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M. Français donna lecture des articles du projet qui con. cernait les prêtres non sermentés : l'Assemblée avait dếcrété qu'elle statuerait avant tout sur les troubles religieux. La discussion s'ouvrit après quelques jours, et se prolongea jusqu'au 26. Trente projets furent présentés : celui du comité obtint d'abord la priorité; bientôt il parut insuffisant; elle lui fut retirée, et l'Assemblée l'accorda au projet de M. Benoiston. Cet orateur, s'étayant de l'aveu même d'un prêtre, éloigna en peu de mots la mesure proposée du scrment civique avant la déportation : « Je ne conçois pas, dit-il, comment on a pu vous proposer ce serment comme un moyen efficace lorsque tant de raisons concourent pour vous en dénoncer l'inefficacité. Le sieur Lalaurenzi, ci-devant évêque de Nantes, disait, à l'occasion d'un pareil serment, chez les hommes qui ont deux consciences, l'une pour le civil, l'autre pour le spirituel; l'une n'astreint jamais l'autre ; elles peuvent au contraire se dégager réciproquement. Je ne pousserai pas plus loin mes réflexions. Nous devons adopter la déportation ou la guerre civile, point milieu. » Le projet de M. Benoiston, vivement combattu, mais plus fortement appuyé, fut décrété en ces termes :

de

Décret concernant les prêtres non sermentés. ( Du 27 mai 1792.) «L'Assemblée nationale, après avoir entendu le rapport de son comité des douze, considérant que les troubles excités dans le royaume par les ecclésiastiques non sermentés exigent qu'elle s'occupe sans délai des moyens de les réprimer, décrète qu'il y a urgence.

» L'Assemblée nationale, considérant que les efforts auxquels se livrent constamment les ecclésiastiques non sermentés pour renverser la Constitution ne permettent pas de supposer à ces ecclésiastiques la volonté de s'unir au pacte social, et que ce serait compromettre le salut public que de regarder plus longtemps comme membres de la société des hommes qui cherchent évidemment à la dissoudre ; considérant que les lois pénales sont sans force contre ces hommes, qui, agissant sur les consciences pour les égarer, dérobent presque toujours leurs manœuvres criminelles aux regards de ceux qui pourraient les faire réprimer et punir; après avoir décrété l'urgence, décrète ce qui suit :

» Art. 1er. La déportation des ecclésiastiques insermentés aura licu comme mesure de sûreté publique et de police générale, dans les cas ét suivant les formes énoncés ci-après.

» 2. Seront considérés comme ecclésiastiques insermentés tous ceux

qui, assujétis au serment prescrit par la loi du 26 décembre 1790, ne l'auraient pas prêté; ceux aussi qui, n'étant pas soumis à cette loi, n'ont pas prêté le serment civique postérieurement au 3 septembre dernier, jour où la Constitution française fut déclarée achevée; ceux enfin qui auront rétracté l'un ou l'autre serment.

» 3. Lorsque vingt citoyens actifs d'un même canton se réuniront pour demander la déportation d'un ecclésiastique non sermenté, le directoire de département sera tenu de prononcer la déportation si l'avis du directoire du district est conforme à la pétition.

»> 4. Lorsque l'avis du directoire de district ne sera pas conforme à la pétition, le directoire de département sera tenu de faire vérifier par des commissaires si la présence de l'ecclésiastique ou des ecclésiastiques dénoncés nuit à la tranquillité publique; et, sur l'avis de ces commissaires, s'il est conforme à la pétition, le directoire du département sera également tenu de prononcer la déportation.

» 5. Dans le cas où un ecclésiastique non sermenté aurait par des actes extérieurs excité des troubles, les faits pourront être dénoncés au directoire du département par un ou plusieurs citoyens actifs, et après la vérification des faits la déportation sera pareillement prononcée.

»> 6. La demande ou pétition dont il est parlé dans les précédens articles, devant être signée de ceux qui la formeront, sera remise par cux au directoire du district; ils en affirmeront la vérité devant le même directoire, qui leur fera délivrer par son secrétaire, sur papier libre et sans frais, un certificat du dépôt de cette pétition.

