Page images
PDF
EPUB

raient servi la patrie pendant un certain nombre d'années. Alors les guerriers ne formeront plus dans l'État un corps particulier, redoutable à la liberté publique dans des temps orageux; on ne verra dans la France que des citoyens propres à la guerre comme aux emplois civils, qui auront consacré quelques années au service de la patrie, et parmi eux deux cent mille hommes constamment exercés, prêts au moindre signal à se couvrir de leurs armes.

» Personne ne contestera les effets prodigieux que peuvent produire l'amour de la patrie, la noble ambition de se distinguer aux yeux de ses concitoyens, de recevoir des prix honorables des magistrats du peuple, et d'obtenir les couronnes, les pompes triomphales, les épées de la patrie!

» Avec le plan que je viens de tracer vous pouvez entrevoir le moment, quoique encore éloigné, de la diminution des troupes de ligne : au contraire, avec des vues différentes, en ne vous hâtant pas de former ce caractère tranchant d'un peuple guerrier, quoique voué par serment à la paix, vos successeurs ne pourront sans imprudence diminuer l'armée; et cependant je ne pense pas que la nécessité de cette diminution puisse être un instant mise en doute; l'expérience montre évidemment que le despotisme des rois de l'Europe a augmenté en même temps que le nombre des troupes qu'ils avaient à leurs ordres dès que les légions romaines ont été permanentes la liberté a chancelé ; elle a disparu avec la naissance des gardes prétoriennes.

:

» Peut-être la philosophie fera-t-elle une objection : elle pourra craindre que, presque tous les citoyens devenant propres à la guerre, la nation ne devienne guerrière et ne se laisse entraîner à la passion des conquêtes. Cette crainte ne serait pas fondée, parce que l'état actuel de l'Europe, l'égalité que les . arts mettent dans les moyens de défense et d'attaque de tous les peuples, la promptitude avec laquelle ils peuvent se réunir contre celui dont ils redoutent l'ambition, tout nous garantit qu'aucune nation ne peut devenir conquérante; d'ailleurs aucun peuple n'avait encore fait ce serment solennel de renoncer à toute conquête : eh! qui pensera que le premier qui en a donné le saint exemple à la terre puisse l'enfreindre? Non, jamais il ne

sera violé ce serment sacré, l'honneur de la nation française, le gage de cette paix universelle à laquelle l'humanité sourit déjà ! La philosophie l'a dicté, et, tous les jours augmentant ses progrès dans tous les esprits, dans tous les cœurs, elle y

met un sceau inviolable!

» Ah! plutôt d'autres craintes doivent nous occuper! Craignons que nos mœurs corrompues n'éloignent de nous cette vigueur de l'âme, ces vertus mâles et républicaines sans lesquelles la vraie liberté ne peut exister! L'austérité de ses lois répugne bientôt à des cœurs pleins des vices des esclaves, qui ne cherchent que la licence en osant se dire les amis de la liberté. La liberté fait naître les vertus publiques; la licence les détruit l'amour de la liberté prend sa source dans la grandeur de l'âme; le désir de la licence naît de son avilissement : la liberté est esclave de la loi; la licence voudrait l'anéantir : la liberté est inséparable de l'amour de la patrie; elle fait les grands hommes, les grandes nations: la licence ne peut naître que chez un peuple dégénéré ; elle le conduit à grands pas vers sa ruiné.

» Vos prédécesseurs ont créé pour les Français une Constitution libre : c'est à vous maintenant de former des hommes pour la liberté. Tous les moyens sont dans vos mains; vous saurez les employer: vous échaufferez les cœurs, vous les remplirez d'une noble émulation; c'est par vos institutions qu'on verra se former et se perpétuer dans la nation ce courage, cette grandeur d'âme, cette ardeur pour la gloire, ce zèle et ce dévouement pour la patrie qui désormais doivent être le caractère distinctif du Français; vous ferez oublier toutes ces futilités qui nous ont occupés si longtemps; vous rappellerez les vertus fortes et magnanimes qui semblent exilées de nos climats, car les grands hommes se forment où le mérite est le mieux récompensé! Alors la liberté française sera inébranlable, et la postérité, jouissant du fruit de vos institutions, se rappellera vos noms avec reconnaissance.

» Et vous, braves guerriers (1), vous qui sentez combien il est beau de combattre pour la liberté, le corps législatif, qui vous reçoit aujourd'hui dans cette enceinte, vous décernera

(1) « Les officiers des troupes de ligne de la garde parisienne étaient présens à la séance. »

peut-être bientôt des récompenses honorables; et nous, nous périrons jusqu'au dernier, ou nous transmettrons à la seconde législature le dépôt que la nation nous a confié! » (Suivait un projet de décret conforme aux principes exposés dans le rapport.)

DES ADMINISTRATEURS DE LA FORTUNE PUBLIQUE. OPINION de M. Lasource, tendant à retirer des attributions du pouvoir exécutif la nomination et la destitution des administrateurs et agens du trésor public. (Séance du 16 avril 1792.)

Messieurs, je propose avec M. Condorcet (1) de ne laisser au pouvoir éxécutif ni la nomination ni la destitution des administrateurs de la fortune publique.

» Cette proposition est-elle dans l'esprit de la Constitution? Est-elle dans les principes de la justice? Est-elle essentiellement liée aux grands intérêts de la nation! Est-elle enfin d'une nécessité si impérieuse que vous ne puissiez la rejeter sans compromettre le salut public? Ces questions une fois résolues, votre opinion doit être fixée.

