Page images
PDF
EPUB

jusqu'à des jugemens supposés que l'argent corrupteur de la liste civile n'ait fait avec profusion répandre.

Veut-on inquiéter les acquéreurs des biens du ci-devant clergé, on a l'audace d'imaginer une contestation devant le tribunal du district d'Arles entre le rétrocédant d'une métairie de cette nature et le second acquéreur; la plus insolente diatribe est publiée en forme de mémoire au nom d'un prétendu défenseur officieux, et à la fin de ce libelle infâme on ne craint pas de faire imprimer le jugement même qu'on a la mauvaise foi d'attribuer aux juges devant lesquels on suppose que l'affaire avait été portée ; et voilà les sortes d'ouvrages dont les exemplaires remplissent les bureaux de la liste civile, ce qui indique assez la source qui les a produits, et les moyens dont on se servait pour les mettre en circulation.

Qui pourrait douter que ceux-là seuls qui faisaient fabriquer des affiches pour faire tomber les assignats dans le discrédit ne cherchassent à décrier en même temps les biens qui leur servaient d'hypothèques et de gages? Et des mémoires, des quittances d'imprimeurs constatent que toutes les affiches dirigées contre le crédit public étaient imprimées, publiées, affichées aux frais de la liste civile, en sorte que c'était avec le trésor national que les agens du pouvoir exécutif entreprenaient de ruiner le crédit de la nation.

» C'est ainsi que la torche du fanatisme à la main les contrerévolutionnaires de la liste civile n'ont cessé d'inquiéter et d'égarer le peuple en l'alarmant tout à la fois sur ses plus chers intérêts; c'est ainsi qu'ils ont réussi à exalter en tous les sens ce peuple doux et humain, à allumer des haines que rien ne peut éteindre, à armer les citoyens contre les citoyens, les frères contre les frères, les épouses contre les époux ; à exciter la soif du sang ; à opposer proscription à proscription, à préparer enfin ces scènes d'horreur qu'au prix de leur vie les vrais amis de la liberté voudraient pouvoir effacer de l'histoire de la révolution française !

>> Eh! quelles manœuvres n'a-t-on pas employées, que n'at-on pas fait pour nous amener aux affreux résultats que nous déplorons! On savait trop que toute notre force était dans notre union, et que cette réunion, qui dès les premiers instans de la

révolution formait un peuple de frères, était l'ouvrage de ces sociétés généreuses dont le lieu commun est le patriotisme, et la liberté du monde l'unique objet. Le déchirement de la première de ces sociétés, la formation d'une société nouvelle qui, ne devant son existence qu'à cette scission malheureuse, portait dans son établissement même le germe d'une division funeste, la haine enfin que les deux sociétés se vouèrent mutuellement, offrirent bientôt un vaste champ aux intrigues du pouvoir exécutif; il ne tarda pas à sentir qu'il pouvait également faire concourir à ses vnes profondes et le civisme exalté de l'unc, et le modérantisme affecté de l'autre, et que ces deux caractères, énergiquement prononcés, n'eussent-ils servi qu'à former des amis de la Constitution deux castes irréconciliablement ennemies, c'était déjà remporter un assez grand avantage sur les propagateurs de la liberté; tous ses efforts tendirent donc à perpétuer la division entre les jacobins et les feuillans, à les tenir en guerre ouverte.

n

» L'objet étant de les perdre les uns par les autres, il fallait les rendre également odieux; et le moyen d'y parvenir était de les représenter, sous des aspects différens, comme également dangereux pour la chose publique. Les jacobins, disait-on, veulent tout désorganiser, tout détruire: les feuillans paralysent tout ceux-ci sont de plats monarchistes; ceux-là de facticux républicains : les uns mettent la licence à la place de la liberté, ne désirent que désordre et anarchie; ceux-là demandent à grands cris les deux chambres, et ne sont dignes que d'être des esclaves : aucun d'eux ne veut sincèrement la liberté; tous s'accordent avec les conjurés de Coblentz pour sacrifier à des espérances folles ce bienfait déjà si chèrement acquis.