» 7. Le directoire du district vérifiera sur les tableaux qui doivent être déposés dans son secrétariat, ou par tout autre moyen, si les signataires de la pétition sont véritablement citoyens actifs; d'après cette vérification il donnera son avis et le fera passer à l'administration du département dans les trois jours qui suivront celui de la date du dépôt. » 8. Dans les cas où les citoyens actifs qui auront à former la pétition prescrite ne sauraient écrire, elle sera reçue en présence du procureur-syndic par le secrétaire du district, qui, après l'avoir rédigée, en donnera lecture aux pétitionnaires, et relatera leur déclaration de ne savoir signer.

» 9. Lorsque les préalables prescrits par les articles précédens auront été remplis, tant de la part des pétitionnaires que de la part du directoire de district, le directoire de département sera tenu de statuer dans trois jours si l'avis du directoire de district est conforme à la pétition. » 10. Lorsque l'avis du directoire de district ne sera pas conforme à la pétition le directoire de département aura quinze jours pour faire procéder aux vérifications prescrites en pareil cas, et pour statuer définitivement.

» II. L'avis du directoire de district ou celui des commissairesvérificateurs étant conforme à la pétition, il sera enjoint par l'arrêté

du directoire de département aux ecclésiastiques sujets à la déportation de sortir et se retirer dans vingt-quatre heures hors des limites du district de leur résidence, dans trois jours hors des limites du département, et dans le mois hors du royaume. Ces différens délais courront du jour où la sommation leur en sera faite à la requête du procureurgénéral-syndic du département, suites et diligences du procureursyndic du district.

>> 12. Copie de l'arrêté du département sera notifiée à chacun des ecclésiastiques sujets à la déportation, ou à leur dernier domicile connu, avec sommation d'y obéir et de s'y conformer; cette notification se fera sur papier libre, sans autre frais que les vacations de l'huissier, modérés aux deux tiers des vacations ordinaires, et sera souinise à l'enregistrement gratuit.

»13. Sitôt après cette notification l'ecclésiastique sera tenu de déclarer devant la municipalité du lieu de sa résidence, ou devant le directoire du district, le pays étranger dans lequel il entend se retirer; et il lui sera délivré sur le champ par la municipalité ou le directoire du district un passeport qui contiendra son signalement, sa déclaration, la route qu'il doit tenir et le délai dans lequel il doit être sorti du royaume.

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14. Dans le cas où l'ecclésiastique n'obéirait pas à la sommation à lui faite, le procureur-syndic du district sera tenu de requérir la gendarmerie nationale pour le faire transférer de brigade en brigade audelà des frontières les plus voisines du lieu de son départ, et les frais de cette translation, dont il sera dressé procès verbal, seront retenus sur sa pension ou ses revenus.

» 15. Lorsque l'ecclésiastique contre lequel la déportation sera prononcée n'aura ni pension ni revenu, il recevra trois livres par journée de dix lieucs jusqu'aux frontières, pour le faire subsister pendant la route; ces frais seront supportés par le trésor public, et avancés par la caisse du district dans lequel résidait cet ecclésiastique.

» 16. Ceux des ecclésiastiques contre lesquels la déportation aura été prononcée qui resteraient dans le royaume après avoir déclaré leur retraite, ou qui rentreraient après leur sortie, seront condamnés à la peine de détention pendant dix ans.

» 17. Les directoires de département seront tenus d'envoyer chaque mois au pouvoir exécutif, qui en rendra compte à l'Assemblée nationale, l'état nominatif des ecclésiastiques dont il aura prononcé la déportation.

» 18. L'Assemblée nationale n'entend, par les précédentes dispositions, soustraire aux peines établies par le code pénal les ecclésiastiques non sermentés qui les auraient encourues ou pourraient les encourir par la suite.

» 19. Le présent décret sera porté dans le jour à la sanction. »

ÉVÉNEMENT DU 20 JUIN 1792.

On se rappelle que le premier décret contre les prêtres factieux avait été frappé du veto. (Voyez tome 8.) Le décret rapporté ci-dessus fut à peine rendu que le bruit se répandit qu'il subirait le même sort. Dès lors on vit se former l'orage qui éclata le 20 juin.

