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la chose publique ne commande pas est une barbarie dans un état arbitraire; elle est une infamie chez un peuple libre. Cherchons donc à jeter une grande lumière sur les intérêts, les principes et l'influence des ministres dissidens, afin que si nous sommes forcés d'employer la sévérité il ne soit pas une âme juste qui ne l'approuve, pas une âme sensible qui ne le pardonne, et qui ne reconnaisse qué, placés entre une poignée de séditieux et la patrie, nous n'avons pas dû hésiter un instant. Sauver la patrie, voilà notre vœu à tous! Et si quelquefois nos esprits ont paru divisés, on a du moins vu toujours nos cœurs réunis dans ce sentiment.

»Le despotisme dans tous les pays s'est appuyé sur deux choses; sur une armée et sur une église : lors de la révolution française les chefs de l'armée ont fui, les soldats se sont souvenus qu'ils étaient citoyens, et le despotisme a manqué par cette base.

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L'église, toujours ambitieuse et adroite, toujours forte des grands intérêts dont elle sait couvrir le sien, toujours puissante par ce qu'elle promet et par ce dont elle menace, toujours active dans les souterrains mystérieux que sa politique a su lui ménager, a tenu plus ferme, et elle a continué de se conduire d'après ce système raisonné qu'on lui voit suivre depuis quinze siècles, et dont les combinaisons ont toujours été d'attirer à elle le pouvoir et les richesses dans les temps d'ignorance, sous le nom d'Eglise triomphante, et de se rattacher dans les temps de lumières les esprits faux et prévenus, sous le nom d'Eglise persécutée. Ses pontifes ont fui; mais un grand nombre de ses ministres, au lieu de se rappeler qu'ils appartenaient à la patrie, ont feint de se souvenir qu'ils appartenaient à Dieu, nom sous lequel on a commis toutes sortes de crimes sur la terre.

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» La constitution nous a délégué deux pouvoirs, celui de conserver ce qu'elle a créé, celui d'empêcher que ce qu'elle a détruit ne renaisse, ou ne désorganise ce qu'elle a créé.

» La première question est donc celle-ci : est-il vrai que l'ancien clergé cherche à renaître sous la forme de corporation, ou à désorganiser les institutions nouvelles ?

ils

» La seconde : les moyens ordinaires de répression suffisentpour empêcher les suites de ces efforts et de cette résistance?

> La troisième : quel pouvoir pouvons-nous déployer pour dissoudre dans ses derniers élémens cette corporation que la révolution semble avoir plutôt assoupie que détruite ?

>> Je vais me livrer à l'examen rapide de ces questions, en ne perdant point de vue que la première économie est celle du temps, et que ce qu'il faut ici ce ne sont pas des mots, mais des choses.

» Sur la première question il suffit de lire les bulles du pape, les mandemens, les pastorales, les protestations, les écrits de l'ancien clergé ; il suffit d'entendre ses prédications, d'examiner sa conduite et celle de ses sectaires pour s'assurer que ses membres, épars dans tout le royaume, forment un tout homogène qui se conduit sur le même intérêt et sur le même plan; et pour se convaincre enfin que cette vieille corporation est encore debout, ayant un pied appuyé sur le Vatican et l'autre qui se dérobe à la vue semble appuyé sur les marches d'un grand trône.

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Quant à la seconde question, il est connu de tout le monde qu'un grand nombre de dissidens depuis trente mois ont écrit, prêché et confessé pour la cause de la contre-révolution, fanatisé et armé les villages, et que pas un seul n'a été puni.

» Il serait possible que la Constitution pérêt de l'une de ces trois manières, ou par le dérangement des finances, ou par l'anarchie, ou par une grande coalition des ennemis du dedans avec les ennemis extérieurs. Quant aux finances les recouvremens se font avec lenteur dans les campagnes ; mais comment pourront-ils s'y 'faire tant que vous aurez quinze ou vingt mille prêtres qui diront à des hommes simples que former de nouveaux rôles c'est offenser Dieu, et que payer l'impôt c'est se damner? Tous nos ennemis ( et nous en avons de plus d'un genre) veulent l'anarchie, et si aux combinaisons de tant de causes simultanées vous laissez encore se réunir une force puissante par elle-même et par toutes celles dont elle dispose et qui se meuvent dans sa sphère d'activité, vous courez le risque d'une désorganisation totale. Je suppose que les quinze ou vingt mille dissidens aient dans leur faction une vingt-cinquième partie de la population, c'est à dire un million d'êtres, y compris les femmes, les enfans, et les imbéciles par nature, et

les imbéciles par art; voilà une cause toujours agissante d'anarchie; voilà un noyau de contre-révolution que vous laissez s'inoculer dans l'Etat, et qui provoquera des attaques, entretiendra l'espérance des ennemis du dedans et du dehors, fomentera une agitation intestine et continuelle, et qui finira, comme toutes les grandes fatigues, par le sommeil où le marasme : de sorte qu'il s'agit peut-être ou de dissoudre ce noyau ou de laisser se dissou dre un jour la Constitution ; et j'ose dire que si les actes des directoires envers les dissidens sont illégaux, ils sont du moins dictés par des yues pures, et rien ne prouve plus l'impuissance des moyens ordinaires que la nécessité où ils se sont trouvés de recourir à ces mesures, qu'ils ont prises dans des temps de troubles, comme dans les incendies on est souvent forcé de violer la liberté individuelle pour sauver toute une ville. Et si les gardes nationales sont obligées de se porter aux frontières que deviendra alors l'intérieur, abandonné par les patriotes et livré au fanatisme ? Et quel est celui d'entre vous qui peut ne trembler pas lorsqu'il réfléchit que vous avez auprès de vos armées et le long des frontières des hommes qui peuvent en ouvrir les portes aux ennemis, en accroître le nombre de tous les simples dont ils ont la confiance, et qu'ils ont des bannières toutes prêtes pour les soldats de l'église, et des absolutions pour tous les conspirateurs!

