Page images
PDF
EPUB

» Mais le piége nouveau que l'on vous tend est trop grossier pour vous séduire ; vous sentirez qu'un seul attentat à la personne ou aux propriétés de vos représentans donnerait un prétexte aux ennemis de la liberté pour frapper de nullité tout ce qui aurait été fait, et tout ce qui serait fait par une représentation nationale quelconque. Ainsi vous sentirez que les décrets sur les troubles religieux, sur les émigrés, sur la suppression des droits féodaux, sur la suspension du roi et de la liste civile, les décrets même de l'Assemblée constituante sur l'abolique tion des dîmes, de la gabelle et de la noblesse; que toutes les lois sanctionnées par l'opinion publique seraient anéanties, parce qu'on pourrait toujours supposer que la majorité qui les a faites ne jouissait pas d'une liberté absolue : enfin vous sentirez que ce serait perdre la confiance des peuples ou des individus qui voudraient s'unir à vous et défendre votre cause, que vous cesseriez de former véritablement un corps de nation, puisqu'il n'y aurait pas un citoyen qui pût parler en votre nom et stipuler pour vous dès qu'il ne pourrait le faire avec liberté. Français, toute vengeance populaire, toute punition même d'un ennemi public qui n'est pas revêtue des formes légales, est un assassinat ; loin de servir la cause de la liberté, elle ne peut que lui nuire, et ceux qui se livrent à ces excès trahissent cette cause en croyant la défendre.

>>

» Ce n'est qu'en respectant les lois, les personnes et les propriétés ; ce n'est qu'en conservant la tranquillité publique que vous pourrez déployer vos forces, triompher de vos nombreux ennemis, que vous mériterez l'estime des nations, et que vous prouverez à l'Europe que vous n'êtes pas égarés par des factieux et divisés par des partis opposés, mais que vous êtes animés de la volonté ferme de maintenir la liberté et l'égalité, ou de périr en les défendant! »

« L'Assemblée nationale décrète que les décrets sur l'inviolabilité des représentans de la nation seront imprimés à la tête de la proclamation décrétée ce jour, et qu'un exemplaire en sera distribué à chacun de ses membres. » (Procès verbal.)

Terminons par quelques éloquentes improvisations de Vergniaud; elles compléteront le tableau qu'offrait Paris après l'insurrection.

Longwy, Verdun étaient au pouvoir de l'ennemi, qui dans sa superbe insolence indiquait déjà le jour de son entrée triomphale dans Paris. La municipalité fait sonner le tocsin; aussitôt tous les citoyens se lèvent, et demandent à marcher

en masse :

Vergniaud. (Séance du 2 septembre. « C'est aujourd'hui que Paris doit vraiment se montrer dans toute sa grandeur! Je reconnais son courage à la démarche qu'il vient de faire, et c'est maintenant qu'on peut dire que la patrie est sauvée ! Depuis plusieurs jours l'ennemi faisait des progrès, et nous n'avions qu'une crainte; c'était que les citoyens de Paris se montrassent, par un zèle mal entendu, plus occupés à faire des motions et des pétitions qu'à repousser les ennemis extérieurs : aujourd'hui ils ont connu les vrais dangers de la patrie; nous ne craignons plus rien! Il paraît que le plan de nos ennemis est de se porter sur Paris en laissant derrière eux les places fortes et nos armées ; or cette marche sera de leur part la plus insigne folie, et pour nous le projet le plus salutaire si Paris exécute les grands projets qu'il a conçus!

>> En effet quand ces hordes étrangères s'avanceront, nos armées, qui ne sont pas assez fortes pour les attaquer, le seront assez pour les suivre, les harceler, couper leurs communications extérieures; et si à un point déterminé nous leur présentons tout à coup un front redoutable, si la brave armée parisienne les prend en tête lorsqu'elles seront cernées par nos bataillons qui les auront suivies, c'est alors qu'elles seront dévorées par cette terre qu'elles auront profanée dans leur marche sacrilége! Mais au milieu de ces espérances flatteuses il est une réflexion qu'il ne faut pas dissimuler : nos ennemis ont un grand moyen sur lequel ils comptent beaucoup; c'est celui des terreurs paniques : ils sèment l'or; envoient des émissaires pour exagérer les faits, répandre au loin l'alarme et la consternation; et, vous le savez, il est des

ils

hommes pétris d'un limon si fangeux qu'ils se décomposent á l'idée du moindre danger!

» Je voudrais qu'on pût signaler cette espèce à figure humaine et sans âme; en réunir tous les individus dans la même ville, à Longwy, par exemple, qu'on appellerait la ville des lâches; et là, devenus l'opprobre de la nature, leur rassemblement délivrerait les bons citoyens d'une peste bien funeste d'hommes qui sèment partout des idées de découragement, suspendent les élans du patriotisme, prennent des nains pour des géans, la poussière qui vole devant une compagnie de houlans pour des bataillons armés, et qui désespèrent toujours du salut de la patrie! Que Paris déploie donc aujourd'hui une grande énergie! Qu'il résiste à ces terreurs paniques, et la victoire couronnera bientôt nos efforts! Hommes du 14 juillet et du 10 août, c'est vous que j'invoque! Oui, l'Assemblée nationale peut compter sur votre courage!

