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heureux de son bonheur; on chérit ses concitoyens; on est glorieux d'être Français; on adore la patrie!

» Ce feu sacré n'est donc pas éteint dans les âmes! Il faut le ranimer, l'entretenir avec soin: que les citoyens voient partout la patrie et la gloire; qu'il sachent qu'on n'acquiert l'une qu'en servant l'autre ! N'oubliez rien de ce qui commande à l'âme en parlant aux yeux : que le corps législatif ne dédaigne pas trop pour lui-même ce moyen si puissant : qu'on voie enfin quelque part, au lieu des statues isolées des rois, celles de nos grands hommes !

» Combien sera puissante sur les âmes ardentes la vue d'un général triomphant des ennemis de la liberté, entouré des attributs de la victoire, accompagné des guerriers qui se seront le plus distingués dans le combat! triomphe dont l'éclat ne sera point souillé, comme à Rome, par la présence des prisonniers traînés avec barbarie à la suite du vainqueur !

» Et dans nos fêtes nationales que les yeux se reposeront avec complaisance, avec respect sur les citoyens qui auront mérité d'honorables récompenses des mains de la patrie !

par

-> Ces hommes, dirait un père à son fils qu'il veut former aux vertus publiques, ces hommes qui portent une couronne civique ont mérité cet honneur des actions d'un grand courage, ou en sauvant la vie à leurs concitoyens dans des occasions périlleuses; quand ils se présentent aux fêtes publiques le peuple se lève à leur arrivée, et ils s'asseyent parmi les représentans de la nation. Ceux qui ont une couronne de laurier ont montré la plus haute valeur dans les combats : les uns ont les premiers monté sur la brêche d'une place assiégée; les autres ont défendu un poste important avec une rare intrépidité; tous se sont distingués par quelque action d'éclat. Ceux-ci sont des savans ou des philosophes qui ont éclairé les hommes par leurs ouvrages; plusieurs d'entre eux, honorés souvent du titre de représentant de la nation, l'ont servie avec zèle dans le corps législatif; ils ont com battu sans cesse pour la liberté publique; leur fidélité maintenait les lois existantes, et leur génie en proposait de nouvelles. Parmi ces hommes chers à la patrie, qui tous ont une place distinguée, vous en remarquez un qui porte une épée tandis que tous les citoyens sont sans armes; c'est un général qui a vaincu nos

ennemis ; mais sa victoire fut ensanglantée ; elle fut achetée par la perte d'un grand nombre de Français : aussi n'est-il placé qu'après cet autre général qui, à une épée donnée par la patrie, joint l'honneur d'une couronne civique, parce qu'il a su épargner le sang précieux des soldats, et que sa victoire a coûté peu de larmes à la patrie.

» Qu'on imagine s'il est possible l'effet qu'un tel spectacle produirait sur l'âme des jeunes Français! Comme il développerait en eux l'amour de la patrie, la passion de la gloire, deux sentimens qui dans un pays libre renferment toutes les vertus! car vous ne pouvez aimer la patrie sans chérir les lois qu'elle a faites, sans être prêt à périr pour elle, sans être humain, généreux, magnanime envers vos concitoyens; vous ne pouvez aimer la vraie gloire sans craindre de la ternir par des actions serviles et basses, et dès lors vous avez le sentiment sublime de la liberté; vous êtes le digne et vertueux citoyen d'un pays libre.

» Ne vous le dissimulez pas, messieurs; vainement la France se flatterait de conserver sa liberté ; si elle ne voyait pas ses nombreux enfans se former un caractère national qui les portât aux choses grandes et sérieuses, qui leur fît dédaigner ces frivolités, ces niaiseries propres à entretenir l'âme dans une mollesse habituelle !

» Longtemps les Français ont été de grands et faibles enfans; ils ne sont des hommes que depuis la révolution: ils resteront tels tant que leur liberté sera menacée; ils la défendront comme des lions. Ne craignez pas pour eux le danger; craignez le repos: tremblez de les voir retourner avec ardeur à d'anciennes habitudes, à ce cercle monotone d'occupations uniquement relatives à leurs intérêts, et de plaisirs qui corrompent le cœur en affaiblissant le corps!

» L'éducation nationale, les fêtes publiques, les récompenses données aux grands hommes pourront seules garantir pour les siècles la liberté française, en formant un caractère guerrier, mais non féroce, énergique, et non farouche, de franchise sans rudesse, et d'hospitalité, d'urbanité même, sans aucun mélange de cette politesse factice créée à la fois dans les cours par la bassesse et l'orgueil.

» Dans toutes ces institutions, dont l'effet est si puissant sur

les hommes, vous vous écarterez des routes suivies jusqu'à ce jour, et vous prendrez de l'antiquité les conseils et la pratique des grands moyens qui forment des citoyens et des hommes. Parmi les récompenses que les Romains accordaient aux généraux vainqueurs il en est une que vous rejetterez sans doute, comme a fait notre comité; c'est de donner à un citoyen le droit de joindre à son nom celui d'une province défendue, d'une ville prise ou sauvée : une telle institution blesserait l'égalité, et sans elle il n'est point de véritable liberté.

» Nous avons pensé que les actions les plus vertueuses, les plus éclatantes devaient être récompensées de la manière la plus simple, par une branche de chêne ou de laurier : la seule récompense digne d'elles est de les rappeler à la mémoire des citoyens ; ce serait profaner la vertu que d'emprunter pour l'honorer l'éclat de l'or et de l'argent.