Il parut évident à tous les bons citoyens que le pouvoir ́exécutif, dans une inaction complète pour le rétablissement de l'ordre et l'exécution des lois, n'usait de son droit constitutionnel que pour mieux protéger les ennemis mêmes de la Constitution. Toujours trompé, le peuple s'irrita, et parut menaçant. Les différens partis cherchèrent à profiter de cette disposition, que beaucoup d'autres circonstances rendaient encore favorable à leurs vues défections, revers à l'armée; complots dans l'intérieur; rassemblemens, émeutes dans Paris; rixes aux Tuileries, où l'aristocratie marchait tête levée, où les bons citoyens, les vrais organes du peuple ne rencontraient que l'insulte et l'outrage; partout enfin la plus graude fermentation. Une conduite franche et loyale de la part du chef du pouvoir exécutif pouvait remédier à tout au contraire, il se laissa persuader que le moment était venu de ressaisir, sur les débris de la Constitution 2 ses anciennes prérogatives; il permit qu'on fît en son nom des préparatifs secrets. Tout à coup l'on apprend que la garde constitutionnelle du roi s'est grossie de prêtres, d'émigrés, et d'autres individus dont il était au moins permis de suspecter les intentions: l'Assemblée nationale, par un décret rendu dans sa séance permanente du 28 au 31 mai, licencie la garde du roi (1). L'assemblée par cette mesure avait prévenu le danger; mais le moyen pour la cour de reconquérir la confiance!

(1) « L'Assemblée nationale, considérant que l'admission dans la garde soldée actuelle du roi d'un grand nombre d'individus qui ne réunissent point les conditions exigées pour ce service par l'acte constitutionnel; que l'esprit d'incivisme dont ce corps est généralement animé et la conduite de ses officiers supérieurs excitent dė justes alar

1

Dans cet état de choses un décret important est présenté à la sanction : ce décret est cher au peuple; il a pour objet une augmentation de la force publique, une nouvelle fédération, un nouveau serment au 14 juillet! Le bruit se répand également que le veto frappera ce décret. Le peuple s'irrite encore cependant il reste calme, quoique prêt à l'insurrection; et, travaillé par tous les partis, il attend que le refus de sanction soit officiellement proclamé.

Louis XVI, jouet de tous ses conseillers secrets, organe de toutes les volontés, incapable d'en avoir une à lui, changeait sans effort de ministres, selon qu'on lui promettait que tel ou tel homme l'aiderait mieux à suivre cette marche impolitique, qu'on lui montrait comme étant la seule bonne, la seule digne de lui. (Voyez tome 8, page 393, la composition du ministère au mois d'avril.)

Le 10 mai M. Degrave avait laissé le portefeuille de la guerre à M. Servan. Après un mois M. Servan reçut du roi l'ordre de cesser ses fonctions; la même disgrâce enveloppa MM. Roland et Clavières: mais l'Assemblée les consola en décrétant qu'ils emportaient tous trois les regrets de la nation. L'Assemblée décréta en outre l'impression et l'envoi aux quatre-vingt-trois départemens des deux lettres ci-après, que lui adressa M. Roland en quittant le ministère : la lecture de ces lettres,fut souvent interrompue par de vifs applaudis

semens.

Lettre de M. Roland aa président de l'assemblée nationale.

« Monsieur le président, l'espoir de concourir au bien de l'Etat avait pu seul déterminer des citoyens patriotes à accepter

mes, et pourraient compromettre la sûreté personnelle du roi et la tranquillité publique, décrète qu'il y a urgence.

» L'Assemblée nationale, après avoir décrété l'urgence, décrète : » Art. 1. La garde soldée actuelle du roi est licenciée, et elle sera renouvelée sans délai, conformément aux lois.

» 2. Jusqu'au renouvellement de la garde soldée du roi la garde nationale parisienne fera le service auprès de sa personne, ainsi et de la même manière qu'elle l'a fait avant l'établissement de la garde soldée. » ( Décret du 29 mai 1792, séance permanente.)

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