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parce que nous devons combattre les étrangers qui s'immiscent dans nos querelles sommes-nous dispensés de délivrer notre patrie d'une tyrannie domestique ?

Qu'importe à ce devoir et les projets des étrangers et leur connivence avec des contre-révolutionnaires, et leur influence sur des amis tièdes de la liberté ! C'est moi qui vous dénonce cetle secte, moi qui, sans parler de ma vie passée, puis répondre à ceux qui feindraient de me suspecter: approchez dans ce moment de crise où le caractère de chacun va être

connu, et voyons qui de nous, plus inflexible dans ses principes , plus opiniâtre dans sa résistance, bravera mieux ces obstacles et ces dangers, que des traîtres dissimulent à leur patrie, et que les vrais citoyens savent calculer et affronter pour elle!

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» Et comment tarderais-je plus longtemps à remplir ce devoir, lorsque chaque jour affaiblit les autorités constituées, substitue l'esprit d'un parti à la volonté du peuple; lorsque l'audace des agitateurs impose silence aux citoyens paisibles écarte les hommes utiles, et lorsque le dévouement sectaire tient lieu des vertus privées et publiques, qui dans un pays libre doivent être l'austère et unique moyen de parvenir aux premières fonctions du gouvernement?

» C'est après avoir opposé à tous les obstacles, à tous les piéges, le courageux et persévérant patriotisme d'une armée sacrifiée peut-être à des combinaisons contre son chef, que je puis aujourd'hui opposer à cette faction la correspondance d'un ministère digne produit de son club, cette correspondance dont tous les calculs sont faux, les promesses vaines, les renseignemens trompeurs ou frivoles, les conseils perfides ou contradictoires; où, après m'avoir pressé de m'avancer sans précautions, d'attaquer sans moyens, on commençait à me dire que la résistance allait devenir impossible, lorsque mon indignation a repoussé cette lâche assertion.

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Quelle remarquable conformité de langage, messieurs, entre les factieux que l'aristocratie avoue, et ceux qui usurpent le nom de patriotes! Tous veulent renverser nos lois, se réjouissent des désordres, s'élèvent contre les autorités que le peuple a conférées, détestent la garde nationale, prêchent à l'armée

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we, sèment tantôt la méfiance et tantôt le découra

ant à moi, messieurs, qui épousai la cause américaine as groment même où ses ambassadeurs me déclarèrent qu'elle et perdue; qui dès lors me vouai à une persévérante défense de la liberté et de la souveraineté des peuples; qui dès le a juillet 1789, en présentant à ma patrie une Déclaration des Droits, osai lui dire : pour qu'une nation soit libre il suffit qu'elle veuille l'étre ; je viens aujourd'hui, plein de confiance dans la justice de notre cause, de mépris pour les lâches qui la désertent, et l'indignation contre les traîtres qui voudraient la souiller, je viens déclarer que la nation française, si elle n'est pas la plus vile de l'univers, peut et doit résister à la conjuration des rois qu'on a coalisés contre elle!

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» Ce n'est pas sans doute au milieu de ma brave armée que sentimens timides sont permis; patriotisme, énergie, discipline, patience, confiance mutuelle, toutes les vertus civiques et militaires, je les trouve ici! Ici les principes de liberté et d'égalité sont chéris, les lois respectées, la propriété sacrée; ici l'on ne connaît ni les calomnies ni les factions, et lorsque je songe que la France a plusieurs millions d'hommes qui peuvent devenir de pareils soldats, je me demande à quel degré d'avilissement serait donc réduit un peuple immense, plus fort encore par ses ressources naturelles que par les défenses de l'art, opposant à une confédération monstrueuse l'avantage de combinaisons uniques, pour que la lâche idée de sacrifier sa souveraineté, de transiger sur sa liberté, de mettre en négociation sa Déclaration des Droits, ait pu paraître une des possibilités de l'avenir, qui s'avance avec rapidité sur nous !

» Mais pour que nous, soldats de la liberté, combattions avec efficacité ou mourions avec fruit pour elle, il faut que le nombre de défenseurs de la patrie soit promptement proportionné à celui de ses adversaires; que les approvisionnemens de tout genre se multiplient, et facilitent nos mouvemens ; que le bien-être des troupes, leurs fournitures, leur paiement, les soins relatifs à leur santé ne soient plus soumis à de fatales lenteurs, ou à de prétendues épargnes qui tournent en sens inverse de leur but.

Il faut surtout que les citoyens, ralliés autour de la Constitution, soient assurés que les droits qu'elle garantit seront respectés avec une fidélité religieuse qui fera le désespoir de ses ennemis cachés ou publics.

»Ne repoussez pas ce vou! C'est celui des amis sincères de votre autorité légitime. Assurés qu'aucune conséquence injuste ne peut découler d'un principe pur, qu'aucune mesure tyrannique ne peut servir une cause qui doit sa force et sa gloire aux bases sacrées de la liberté et de l'égalité, faites que la justice criminelle reprenne sa marche constitutionnelle, que l'égalité civile, que la liberté religieuse jouissent de l'entière application des vrais principes; que le pouvoir royal soit intact, car il est garanti par la Constitution; qu'il soit indépendant, car cette indépendance est un des ressorts de notre liberté ; que le roi soit révéré, car il est investi de la majesté nationale; qu'il puisse choisir un ministère qui ne porte les chaînes d'aucune faction, et que s'il existe des conspirateurs ils ne périssent que sous le glaive de la loi!

» Enfin que le règne des clubs, anéanti par vous, fasse place au règne de la loi, leurs usurpations à l'exercice ferme et indépendant des autorités constituées, leurs maximes désorganisatrices aux vrais principes de la liberté, leur fureur délirante au courage calme et constant d'une nation qui connaît ses droits et les défend; enfin leurs combinaisons sectaires aux véritables intérêts de la patrie, qui dans ce moment de danger doit réunir tous ceux pour qui son asservissement et sa ruine ne sont pas les objets d'une atroce jouissance et d'une infâme spéculation!