» Cependant pourquoi les retranchemens du camp qui est sous les remparts de cette cité ne sont-ils pas plus avancés ? Où sont les bêches, les pioches, et tous les instrumens qui ont élevé l'autel de la fédération et nivelé le Champ de Mars? Vous avez manifesté une grande ardeur pour les fêtes; sans doute vous n'en aurez pas moins peur les combats : vous avez chanté, célébré la liberté; il faut la défendre! Nous n'avons plus à renverser des rois de bronze, mais des rois environnés d'armées puissantes. Je demande que la commune de Paris concerte avec le pouvoir exécutif les mesures qu'elle est dans l'intention de prendre. Je demande aussi que l'Assemblée nationale, qui dans ce moment-ci est plutôt un grand comité militaire qu'un Corps législatif, envoie à l'instant et chaque jour douze commissaires au camp, non pour exhorter par de vains discours les citoyens à travailler, mais pour piocher euxmêmes; car il n'est plus temps de discourir; il faut piocher la fosse de nos ennemis, et chaque pas qu'ils font en avant pioche la nôtre ! »>

Le zèle du peuple était grand; toutefois il ne parut pas à Vergniaud répondre aux dangers qui menaçaient la capitale; il voulut l'exciter encore. M. Coustard venait de faire

à l'Assemblée un rapport favorable sur la position des armées et sur les travaux qui s'exécutoient autour de Paris :

་་

Vergniaud. (Séance du 16 septembre.) « Les détails que vous a donnés M. Coustard sont sans doute très rassurans ; cependant il est impossible de se défendre d'un sentiment profond d'inquiétude quand on a été au camp sous Paris. Les travaux avancent très lentement; il y a beaucoup d'ouvriers, mais peu travaillent; un grand nombre se reposent : ce qui afflige surtout c'est de voir que les bêches ne sont maniées que par des mains salariées, et point par des mains que dirige l'intérêt commun! D'où vient cette espèce de torpeur dans laquelle paraissent ensevelis les citoyens restés à Paris? Ne nous le dissimulons plus; il est temps enfin de dire la vérité! Les proscriptions passées, le bruit des proscriptions futures, les troubles intérieurs, ces haines particulières, ces délations infâmes, ces arrestations arbitraires, ces violations de la propriété, enfin cet oubli de toutes les lois a répandu la consternation et l'effroi. L'homme de bien se cache; il fuit avec horreur ces scènes de sang; et il faut bien qu'il cache l'homme vertueux quand le crime triomphe! Il n'en a pas l'horrible sentiment; il se tait, il s'éloigne; il attend pour reparaître des temps plus heureux. Il est des hommes au contraire, à la fois hypocrites et féroces, qui ne se montrent que dans les calamités publiques, comme il est des insectes malfaisans que la terre ne produit que dans les orages: ces hommes répandent sans cesse les soupçons, les méfiances, les jalousies, les haines, les ven

geances; ils sont avides de sang; dans leurs propos séditieux

ils aristocratisent la vertu même pour acquérir le droit de la fouler aux pieds; ils démocratisent le crime pour pouvoir s'en rassasier sans avoir à redouter le glaive de la justice; tous leurs efforts tendent à déshonorer aujourd'hui la plus belle des causes, afin de soulever contre elle toutes les nations amies de l'humanité !

» O citoyens de Paris, je vous le demande avec la plus profonde émotion, ne démasquerez-vous jamais ces hommes pervers qui n'ont pour obtenir votre confiance d'autres droits que la bassesse de leurs moyens et l'audace de leurs prétentions?

Citoyens, vous les reconnaîtrez facilement lorsque l'ennemi s'avance, et qu'un homme, au lieu de vous inviter à prendre l'épée pour le repousser, vous engage à égorger froidement des femmes ou des citoyens désarmés, celui-là est ennemi de votre gloire, de votre bonheur; il vous trompe pour vous perdre : lorsqu'au contraire un homme ne vous parle des Prussiens que pour vous indiquer le cœur où vous devez frapper, lorsqu'il ne vous propose la victoire que par des moyens dignes de votre courage, celui-là est ami de votre gloire, ami de votre bonheur; il veut vous sauver! Citoyens, repoussez donc les traîtres; abjurez donc vos dissensions intestines; que votre profonde indignation pour le crime encourage les hommes de bien à se montrer; faites cesser les proscriptions, et vous verrez aussitôt se réunir à vous une foule de défenseurs de la liberté! Allez tous ensemble au camp; c'est là qu'est votre salut!

» J'entends dire chaque jour : nous pouvons essuyer une défaite; que feront alors les Prussiens ? viendront-ils à Paris...? Non, ils n'y viendront pas; non, si Paris est dans un état de défense respectable, si vous préparez des postes d'où vous puissiez opposer une forte résistance; car alors l'ennemi craindrait d'être poursuivi et enveloppé par les débris mêmes des armées qu'il aurait convaincues, et d'en être écrasé comme Samson sous les ruines du temple qu'il renversa: mais si une terreur panique ou une fausse sécurité engourdit notre courage et nos bras, si nous tournons nos bras contre nous-mêmes, si nous livrons sans défense les postes d'où l'on pourra bombarder cette cité, il serait bien insensé l'ennemi de ne pas s'avancer vers une ville qui par son inaction aura paru l'appeler elle-même, qui n'aura pas su s'emparer des positions où elle aurait pu le vaincre ! Il serait bien insensé de ne point nous surprendre dans nos discordes, ne pas triompher sur nos ruines! Au camp donc, citoyens, au camp! Hé quoi, tandis que vos frères, que vos concitoyens, par un dévouement héroïque, abandonnent ce que la nature doit leur faire chérir le plus, leurs femmes, leurs enfans, demeurerez-vous plongés dans une molle et déshonorante oisiveté! N'avez-vous pas d'autre manière de prouver votre zèle qu'en demandant sans cesse comme les Athéniens qu'y a-t-il aujourd'hui de nouveau? Ah! détestons

« PreviousContinue »