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cette avilissante mollesse! Au camp, citoyens, au camp! Tandis que nos frères pour notre défense arrosent peut-être de leur sang les plaines de la Champagne, ne craignons pas d'arroser de quelques sueurs les plaines de Saint-Denis pour protéger leur retraite. Au camp, citoyens, au camp! Oublions tout, excepté la patrie! Au camp, citoyens, au camp!

» Je demande que la commission du camp nous fasse ce soir un rapport sur l'état des travaux, et qu'il soit fait une proclamation pour inviter les citoyens à se réunir aux ouvriers; car tout citoyen doit être ouvrier puisqu'il s'agit de la défense de tous. »

L'Assemblée, que cet éloquent morceau avait électrisée, chargea aussitôt l'orateur de le rédiger en forme d'adresse aux citoyens de Paris; le lendemain Vergniaud présenta cette adresse, qui fut également applaudie; on l'adopta et publia le même jour. Quoique semblables pour le fond, il nous a paru curieux de rapprocher ces deux morceaux, l'un d'inspiration, l'autre soumis au travail :

L'Assemblée nationale aux citoyens de Paris. ( 17 septembre 1792.)

« Citoyens, l'ennemi s'avance, vos armées, grossies chaque jour par les nombreux bataillons qui vont s'y réunir, se disposent à le combattre. Dans votre position vous avez à vous défendre et d'une terreur qui serait indigne de votre courage, d'une confiance présomptueuse qui pourrait devenir funeste.

et

» La terreur en exagérant les dangers, trop de confiance en les dissimulant, vous jetteraient infailliblement ou dans le trouble qui empêche de voir les moyens de salut, ou dans la sécurité qui les fait négliger.

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Cependant c'est avec une extrême lenteur qu'on pousse les travaux du camp sous Paris; on ne voit la bêche qu'entre des mains salariées, pourquoi ne feriez-vous pas tous pour l'amour de la patrie ce que quelques hommes font pour un peu d'argent, et ce qu'ils feraient par zèle si leur pauvreté leur permettait ce dévouement?

» Au camp, citoyens, au camp! c'est là qu'est votre salut. Vous vous demandez tous les jours si les Prussiens viendront à Paris.

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Non, ils n'y viendront pas si vous vous conduisez comme s'ils devaient y venir.

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Que Paris soit dans un état de défense respectable; fortifiez promptement vos dehors; prenez des positions d'où vous puissiez opposer une vigoureuse résistance.

» Et alors, la fortune eût-elle trahi dans les combats le courage de vos armées, l'ennemi n'osera s'avancer; il craindra de vous trouver en face au moment où il serait assailli par les débris mêmes des bataillons qu'il aurait vaincus; ou, s'il était assez présomptueux pour compter sur de nouveaux succès, sa première victoire n'aurait fait que lui creuser son tombeau !

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>> Mais pourquoi ne profiterait-il pas de ses avantages si vous ne prenez aucune mesure pour l'arrêter dans sa marche, si vous lui abandonnez imprudemment les postes d'où il pourrait vous bombarder, si vous semblez l'appeler vous-mêmes par une inaction déplorable?

» Au camp, citoyens, au camp! Vos frères ont abandonné leurs femmes et leurs enfans ; c'est pour vous qu'ils vont combattre ménagez-leur en cas d'un événement possible une retraite qui vous sera d'ailleurs aussi profitable qu'à eux.

» Ils vont peut-être pour votre défense arroser de leur sang les plaines de la Champagne : ne craignez pas d'arroser pour eux de quelques sueurs les plaines de Saint-Denis et les hauteurs de Montmartre.

>> Mais surtout prenez garde d'entraver par des délibérations ou des résistances particulières les dispositions du pouvoir exécutif! La confusion produit le désordre, et le désordre vous perdrait il n'y a que l'unité d'action qui puisse accélérer vos travaux, et les porter au degré de perfection qui seul les rendra fructueux.

» Encore un mot, citoyens, et ce mot vous dit tout pour vous il s'agit de la liberté et de l'égalité, ou de la mort ! »

Les prisons, vidées par un horrible crime, s'étaient remplies par des ordres arbitraires; le bruit courait que l'assassinat allait une seconde fois usurper les droits de la justice; de toute part on implorait la sollicitude des représentans de la France sur les abus de pouvoir de plusieurs représentans de la

pas encore

commune de Paris qui s'étaient, à l'insu du maire, érigés en tribunal secret; mais les lenteurs inévitables dans la recherche et l'examen des faits dénoncés n'avaient permis aux comités de présenter à l'Assemblée un rapport sur ces déplorables excès: c'est alors que Vergniaud appela sur toute la commune insurrectionnelle la responsabilité des crimes de quelques uns de ses membres.

