suit:

1x.

» Art. 1o. Tous les titres généalogiques qui se trouveront dans un dépôt public, quel qu'il soit, seront brûlés.

» 2. Les directoires de chaque département seront chargés de l'exécution du présent décret, et chargeront des commissaires de séparer ces papiers inutiles des titres de propriété qui pourraient être confondus avec eux dans quelques-uns de ces dépôts. » ( Adopté dans la même séance, et sans discussion.)

Veto du roi.

Depuis trois semaines le peuple attendait avec impatience la décision du roi relativement aux deux décrets soumis à sa sanction, et dont nous avons parlé plus haut. Dans cet intervalle on avait découvert de nouvelles manœuvres des aristocrates; on avait surpris des distributions d'armes et de cocardes blanches; des listes de proscription étaient répandues dans Paris; on allait jusqu'à désigner les têtes qui devaient tomber en expiation de la conquête de la liberté; on avait acquis la certitude d'un nouveau projet d'enlèvement du roi (1); enfin

(1) Il est constant que ce projet avait été formé, et, ce qui n'est pas moins réel, quoique inexplicable, c'est que des constitutionnels très recommandables s'y étaient prêtés, le regardant comme le seul moyen de sauver la France et de maintenir la monarchie constitutionnelle. On devait d'abord conduire le roi à Compiègne, puis le mettre à la tête des troupes; de là protestant, les armes à la main, de son amour pour son peuple, il aurait rendu, présenté, peut-être octroyé la Constitution comme un acte de sa propre volonté; mais elle aurait été révimodifiée...

sée,

La cour, s'appuyant de quelques excès préparés par l'aristocratie ou prenant leur source dans l'inaction du pouvoir exécutif, était parvenue à convaincre un assez grand nombre d'amis connus de la liberté que les Français n'étaient pas mûrs pour l'état présent des choses 9 on leur promettait le système des deux chambres, des institutions fortes, dignes de la monarchie et du peuple, etc. Au fond on voulait ramener et la noblesse et le pouvoir absolu; et des fondateurs de la révolution se trouvèrent accessibles à de telles séductions! C'est cette persévérance dans une aussi grande erreur qui explique, sans la justifier cependant, l'ingratitude que le peuple montra plus tard pour ses premiers législateurs ; dans son instinct il nomma crime l'erreur qui compromettait son salut, et confondit dans sa haine les modérés, les aristocrates et les constitutionnels, tandis que ces derniers se trouvaient en même temps odieux à tous les partis.

Louis XVI se serait volontiers décidé à effectuer le départ projeté;

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