» Les maux étant grands, les périls graves, il faut ici une grande mesure, et je présenterai comme idée générale que dans les temps de grandes agitations les demi-mesures ont toujours le double danger d'irriter et d'enhardir les mécontens : les passions hardies et véhémentes, qu'on a vainement cherché à ramener par des moyens doux, ne peuvent plus se guérir que par des remèdes qui agissent avec une puissance supérieure à la leur. Ennemi des moyens extrêmes, ami de l'humanité, j'ai lutte contre toutes les mesures extraordinaires jusqu'à ce que j'aie été bien convaincu que le défaut de sévérité dans ces instans périlleux serait une indulgence tout en faveur d'une minorité rebelle contre une majorité fidèle: alors il n'a plus été question que de chercher cette mesure.

« Vous connaissez tous l'histoire du schisme de Sicile; vous savez le nombre prodigieux de bulles toutes plus fulminantes

:

les unes que les autres que la cour de Rome lança au commencement de ce siècle sur cette île, déjà assez malheureuse par le volcan que la nature lui a donné sans que le saint père cherchât encore à y en allumer un autre ; vous savez enfin tout ce fracas d'explosions pontificales qui grondèrent durant cinq années au sujet d'un panier de légumes: le roi de Sicile ou ses fermiers s'avisèrent de croire que l'évêque du pays devait à l'Etat sur ses denrées les mêmes taxes que les autres citoyens. Ce fut en vain qu'on offrit à l'église les restitutions les plus complètes, les excuses les plus humbles on avait soumis à des taxes civiles des légumes sacrés; on avait porté une main sacrilege sur l'encensoir rien ne put fléchir la sainte colere de l'évêque de Lipari. Il alla conter sa peine à l'évêque de Rome, emmenant avec lui une partie de sa milice, et laissant l'autre partie, qui soulevait tous les citoyens, et qui courait comme autrefois les filles de Cérès, dans les campagnes de Sicile, armées de flambeaux. Cet incendie s'accroissait tous les jours par de's excommunications nouvelles, par les mandemens et les protestations de l'évêque, lorsque le vice-roi de Sicile, d'après les ordres de l'empereur, à qui cette île venait d'échoir, fit enlever les prêtres dissidens, et les fit embarquer sur un vaisseau qui les laissa sur les terres du pape. Alors la paix se rétablit en Sicile; toutes les bulles s'évanouirent comme de vains météores, et l'on ne s'aperçut pas que l'Etna vomît plus de feux et de laves sur la Sicile excommuniée que sur la Sicile orthodoxe. Je suppose que l'empereur se fût abandonné aux conseils des dissidens, ou qu'il n'eût pris qu'une demi-mesure ; il est évident que dans le premier cas il se constituait vassal et serf du pape en reconnaissant dans ses états une puissance supérieure à celle du peuple et la sienne, et que dans le second il allumait la guerre civile entre les sujets fidèles aux lois du pays et ceux fidèles aux ordres du pape.

» Grande, leçon pour les princes de ne jamais s'abandonner aux conseils des ultramontains! Voyez ce qu'ils firent du faible et pusillanime Charles IX! Toujours ces conseils italiens, dont on empoisonne l'oreille des princes, aboutirent à faire assassiner les peuples par les rois ou les rois par les peuples.

» Je suis loin cependant de vous conseiller de prendre du premier abord et contre tous les dissidens une mesure aussi violente, qu'on a vue sans surprise adoptée par le despotisme, parce son essence à lui c'est le crime, mais qu'on ne pardonnerait pas à la liberté, qui ne peut marcher sans la justice. Il n'est pas impossible que dans cette masse de dissidens qui nous agite il y en ait de paisibles; il faut ici comme partout distinguer les innocens des coupables, car l'innocence punie est une calamité pour la patrie, une tache pour la liberté. Ne pourrait-on pas trouver un moyen extraordinaire de faire juger cette espèce de peuple extraordinaire, cette nation étrangère qui ne reconnaît pas les lois du pays et qui vit au milieu d'une autre nation? Ne pouvez-vous pas soumettre les ministres dissidens à une police dont vous investirez les corps administratifs ? Les municipalités ont aussi des fonctions administratives, et cependant elles exercent des fonctions judiciaires : rien ne s'oppose à ce que la loi investisse les directoires de cette fonction sur les ministres non sermentés, et le salut public le commande. Déjà le corps constituant a soumis à la police correctionnelle et à une détention plus longue ceux qui ne jouissent pas des droits de citoyen actif; déjà vous avez décrété dans la loi des passeports que les non domiciliés pouvaient être mis en état de détention lorsque personne ne voudrait les cautionner : ici il s'agit d'hommes qui ne jouissent pas des droits de citoyen, non parce qu'ils ne le peuvent, mais parce qu'ils ne le veulent; d'hommes qui non seulement ne jouissent pas d'un domicile légal dans une ville, mais qui n'en jouissent même pas dans l'Etat, puisqu'ils n'ont pas voulu en jurer les lois.

» Vous avez donc incontestablement le droit de créer une nouvelle police et de nouveaux juges pour une espèce d'hommes aussi nouvelle dans un Etat, non seulemeut parce qu'elle a refusé le serment, mais parce qu'elle est intolérante par principe, et que nul Etat libre ne doit tolérer une religion intolérante, mais parce qu'elle reconnaît hors de l'Etat un souverain dans lequel les conformistes ne voient qu'un simple chef, un affilié, qui peut bien rompre avec eux, si tel est son intérêt ou, są fantaisie, sans que ceux-ci cherchent jamais à rompre avec les

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