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sesse qu'on achète la faveur; on ne leur vendra les places qu'au prix de la vérité, de l'honneur et de la patrie; fidèles à leurs promesses, partout ils chanteront la grandeur et la majesté royale, partout ils ravaleront les représentans de la nation, partout ils inoculeront le poison de l'incivisme, partout ils tromperont l'ignorance et corrompront l'opinion! Est-ce déclamation ou vérité, est-ce prédiction ou expérience? Parcourez tous les bureaux des agens du pouvoir exécutif; vous verrez avec quelle insolence le peuple et ses représentans y sont calomniés et avilis : suivez ces sous-valets dans les lieux publics; vous ne les entendrez pas sans indignation: cependant le peuple crédule écoute; il est dupe de leur art perfide, et c'est ainsi que l'esprit public s'affaiblit et se perd.

» Le moyen le plus efficace d'agrandissement qu'il vous soit possible de fournir au pouvoir exécutif c'est de multiplier le nombre des places qu'il distribue, et surtout celles qui tiennent au maniement des deniers publics; car le peuple; comme tous les hommes, suit sa fortune de ses regards, et là où est son trésor la aussi est bientôt son cœur.

vues,

» C'est à vous de voir, messieurs, s'il peut entrer dans vos dans vos principes, dans vos devoirs de fournir de nouveaux moyens d'extension à un pouvoir qui naturellement s'agrandit et vous resserre, se développe et vous comprime, et qui n'acquiert que quand vous perdez : faut-il le laisser remonter au point où il était naguères, où il fut pendant quatorze siècles, à la honte de la raison? Représentans, défenseurs du peuple, décidez si c'est là son vou, si ce sont ses vrais intérêts!

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Quatrième question. - Dernière question à résoudre : la proposition qui vous a été faite est-elle d'une nécessité si impérieuse que vous ne puissiez la rejeter sans perdre l'Etat?

» Il est une vérité que l'expérience des siècles a démontrée, que la voix du monde atteste'; c'est que les vertus n'habitent guère les palais des rois; là une attraction irrésistible rassemble toutes sortes de vices, et quand tous ceux qui existent sont réunis une puissance aussi inconcevable que désastreuse y crée ceux qui n'étaient pas; on n'y recherche pas plus qu'on n'y connaît les talens et la probité; y a-t-il un homme plongé

dans l'ignorance la plus stupide ou la bassesse la plus profonde, c'est lui qu'on élève souvent au premier emploi ; un bon choix y est un phénomène aussi rare qu'un bon roi : laisser sortir de là les gardiens de la fortune publique, c'est consentir à la voir passer dans les mains de l'ignorance et de la rapine.

» Le peuple le sait, et le sent: de sa persuasion doivent découler le découragement, le désespoir de voir jamais l'ordre renaître dans les finances dilapidées, et la lenteur à payer les impositions; premier coup porté à son salut, premier pas fait vers sa ruine! Personne ne peut en douter; quand le peuple n'a point de confiance en ceux qui administrent ses deniers il les laisse échapper avec peine : chaque citoyen fuit l'impôt, le retarde, le paie mal; et quand l'impôt est mal payé la prospérité publique languit, l'Etat souffre, et tend rapidement au sort de l'infortuné que l'indigence accable, que la faim presse, que la faiblesse gagne, et qui, épuisé par degrés, périt enfin d'inanition.

>> Vous voyez, messieurs, où peut conduire la défiance du peuple, suite nécessaire d'une administration de fiuances dont il n'a pas nommé les agens! Cette défiance fût-elle injuste, elle n'en serait pas moins un mal toujours très alarmant, en ce qu'elle produirait les plus funestes effets; mais que sera-ce, messieurs, si ce mal n'est pas le seul, si aux défiances du peuple, qui craint, se joignent les malversations d'administrateurs qui dilapident?

» Et la surveillance, va-t-on me dire, ne l'exercera-t-on pas contre eux avec la plus grande sévérité? Au moyen de ce flambeau, qu'on ne laissera pas éteindre un instant, n'éclairera-t-on pas toujours l'administration la plus fallacieusement ténébrease?... La surveillance! Serait-il possible, messieurs, qu'on vous endormît avec un grand mot tout aussi vide de sens que le fut pendant longtemps, que le sera peut-être encore celui de responsabilité ! Vous luttâtes à diverses reprises contre un ministre suspect sans pouvoir suffisamment le convaincre, je ne dirai pas pour être puni, mais même pour être accusé, tandis qu'il ne s'agissait que de simples faits; et l'on vous persuaderait qu'il vous sera aisé de convaincre des administrateurs des finances qui vous donneront à débrouiller les calculs les plus ténébreux! Se fait-on une juste idée des travaux prodigieux qu'exige la vérification exacte d'une immensité de comptes qu'on aura soi

gneusement rendus les plus compliqués, les plus embrouillés, les plus indéchiffrables possibles, afin de lasser votre patience ou de tromper vos regards!

La surveillance! Mais l'Assemblée constituante ne l'a-t-elle pas exercée ? Cependant avait-elle vu tous les abus que couvrait la poussière des bureaux? N'en découvrons-nous pas encore?

» La surveillance! Mais a-t-on bien examiné la manière dont l'administration des finances est organisée? Les ministres, les commissaires à la trésorerie nationale, à la caisse de l'extraordi naire, au bureau de comptabilité, ne sont-ils pas tous les agens du pouvoir exécutif, ainsi que les commissaires des postes, que les payeurs généraux? Quel bizarre et monstrueux système que celui où les surveillés nomment eux-mêmes leurs surveillans! Si les ordonnateurs, les payeurs, les apurateurs, qui se nomment les uns les autres, qui ont des intérêts communs, veulent se concerter entre eux, ne pourront-ils pas commettre une multitude de fraudes qu'il vous sera aussi naturel de soupçonner qu'impossible de découvrir?