» Telles sont, messieurs, les représentations et les pétitions que soumet à l'Assemblée nationale, comme il les a soumises au roi, un citoyen à qui l'on ne disputera pas de bonne foi l'amour de la liberté; que les diverses factions haïraient moins s'il ne s'était élevé au-dessus d'elles par son désintéressement, auquel le silence eût mieux convenu si comme tant d'autres il eût été indifférent à la gloire de l'Assemblée nationale, à la confiance dont il importe qu'elle soit environnée, et qui luimême enfin ne pouvait mieux lui témoigner la sienne qu'en lui montrant la vérité sans déguisement.

Messieurs, j'ai obéi à ma conscience, à mes sermens;

je le devais à la patrie, à vous, au roi, et surtout à moi-mêine, à qui les chances de la guerre ne permettent pas d'ajourner les observations que je crois ntiles, et qui aime à penser que l'Assemblée nationale y trouvera un nouvel hommage de mon dévouement à son autorité constitutionnelle, de ma reconnaissance personnelle et de mon respect pour elle.

"Signé LAFAYETTE. » (1)

Cette lettre avait obtenu les applaudissemens du côté droit; le côté gauche et les tribunes étaient restés dans le silence. La

(1) Lettre du général Lafayette au Roi en lui envoyant copie de sa lettre à l'Assemblée nationale.

1

Au camp retranché de Maubeuge, ce 16 juin 1792, l'an 4 de la république.

« Sire, j'ai l'honneur d'envoyer à Votre Majesté la copie d'une lettre à l'Assemblée nationale, où elle retrouvera l'expression des sentimens qui ont animé ma vie entière. Le Roi sait avec quelle ardeur, avec quelle constance j'ai de tout temps été dévoué à la cause de la liberté, aux principes sacrés de l'humanité, de l'égalité, de la justice; il sait que toujours je fus l'adversaire des factions, l'ennemi de la licence, et que jamais aucune puissance que je pensais être illégitime ne fut reconnue par moi; il connaît mon dévouement à son autorité constitutionnelle et mon attachement à sa personne. Voilà, Sire, quelles ont été les bases de ma lettre à l'Assemblée nationale; voilà quelles seront celles de ma conduite envers ma patrie et votre Majesté, au milieu des orages que tant de combinaisons hostiles ou factieuses attirent à l'envi sur nous.

» Il ne m'appartient pas, Sire, de donner à mes opinions, à mes démarches, une plus haute importance que ne doivent avoir les actes isolés d'un simple citoyen ; mais l'expression de mes pensées fut toujours un droit, et dans cette occasion devient un devoir; et quoique je l'eusse rempli plutôt si ma voix, au lieu de se faire entendre au milieu d'un camp, avait dû partir du fond de la retraite à laquelle les dangers de ma patrie m'ont arraché, je ne pense point qu'aucune fonction publique, aucune considération personnelle me dispense d'exercer ce devoir d'un citoyen, ce droit d'un homme libre.

>> Persistez, Sire, fort de l'autorité que la volonté nationale vous a déléguée, dans la généreuse résolution de défendre les principes constitutionnels contre tous leurs ennemis ; que cette résolution, soutenue par tous les actes de votre vie privée comme par un exercice`

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lecture terminée, ici l'on s'empresse de voter l'impression et l'envoi à tous les départemens; là des murmures éclatent. M. Vergniaud paraît à la tribune; grande agitation dans l'Assemblée. Je demande, dit-il, à faire une seule observation, et je demande à le faire au nom de la Constitution. Applaudissemens et murmures; bruit. L'Assemblée, consultée par le président, décrète le président, décrète que M. Vergniaud

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sera entendu.

M. Vergniaud. « Messieurs, je crois qu'il importe et à la Constitution, si chère à M. Lafayette, et à la liberté, qu'il a jusqu'à présent défendue avec succès, de distinguer entre les pétitions ou conseils qui peuvent être adressés à l'Assemblée nationale par de simples citoyens, et les pétitions ou conseils que lui adresserait un général d'armée. Lorsqu'un simple citoyen vous adresse une pétition ou vous offre un conseil vous devez l'entendre ; c'est une justice que la Constitution lui assure; mais lorsqu'un général d'armée veut vous donner des avis, vous faire des représentations, je soutiens qu'il ne le peut faire que par l'organe du ministère. S'il en était autrement, messieurs, je ne crains pas de le dire, c'en serait fait de la liberté ! (Murmures à droite; applaudissemens à gauche.) Je vous le demande, que sont les conseils d'un général d'armée si ce ne sont des lois? (Applaudissemens et murmures.) Je n'accuse point ici les intentions de M. Lafayette; je les

ferme et complet du pouvoir royal, devienne le gage de l'harmonie qui, surtout dans les mòmens de crise, ne peut manquer de s'établir entre les représentans élus du peuple et son représentant héréditaire : c'est dans cette résolution, Sire, que sont pour la patrie, pour vous, la gloire et le salut! Là vous trouverez les amis de la liberté, tous les bons Français rangés autour de votre trône pour le défendre contre les complots des rebelles et les entreprises des factieux. Et moi, Sire, qui dans leur honorable haine ai trouvé la récompense de ma persévérante opposition, je la mériterai toujours par mon zèle à servir la cause à laquelle ma vie entière est dévouée, et par ma fidélité au serment que j'ai prêté à la nation, à la loi et au Roi.

» Tels sont, Sire, les sentimens inaltérables dont je joins ici l'hommage à celui de mon respect.

» Signe LAFAYETTE. »

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