Vergniaud. (Séance du 17 septembre.) « La commission extraordinaire et le comité de surveillance se sont déjà concertés; mais il y a un grand nombre de pièces à examiner; le rapport ne pourra être fait que demain, peut-être même à la séance du soir, et il importe de ne pas retarder les précautions. S'il n'y avait que le peuple à craindre je dirais qu'il y a tout à espérer, car le peuple est juste, et il abhorre le crime; mais il y a ici des satellites de Coblentz; il y a ici des scélérats soudoyés pour semer la discorde, répandre la consternation, et nous précipiter dans l'anarchie! Ils ont frémi de la démarche fraternelle que vous avez faite auprès des sections, du succès qu'elle a eu; ils ont frémi du serment que les citoyens ont prêté de protéger de toutes leurs forces la sûreté des personnes, les propriétés et l'exécution des lois; ils ont frémi de la fédération que les citoyens ont formée pour donner de l'efficacité à leur serment! Ils ont dit: on veut faire cesser les proscriptions; on veut nous arracher nos victimes; on ne veut pas que nous puissions les assassiner dans les bras de leurs femmes et de leurs enfans: hé bien, ayons recours aux mandats d'arrêt; dénonçons, arrêtons, entassons dans les cachots ceux que nous voulons perdre! Nous agiterons ensuite le peuple, nous lâcherons nos sicaires, et dans les prisons nous établirons encore une boucherie de chair humaine, où nous pourrons à notre gré nous désaltérer de sang!... Et savez-vous, messieurs, comment disposent de la liberté des citoyens ces hommes qui s'imaginent qu'on a fait la révolution pour eux, qui croient bonnement qu'on a envoyé Louis XVI au Temple pour les intróner eux-mêmes aux Tuileries?

>> Savez-vous comment sont décernés les mandats d'arrêt? La commune de Paris s'en repose à cet égard sur son comité de surveillance; ce comité de surveillance, par un abus de tous les

principes, ou par une confiance bien coupable, donne à des individus le terrible droit de faire arrêter ceux qui leur paraîtront suspects; ceux-ci le subdélèguent encore à d'autres affidés, dont il faut bien seconder les vengeances si l'on veut en être secondé soi-même. Voilà de quelle étrange série dépendent l'honneur, la liberté et la vie des citoyens! Voilà en quelles mains repose la sûreté publique ! Les Parisiens aveuglés osent encore se dire libres! Ah! ils ne sont plus esclaves, il est vrai, des tyrans couronnés, mais ils le sont des hommes les plus vils, des plus détestables tyrans!

» Il est temps de briser ces chaînes honteuses, d'écraser cette nouvelle tyrannie! Il est temps que ceux qui ont fait trembler les hommes de bien tremblent à leur tour! Je n'ignore pas qu'ils ont des poignards à leurs ordres; eh! dans la nuit du 2 septembre n'ont-ils pas voulu les diriger contre plusieurs d'entre nous ? Dans leurs listes de proscription n'ont-ils pas dénoncé au peuple plusieurs d'entre nous comme des traîtres? Et ma tête aussi est proscrite! La calomnie veut étouffer ma voix; mais elle peut encore se faire entendre ici, et, je vous en atteste, jusqu'au coup qui me frappera de mort elle tonnera de tout ce qu'elle a de force contre les crimes et les scélérats!

» Hé que m'importent des poignards et des sicaires! Qu'importe la vie aux représentans du peuple quand il s'agit de son salut? Lorsque Guillaume Tell ajustait la flèche qui devait abattre la pomme fatale qu'un monstre avait placée sur la tête de son fils il s'écriait : périssent mon nom et ma mémoire, et que la Suisse soit libre!

» Et nous aussi nous dirons : périsse l'Assemblée nationale et sa mémoire, pourvu que la France soit libre! (Ici, dans un mouvement unanime et spontané, tous les membres de l'Assemblée se lèvent; tous s'écrient avec enthousiasme : oui, oui, périssons tous, et que la liberté reste! Oui, cui, périsse notre mémoire, et que la France soit libre! L'orateur ajoute :) Périsse l'Assemblée nationale et sa mémoire, si à ce prix elle épargne un crime qui imprimerait une tache au nom français ! Périsse l'Assemblée nationale et sa mémoire, si sa vigueur apprend aux nations de l'Europe que malgré les calomnies dont on cherche à flétrir la France il est encore, et au sein mêine de

l'anarchie momentanée où des brigands nous ont plongés, il est encore dans notre patrie quelques vertus publiques, et qu'on y respecte l'humanité! Périsse l'Assemblée nationale et sa mémoire, si sur nos cendres nos successeurs, plus heureux, peuvent établir l'édifice d'une Constitution qui assure le bonheur de la France, et consolide le règne de la liberté et de l'égalité! Périsse l'Assemblée nationale et sa mémoire, et que la patrie soit sauvée !

» Je demande que les membres de la commune répondent sur leur tête de la sûreté de tous les prisonniers.

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Cette proposition avait d'abord été faite par M. Kersaint; ainsi appuyée par Vergniaud, elle fut adoptée aux acclamations générales. M. Kersaint fit ajouter au décret que la commune serait tenue de fournir sans délai les noms de ses prisonniers.

Clôture de l'Assemblée nationale législative.
(21 septembre 1792.)

La séance permanente touchait enfin à son terme; le pou voir constitué avait honorablement rempli sa difficile carrière, et ces autres pouvoirs nés de la circonstance allaient enfin s'abaisser devant un pouvoir avoué de toute la France. Le 20 septembre les nouveaux représentans du peuple, réunis dans une salle du château des Tuileries, s'étaient constitués en Convention nationale; le 21 ils envoyèrent une députation de douze membres à l'Assemblée législative, qui les accueillit avec enthousiasme, et l'un d'eux, le citoyen Grégoire, fit connaître ainsi l'objet de leur mission:

Citoyens, l'Assemblée des représentans du peuple est constituée en Convention nationale; elle nous a députés vers vous pour vous en prévenir, et pour vous dire qu'elle va se rendre ici pour y prendre séance. »

(1) Le président (M. François de Neufchâteau.): « Citoyens, vous devez avoir vu, par les applaudissemens univer

(1) L'Assemblée législative avait alors pour président M. Cambon,

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