Les deux sociétés ennemies crayonnées ainsi des plus noires couleurs, il ne s'agissait plus que d'en appliquer les traits caractéristiques à chacun des individus. Un citoyen marquait-il quelque énergie, soutenait-il avec courage les droits sacrés du peuple, c'était un factieux, un jacobin : un autre parlait-il avec une certaine circonspection, semblait-il hésiter sur un parti dont les inconvéniens balançaient les avantages, c'était un modérantiste, un argutieux feuillant. On trouvait par ce moyen l'odieux secret de faire tomber dans le mépris tous les élans du

patriotisme le plus pur, de rendre suspectes toutes les vertus civiques et sociales, et par là de neutraliser les efforts et le zèle de tous les vrais citoyens.

» Ainsi un grand empire, après s'être purgé du monarchisme, après s'être délivré de toutes les excroissances parasites qui grevaient et défiguraient l'arbre antique de la société, semblait en quelque sorte lui-même tout entier divisé sous deux noms également proscrits par l'acte constitutionnel! C'est lorsqu'il n'y avait plus de moines jacobins, c'est lorsqu'il n'y avait plus de moines feuillans en France, que tous les Français se qualifiaient mutuellement de feuillans ou de jacobins, qu'ils étaient prêts à se faire la guerre, à s'entr'égorger sous cette qualification indécente et monachale!

>> La cour des Tuileries se montre alors, se choisit des ministres tantôt parmi les feuillans, tantôt parmi les jacobins ; renvoie ceux-ci aussitôt qu'ils lui fout entendre le sévère langage de la vérité; se déclare définitivement pour le parti feuillantin, et par cela seul achève de le rendre suspect aux yeux du peuple.

» Au moyen de cette astucieuse manœuvre Louis XVI n'avait plus que les jacobins à redouter; il déploie contre eux toutes les ressources que les réviseurs de l'acte constitutionnel avaient remises en ses mains. Au roi seul appartenaient les relations politiques avec les puissances étrangères; tout l'art de la diplomatie est employé pour diriger en apparence contre une simple société populaire toutes les forces de la coalition de Pilnitz Léopold forme-t-il quelque plainte, c'est contre les jacobins; menace-t-il, ses menaces ne s'adressent qu'aux jacobins à sa mort les ministres de l'empire changent; le langage du cabinet de Vienne est toujours le même; et aujourd'hui encore, s'il fallait en croire les proclamations de nos ennemis, c'est pour combattre les jacobins que deux cent cinquante mille hommes sont armés et marchent contre nous.

:

» Laissons le côté ridicule que cette conduite semble d'abord offrir, et songeons qu'elle tient à un grand système dont la journée du 10 a éclairé la profondeur. Tant de troupes n'ont pas été mises sur pied, tant de dépenses, de préparatifs guerriers n'ont pas été faits sans doute pour le seul projet de détruire une société populaire ; c'est à la liberté des Français,

c'est à celle des nations qu'en veulent les conjurés de Pilnitz ; mais dans ce combat à mort de la tyrannie contre la liberté les chefs des conjurés livrent une fausse attaque pour mieux dissimuler l'attaque véritable qu'ils projettent.

:

