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le fardeau du ministère dans ces temps orageux : cet espoir était fondé sur la conformité des principes qui paraissaient animer également tous les membres du conseil. Dévoué sans réserve au bien public, je me suis efforcé de remplir l'honorable tâche qui m'était imposée. Je reçois en ce moment l'ordre du roi de remettre le portefeuille de l'intérieur à M. Mourgues. Je me retire avec ma conscience, et tranquillement appuyé sur elle; mais je dois à l'Assemblée, à l'opinion publique, communication d'une lettre que j'ai eu l'honneur d'adresser au roi lundi dernier.

» La vérité, dont je m'honore d'imprimer le caractère sur toutes mes actions, me l'avait dictée; c'est elle encore qui m'ordonne d'en faire part à l'Assemblée.

» Je suis avec respect, monsieur le président, votre très humble et très obéissant serviteur.

» Paris, le 13 juin 1792, an 4 de la liberté. Signé ROLAND. »

Lettre de M. Roland au Roi.

Sire, l'état actuel de la France ne peut subsister longtemps; c'est un état de crise dont la violence atteint le plus haut degré; il faut qu'il se termine par un éclat qui doit intéresser Votre Majesté autant qu'il importe à tout l'Empire.

>> Honoré de votre confiance et placé dans un poste où je vous dois la vérité, j'oserai la dire tout entiere; c'est une obligation qui m'est imposée par vous-même.

» Les Français se sont donné une Constitution; elle a fait des mécontens et des rebelles: la majorité de la nation la veut maintenir; elle a juré de la défendre au prix de son sang, et elle a vu avec joie la guerre, qui lui offrait un grand moyen de l'assurer. Cependant la minorité, soutenue par des espérances, a réuni tous ses efforts pour emporter l'avantage. De lå cette lutte intestine contre les lois, cette anarchie dont gémissent les bons citoyens, et dont les malveillans ont bien soin de se prévaloir pour calomnier le nouveau régime : de là cette division partout répandue et partout excitée, car nulle part il n'existe d'indifférence; on veut ou le triomphe ou le changement de la constitution; on agit pour la soutenir ou pour l'altérer. Je m'abstiendrai d'examiner ce qu'elle est en elle-même pour

considérer seulement ce que les circonstances exigent, et, më rendant étranger à la chose autant qu'il est possible, je chercherai ce que l'on peut attendre et ce qu'il convient de favoriser.

» Votre Majesté jouissait de grandes prérogatives, qu'elle croyait appartenir à la royauté; élevée dans l'idée de les conserver, elle n'a pu se les voir enlever avec plaisir le désir de se les faire rendre était aussi naturel que le regret de les voir anéantir. Ces sentimens qui tiennent à la nature du cœur humain, ont dû entrer dans le calcul des ennemis de la révolution; ils ont donc compté sur une faveur secrète jusqu'à ce que les circonstances permissent une protection déclarée. Ces dispositions ne pouvaient échapper à la nation elle-même et elles ont dû la tenir en défiance.

» Votre Majesté a donc été constamment dans l'alternative de céder à ses premières habitudes, à ses affections particulières, ou de faire des sacrifices dictés par la philosophie, exigés par la nécessité; par conséquent d'enhardir les rebelles en inquiétant la nation, ou d'apaiser celle-ci en vous unissant avec elle. Tout a son temps, et celui de l'incertitude est enfin arrivé.

» Votre Majesté peut-elle aujourd'hui s'allier ouvertement avec ceux qui prétendent réformer la Constitution, ou doitelle généreusement se dévouer sans réserve à la faire triompher! Telle est la véritable question dont l'état actuel des choses rend la solution inévitable : quant à celle, très métaphysique, de savoir si les Français sont mûrs pour la liberté, sa discussion ne fait rien ici; car il ne s'agit point de juger ce que nous serons devenus dans un siècle, mais de voir ce dont est capable la génération présente.

» Au milieu des agitations dans lesquelles nous vivons depuis quatre ans, qu'est-il arrivé? Des priviléges onéreux pour le peuple ont été abolis; les idées de justice et d'égalité se sont universellement répandues; elles ont pénétré partout; l'opinion des droits du peuple a justifié le sentiment de ses droits; la reconnaissance de ceux-ci, faite solennellement, est devenue une doctrine sacrée ; la haine de la noblesse, inspirée depuis longtemps par la féodalité, s'est invétérée, exaspérée par l'opposition manifeste de la plupart des nobles à la Constitution, qui la détruit.

Durant la première année de la révolution le peuple voyait dans ces nobles des hommes odieux par les priviléges oppres seurs dont ils avaient joui, mais qu'ils auraient cessé de hair après la destruction de ces priviléges si la conduite de la noblesse depuis cette époque n'avait fortifié toutes les raisons possibles de la redouter et de la combattre comme une irréconciliable ennemie.

» L'attachement pour la Constitution s'est accru dans la même proportion: non seulement le peuple lui devait des bienfaits sensibles, mais il a jugé qu'elle lui en préparait de plus grands, puisque ceux qui étaient habitués à lui faire porter toutes les charges cherchaient si puissamment à la détruire ou à la modifier.

» La Déclaration des Droits est devenue un évangile politique, et la Constitution française une religion pour laquelle le peuple est prêt à périr.

» Aussi le zèle a-t-il été déjà quelquefois jusqu'à suppléer à la loi, et lorsque celle-ci n'était pas assez réprimante pour contenir les perturbateurs les citoyens se sont permis de les punir eux-mêmes.