» Première question. Le législateur qui aurait à réunir et à policer un peuple nomade devrait se demander d'abord si les lois qu'il fait conviennent au caractère des hommes auxquels il les destine; mais le législateur qui n'a qu'à compléter le code d'un peuple déjà policé doit se demander seulement si les lois qu'il projette entrent dans l'esprit, le but, le principe fondamental et le système primitif de celles qui existent. Le principe fondamental de toutes nos lois est la Déclaration des Droits de l'homme : le système primitif de notre législation est la Constitution que nous avons jurée; toutes les lois qui l'attaquent doivent être rejetées, parce que si vous n'avez pas le pouvoir de modifier ou de changer ce système, vous n'avez pas non plus celui de consentir des propositions qui le heurtent : la première question que vous devez vous adresser, messieurs, toutes les fois qu'on vous propose une nouvelle loi, est celle de

(1) Condorcet avait le premier fait cette proposition, dans la séance du 3 février 1792.

savoir si cette loi est conforme ou contraire au système primitif, si elle suit ou croise la Constitution.

» J'ouvre donc, je lis', je médite la Constitution pour voir si je n'y trouverais rien qui s'opposât à la proposition de laisser au peuple la nomination et la destitution des administrateurs du trésor public: nulle part je n'aperçois de disposition prohibitive. Je pourrais par conséquent argumenter déjà de ce principe que tout ce qui n'est pas défendu par la loi est permis; mais pour éviter une rétorsion qui, quoique sans fondement pourrait paraître spécieuse, avant de tirer des conséquences j'assurerai mieux les principes..

» Avançons un pas de plus. Je parcours d'un bout à l'autre le chapitre qui règle l'exercice du pouvoir exécutif : j'y vois la nomenclature de toutes les places qui sont laissées à la nomination du roi; elles y sont spécifiées dans les détails les plus exacts; mais dans aucun des articles qui les détaillent je ne vois que le roi nomme et destitue les administrateurs du trésor public; dans aucun il n'est parlé d'eux. La Constitution n'a donc pas donné au roi la nomination et la destitution des administrateurs du trésor public; vous pouvez donc décréter que cette nomination et cette destitution appartiennent au peuple sans violer la Constitution dans le moindre de ses détails.

» Non seulement cette nomination par le peuple n'est point contraire à la Constitution, mais encore elle s'en déduit naturellement. Quand la Constitution a voulu laisser au roi des nominations et des destitutions elle ne l'a pas laissé soupçonner, elle ne l'a pas dit implicitement, mais elle l'a déclaré de la manière la plus positive. N'a-t-elle pas dit qu'au roi seul appartenait le choix et la révocation des ministres. ( Titre III, chapitre II, section IV.) N'a-t-elle pas déclaré qu'il nommait les trésoriers des arsenaux, les préposés en chef aux régies des contributions indirectes et à l'administration des domaines nationaux ? (Titre III, chapitre IV, article 2. >

Les trésoriers des arsenaux! Ce sont surtout ces mots qui sent remarquables si elle avait voulu qu'il nommât aussi les trésoriers de la nation ne l'aurait-elle pas déclaré d'une manière tout aussi précise? Quand la Constitution spécifie avec tant de précision les places auxquelles le roi nomme, son seul silence

[ocr errors]

n'est-il pas un refus formel de toute autre nomination? Ne vous paraît-il pas qu'elle lui ôte toutes celles qu'elle ne lui donne point? » Or elle ne lui a donc point laissé la nomination des administrateurs du trésor public; elle la lui a manifestement refusée : cette vérité est si certaine que ceux-là mêmes qui ont fait la Constitution, et qui devaient mieux que personne connaître leur propre ouvrage, ont donné au roi la nomination des commissaires à la trésorerie nationale, à la caisse de l'extraordinaire, au bureau de comptabilité, par des décrets séparés, indépendans de la Constitution. Si la Constitution avait permis que ces diverses nominations fussent faites par le roi aurait-il été nécessaire de les lui donner par des décrets? Et s'il a fallu des décrets pour donner ces nominations au roi ne vous paraîtil pas démontré qu'il ne les avait point par la Constitution? S'il né les avait pas par la Constitution, à qui appartenaient-elles? Au peuple. Si nous supposons un instant la non existence de ces décrets pour nous en tenir à la Constitution seule, à qui appartiendront d'après elle les nominations dont il s'agit? Au peuple il est donc dans l'esprit et dans la lettre de la Contitution que ces nominations soient faites par le peuple. Voilà, je pense, messieurs, de quoi rassurer ceux d'entre vous qui auraient pu ou croire ou entendre crier que la proposition de M. Condorcet portait atteinte à la Constitution.

» Seconde question.-C'est peu d'être conforme à la Constitution, car ce code est l'ouvrage des hommes, et ils auraient pu tomber dans de grandes erreurs ; je vais plus loin, et je dis en second lieu que cette proposition est conforme à tous les principes de la justice, première règle des hommes, et surtout des législateurs, règle qui fut avant eux, et qu'il ne leur est jamais permis de perdre de vue ou de méconnaître.

» La nation pourvoit à la splendeur du trône par une liste civile. Cette liste civile appartient au roi puisque la Constitution la lui donne : si vous vouliez faire nommer par le peuple un administrateur entre les mains duquel elle serait déposée, qui la gérerait, qui vous en rendrait compte, que vous destitueriez selon qu'il aurait bien ou mal géré, le roi n'aurait-il pas le droit de crier à l'injustice? N'aurait-il pas le droit de

« PreviousContinue »