» La surveillance! Mais les administrateurs de deniers publics ne sauront-ils pas parfaitement qu'elle n'est pas plus redoutable que le tonnerre factice qu'on fait gronder au spectacle, ou que les fantômes dont on cherche à effrayer les enfans? Si l'on me sait mauvais gré d'en faire un être de raison, si l'on veut qu'elle soit quelque chose, ne l'exercerait-on pas tout aussi bien sur des agens nommés par le peuple que sur ceux qui sont nommés par le pouvoir exécutif?

» Les premiers auraient toujours en leur faveur la présomption de la probité par la confiance publique qui les aurait désignés, au lieu que les seconds auront presque toujours la présomption contraire par la protection et la faveur qui seront censées les avoir choisis. Il ne s'agit plus que d'une chose, car ceci tranchera évidemment la question qui vous occupe; c'est de savoir s'il y a bien loin de la présomption à la vérité.

» Ah! messieurs, la possibilité d'abuser des deniers communs et la tentation de le faire sont si voisines l'une de l'autre, qu'il arrive bien rarement de ne pas les voir marcher ensemble; tout ce qui approche du trésor public lance sur lui des regards que la cupidité anime. La propriété du peuple touche si peu l'égoïsme

qu'il n'est que des hommes du peuple qui puissent s'intéresser fortement à elle, la respecter, la croire sacrée, et la toucher avec des mains pures : des agens qu'il n'aura pas nommés la profaneront; leurs déprédations sont aussi certaines longue expérience qui les constate.

que la

» Et certes nous ne devrions pas avoir oublié une leçon que le laps des quatorze siècles a dû tracer ineffaçablement dans notre souvenir? Faut-il vous rappeler les innombrables rapines commises par des administrateurs infidèles! Faut-il faire passer sous vos yeux les Calonne et les Terray de tous les règnes? Faut-il vous montrer le péculat cherchant à se cacher dans les ténèbres, mais manifestant dans tout son jour la détresse publique? Faut-il vous faire voir les impôts augmentant avec la misère, le peuple criant sans être entendu, priant sans être exaucé, périssant sans être secouru, et l'Etat, sapé par ses fondemens, s'ébranlant sur les bords d'un abîme! Il y croulait şi vos prédécesseurs ne l'eussent retenu,

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» Qui les avait causés tous ces maux? Etaient-ce des représentans de vos pères, ou des agens de vos rois? Et c'est en de pareilles mains que vous laisseriez la fortune publique! Et l'expérience de vos malheurs ne vous aurait point corrigés!

» Mais pensez-y sérieusement, messieurs! Si vous ne mettez vos finances entre les mains d'élus et d'amis du peuple, si vous les confiez à des hommes déprédateurs par instinct, il est impossible que la France ne retombe dans la crise périlleuse dont une espèce de miracle ne l'aura sauvée que pour un instant; si les agens des rois manient les deniers du peuple, l'abîme comblé dans le passé va s'ouvrir dans l'avenir! Ouvrez le livre des dèstinées; la page à lire n'est peut-être pas bien loin... Prenez garde de perdre l'Etat, que vous pouvez sauver; prenez garde de semer des malédictions sur votre mémoire; prenez garde que vos neveux, plongés dans la misère par la déprédation, et ramenés à l'esclavage par la misère, ne vous attribuent tous leurs malheurs, et ne disent en vous détestant: nos pères pouvaient éviter nos maux, mais ce furent eux qui nous perdirent! Fortement ému par cette idée, je me plais à m'y arrêter, et c'est elle que je termine: si chacun de vous la médite son cœur ne restera pas froid, ni son opinion, indécise.

par

» Je me résume en appuyant de toutes mes forces la motion de M. Condorcet, et en vous proposant, etc. » (Suivait un projet de décret rédigé d'après les vues de l'orateur.)

DE LA RESPONSABILITÉ DES MINISTRES.

La question de la responsabilité, souvent mise à l'ordre du jour par les dénonciations faites contre les ministres, avait chaque fois été écartée par la difficulté d'établir dans cette matière une mesure fixe et précise; cependant l'Assemblée chargea son comité de législation de lui présenter des vues sur ce point important: M. Hérault-Séchelles, organe de ce comité, fit un rapport le 22 février 1792; l'orateur démontra que les moyens d'exercer la responsabilité se trouvaient dans le code pénal, et il conclut à la question préalable ainsi motivée :

« L'Assemblée nationale, considérant que la Constitution a établi le mode d'exercer la responsabilité des ministres en déléguant au corps législatif le pouvoir et la fonction de poursuivre cette responsabilité devant la haute cour nationale, qui connaîtra des délits des ministres et des crimes qui attaqueront la sûreté de l'Etat lorsque le corps législatif aura rendu un décret d'accusation; après avoir entendu le rapport de son comité de législation, décrète qu'il n'y a pas lieu à délibérer. »

A l'époque de la discussion relative aux dangers de la patrie (voyez plus haut) on remit encore à l'ordre du jour la question de la responsabilité, mais seulement pour rendre cette responsabilité solidaire entre tous les ministres. C'est alors que M. Guyton présenta un projet qui fut adopté dans la même séance et sans discussion.

OPINION de M. Guyton-Morveau sur la responsabilité solidaire des ministres. (Séance du 23 juillet 1792.)

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Messieurs, la perspective déjà très menaçante du danger de la patrie vous a engagés dès le 5 de ce mois à vous occuper des mesures à prendre pour en arrêter les progrès, et à en préparer le remède dans le cas où vous seriez obligés d'en avertir les citoyens par une proclamation solennelle.

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