>> C'est ainsi que des propriétés d'émigrés ont été exposées aux ravages qu'inspirait la vengeance; c'est pourquoi tant de départemens se sont crus forcés de sévir contre les prêtres, que l'opinion avait proscrits, et dont elle aurait fait des victimes.

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>> Dans ce choc des intérêts tous les sentimens ont pris l'accent de la passion. La patrie n'est point un mot que l'imagination se soit complue d'embellir; c'est un être auquel on à fait des sacrifices, à qui l'on s'attache chaque jour davantage par les sollicitudes qu'il cause, qu'on a créé par de grands efforts, qui s'élève au milieu des inquiétudes, et qu'on aime par ce qu'il coûte autant que par ce qu'on en espère; toutes les atteintes qu'on lui porte sont des moyens d'enflammer l'enthousiasme pour elle. A quel point cet enthousiasme va-t-il monter, à l'instant où les forces ennemies réunies au dehors se concertent avec les intrigues intérieures pour porter les coups les plus funestes! La fermentation est extrême dans toutes les parties de l'Empire; elle éclatera d'une manière terrible, à moins qu'une confiance raisonnée dans les intentions de Votre Majesté ne puissë

enfin la calmer : mais cette confiance ne s'établira pas sur des protestations; elle ne saurait plus avoir pour base que des faits.

» Il est évident pour la nation française que sa Constitution peut marcher, que le gouvernement aura toute la force qui lui est nécessaire du moment où Votre Majesté, voulant absolument le triomphe de cette Constitution, soutiendra le corps législatif de toute la puissance de l'exécution, ôtera tout prétexte aux inquiétudes du peuple, et tout espoir aux mécontens.

» Par exemple, deux décrets importans ont été rendus ; tous deux intéressent essentiellement la tranquillité publique et le 'salut de l'État : le retard de leur sanction inspire des défiances; s'il est prolongé il causera du mécontentement; et, je dois le dire, dans l'effervescence actuelle des esprits les mécontentemens peuvent mener à tout.

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» Il n'est plus temps de reculer ; il n'y a même plus moyen de temporiser la révolution est faite dans les esprits; elle s'acheyera au prix du sang, et sera cimentée lui si la sagesse ne prévient pas les malheurs qu'il est encore possible d'éviter. » Je sais qu'on peut imaginer tout opérer et tout contenir par des mesures extrêmes; mais quand on aurait déployé la force pour contraindre l'Assemblée, quand on aurait répandu l'effroi dans Paris, la division et la stupeur dans ses environs, toute la France se leverait avec indignation, et, se déchirant elle-même dans les horreurs d'une guerre civile, développerait cette sombre énergie mère des vertus et des crimes, toujours funeste à ceux qui l'ont provoquée.

» Le salut de l'Etat et le bonheur de Votre Majesté sont intimement liés; aucune puissance n'est capable de les séparer : de cruelles angoisses et des malheurs certains environneront votre trône s'il n'est appuyé par vous-même sur les bases de la Constitution, et affermi dans la paix que son maintien doit enfin nous procurer. Ainsi la disposition des esprits, le cours des choses, les raisons de la politique, l'intérêt de Votre Majesté, rendent indispensable l'obligation de s'unir au corps législatif et de répondre au vou de la nation; ils font une nécessité de ce que les principes présentent comme devoir; mais la sensibilité naturelle à ce peuple affectueux est prête à y trouver un motif de reconnaissance. On vous a cruellement trompé,

Sire, quand on vous a inspiré de l'éloignement ou de la méfiance de ce peuple facile à toucher; c'est en vous inquiétant perpétuellement qu'on vous a porté à une conduite propre à l'alarmer lui-même : qu'il voie que vous êtes résolu à faire marcher cette Constitution, à laquelle il a attaché sa félicité, et bientôt vous deviendrez le sujet des actions de grâce!

» La conduite des prêtres en beaucoup d'endroits, les prétextes que fournissait le fanatisme aux mécontens ont fait porter une loi sage contre ces perturbateurs : que Votre Majesté lui donne sa sanction; la tranquillité publique la réclame, et le salut des prêtres la sollicite. Si cette loi n'est mise en vigueur les départemens seront forcés de lui substituer, comme ils font de toute part, des mesures violentes, et le peuple irrité y suppléera par des excès.

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Les tentatives de nos ennemis, les agitations qui se sont manifestées dans la capitale; l'extrême inquiétude qu'avait excitée la conduite de votre garde, et qu'entretiennent encore les témoignages de satisfaction qu'on lui a fait donner par Votre Majesté, par une proclamation vraiment impolitique dans les circonstances; la situation de Paris, sa proximité des frontières ont fait sentir le besoin d'un camp dans son voisinage : cette mesure, dont la sagesse et l'urgence ont frappé tous les bons esprits, n'attend encore que la sanction de Votre Majesté; pourquoi faut-il que des retards lui donnent l'air du regret, lorsque la célérité lui mériterait la reconnaissance ?

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Déjà les tentatives de l'état-major de la garde nationale parisienne contre cette mesure ont fait soupçonner qu'il agissait par une inspiration supérieure; déjà les déclamations de quelques démagogistes outrés réveillent les soupçons de leurs rapports avec les intéressés au renversement de la Constitution; déjà l'opinion publique compromet les intentions de Votre Majesté encore quelque délai, et le peuple contristé croira apercevoir dans son roi l'ami et le complice des conspirateurs.

» Juste ciel! auriez-vous frappé d'aveuglement les puissances de la terre, et n'auront-elles jamais que des conseils qui les entraîneront à leur ruine!

Je sais que le langage austère de la vérité est rarement accueilli près du trône ; je sais aussi que c'est parce qu'il ne s'y fait presque jamais entendre que les révolutions deviennent

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