» Il leur importait sans doute de faire prendre le change sur les grands desseins de la ligue formée contre nous; de faire croire que s'il n'existait pas de jacobins notre révolution serait respectée; qu'aux jacobins seuls nous devons la coalition des puissances qui menacent notre liberté, le fléau d'une guerre étrangère il leur importait de faire considérer comme une simple querelle de parti l'attaque dirigée contre la souveraineté nationale, de soulever le peuple contre les amis du peuple, et, lors même qu'il ne s'agit de rien moins que d'asservir tous les Français, de leur persuader qu'on ne voulait qu'immoler une race tyrannicide à la vengeance des rois : il leur importait enfin d'isoler la majeure partie de la nation pour triompher plus sûrement de l'autre, de diviser les forces dont la réunion doit nécessairement les accabler. Voilà comment et pourquoi les jacobins se voyaient tout à la fois et en butte à une espèce de déclaration de guerre de la part des puissances coalisées, et livrés aux traits empoisonnés des calomniateurs aux gages de la liste civile ! Voilà dans quel esprit le ministre de la maison du roi faisait à si grands frais composer, imprimer, publier, colporter jusque dans les campagnes cette foule innombrable de libelles qui a inondé la France, ces affiches journalières, ces continuelles dénonciations contre les jacobins, ces écrits diffamatoires de toute nature, de toutes formes, ces caricatures de toutes couleurs.

[ocr errors]

Quel autre objet pouvait se proposer un gouvernement assez vil pour établir des bureaux de diffamation, pour acheter la plume vénale des diffamateurs, pour nourrir, entretenir et organiser une compagnie d'afficheurs, de colporteurs de libelles, et payer enfin jusqu'à l'emprisonnement, jusqu'aux amendes, jusqu'aux coups de bâton auxquels se sont personnellement exposés les agens secrets d'une si infâme mission?

» La preuve que la perte des jacobins n'était jurée que comme un préliminaire de celle de l'Assemblée nationale c'est que les mêmes presses d'où sortaient des écrits incen

diaires contre cette société étaient employées à imprimer des libelles contre les représentans du peuple, c'est que dans le même instant, par les mêmes personnes et aux frais du même trésor, paraissaient et les affiches multipliées contre la société des jacobins, et les pétitions réitérées à l'Assemblée nationale pour l'engager à se retirer, le haro sur les jacobins, et le projet de décret de l'assemblée du manége, le décret pour les portes battantes (1) ; c'est que la dignité du corps repré

(1) « Les mémoires et quittances d'imprimeurs prouvent non seulement que tous les pamphlets, tous les libelles qui ont paru contre les jacobins sortaient des presses vendues à la liste civile, qu'ils étaient imprimés et colportés ses frais, mais que ces pamphlets, ces libelles, dont le nombre est presque incalculable, étaient répandus dans le public avec une profusion qui seule annonçait les grands moyens de la fabrique de ces diffamations. Pour avoir une idée des sommes que cette entreprise a coûté à la liste civile il suffit d'observer que le mémoire du mois d'avril 1792, en y comprenant 2175 livres pour appointemens de commis chargés de cette importante administration, et 1000 livres distribuées par M. Laporte au curé de S. G., monte à une somme de 12,061 livres 12 sols; et dans ce mémoire il ne s'agit que de l'impression et de la réimpression du fameux journal à deux liards, c'est à dire de la dépense courante, et d'une petite affiche tirée à quatre mille cent exemplaires, et portée sur le mémoire pour une somme de 92 livres cette affiche était une dénonciation des groupes des Tuileries et du palais royal; car la Bastille étant détruite, la seule arme qui restât entre les mains du gouvernement contre ceux qui avaient la hardiesse de se plaindre de sa conduite était la dénonciation, la calomnie.

» La liste civile ne se bornait pas à faire fabriquer et distribuer des libelles; plusieurs gravures qui avaient le même objet ont également paru à ses frais; et parmi ces gravures on doit distinguer un médaillon portant pour titre la France sauvée de la rage des jacobins. Ce médaillon représente la France au pied d'un jacobin armé d'un poignard, et délivrée par un homme à cordon bleu, qui égorge le jacobin. Il paraît que les contre-révolutionnaires de la liste civile attachaient beaucoup d'importance à ce médaillon, qu'ils ont fait deviner à plusieurs reprises, et fait placer sur trois sortes de boîtes, les unes communes, les autres en écailles, et les troisièmes en racine : le nombre des boîtes payées au tabletier par la liste civile constate l'intention des distributeurs. Etait-ce là le moyen que les chevaliers du poignard se ménageaient pour se reconnaître? »

« PreviousContinue »