>> Mais des couronnes, des médailles, des anneaux d'or pourraient être décernés pour des actions moins glorieuses; les citoyens ne les porteraient pas en tout temps, mais seulement dans les fêtes nationales et dans les époques les plus chères de leur vie, comme un mariage, la naissance d'un enfant. Il en serait de même de la couronne civique; elle ne pourrait orner la tête de celui qui l'aurait obtenue que dans les fêtes nationales : récompense de la plus haute vertu ou du courage le plus éclatant, décernée par le corps législatif, qui rarement accorderait un tel honneur, elle ne paraîtrait que dans les grandes occasions, avec celui qui l'aurait méritée, moins encore pour l'honneur que pour exciter ses concitoyens à imiter son courage ou sa vertu.

» Dans la dernière guerre on a vu un matelot français se précipiter du haut du grand mât dans la mer pour sauver un de ses camarades prêt à se noyer: s'il avait eu la couronne civique qu'il serait beau de voir cet homme simple et pauvre conduit à la place la plus honorable dans une fête nationale, et le peuple se lever à son arrivée ! Est-il un plus noble moyen de récompenser la vertu ! Peut-on mieux établir l'égalité!

» Votre comité a pensé que vous deviez, comme les Romains, établir le grand et le petit triomphe : la différence des victoires qui peuvent être remportées en prescrit suffisamment une dans la manière de les célébrer et de les récompenser. Le corps légis

latif appréciera la grandeur des obstacles, la constance de l'armée à les vaincre, le nombre et la résistance des ennemis, et les efforts de nos guerriers. Pour les généraux il est une distintion essentielle à faire comme à Rome; c'est de récompenser davantage le général attentif à épargner le sang des soldats : les Romains avaient étendu cette maxime jusqu'à compter le nombre des morts.. Votre comité a cru inutile de rien prescrire de positif sur cet objet, et a pensé que ce sera au corps législatif à juger d'après les circonstances; mais le comité a cru nécessaire d'établir fortement que le premier mérite du général est d'épargner le sang du soldat : l'humanité fait un devoir de ce principe à une nation philosophe et guerrière qui dans ses défenseurs voit des citoyens précieux à la patrie, non des esclaves heureux de verser leur sang pour la gloire d'un maître.

» On a vu Louis XIV perdre beaucoup de monde à l'attaque d'une demi-lune sans l'emporter, et un général gémir sur cette perte, demander trois jours pour s'en emparer sans perte d'un seul homme, et tenir sa promesse. Dans cette belle action qui de nous n'admire pas autant l'humanité du philosophe que l'habileté du général! Ces moyens d'enflammer les troupes d'une noble émulation paraîtront peut-être extraordinaires, impraticables même ; et cependant ils sont puisés dans la nature; elle les a inspirés à tous les peuples libres; par là seulement ils ont maintenu leur liberté; à peine ont-ils négligé ces moyens, d'in. domptables qu'ils étaient ils sont devenus faibles et faciles à vaincre.

>> Une chose remarquable dans les coutumes des Romains c'est que les généraux ne triomphaient pas pour les victoires remportées dans les guerres civiles plus heureux que ce peuple célèbre, vous n'aurez pas à faire cette fatale distinction! La nation entière combattra s'il le faut pour la liberté; toutes les volontés, tous les cœurs sont réunis ; et au milieu de cet accord imposant une poignée de rebelles attaquant la volonté nationale doit à peine être aperçue.

L'usage des triomphes cessa chez les Romains dès qu'ils eurent des empereurs : c'est que l'autorité absolue aurait été blessée de la gloire d'un général et d'une armée ; c'est qu'on ne combattait plus dès lors pour la patrie, mais pour un maître;

bientôt on estima plus sa faveur que la gloire; on ne vit plus
que le despote; on oublia la patrie : grande leçon pour les
peuples modernes! S'ils veulent être libres, que les belles actions,
que les héros soient récompensés par la patrie; alors on la verra
seule, on ne servira qu'elle! La France libre doit adopter des
institutions que Rome ne perdit qu'avec sa liberté.

» On objectera peut-être que les honneurs destinés aux guer.
riers peuvent produire un funeste effet, celui de trop augmenter
la considération naturellement attachée à l'état militaire, de
mettre comme autrefois au dessous de lui le magistrat, le phi-
losophe, d'inspirer le mépris des autres professions.

>> Nous répondrons en rappelant un principe qui ne peut être
contesté; mais avant n'oubliez pas, messieurs, que vous devez
porter vos regards dans l'avenir, et ne pas vous occuper seule-
ment des temps présens.

t

» La France ne peut se flatter de conserver longtemps sa
liberté avec des armées anssi nombreuses entretenues en temps
de paix; bientôt elles deviendraient un instrument docile entre
les mains d'un prince habile et entreprenant': votre politique,
ou plutôt celle de vos successeurs, doit être de diminuer insen-
siblement et dans des temps très éloignés l'armée de ligne,
de ne plus admettre dans celle que vous conserverez que des
citoyens domiciliés, de former la jeunesse aux exercices du
corps, de la rendre agile, vigoureuse, capable de supporter
les fatigues de la guerre, pour l'opposer avec succès aux enne-
mis de l'État s'ils osaient l'attaquer. Un bataillon par district,
apprenant dans la belle saison les exercices militaires et se ras-
semblant l'espace d'un mois chaque année en corps d'armée
pour se former aux grandes manoeuvres, pourrait donner å la
France deux cent mille hommes toujours prêts à faire la
guerre de tels soldats seraient invincibles si dès la plus
tendre jeunesse on s'appliquait à rendre les corps robustes et
les âmes intrépides; si des prix distribués avec pompe dans les
fêtes nationales excitaient leur émulation; si les courses des
chars et des chevaux tournaient vers des objets guerriers le
goût du luxe, que le législateur doit diriger quand il ne peut
l'anéantir; peut-être même, comme chez les Romains, une
loi ne laisserait aspirer aux emplois publics que ceux qui au-

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