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d'une liste civile monstrueuse, aurait fini par anéantir en France les droits sacrés du genre humain! Nous mettrons à profit cette grande leçon'! Trop longtemps l'arbre monarchique n'a porté des fruits de mort; ses sombres rameaux, que qui s'étendaient sur tous les points de l'empire, y portaient le deuil et la stérilité : maintenant ce cyprès lugubre est écrasé par la foudre; il est frappé dans ses racines, et l'arbre de la liberté, planté par la nation souveraine, s'élève et plane majestueusement sur les quatre-vingt-trois départemens de la république française, en attendant que ses branches fécondes ombragent l'Europe et le monde entier!

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Sages législateurs de la France, premier espoir de l'Etat, et vous, magistrats, fonctionnaires publics, investis de la juste confiance du peuple; vous, généreux citoyens de Paris, braves Marseillais, vaillans fédérés accourus des départemens les plus lointains pour sauver la liberté chancelante; vous tous, dignes compagnons d'armes des héros que nous regrettons; vous, leurs enfans et leurs épouses, parens chéris de la famille commune, approchez de ce monument de deuil et de gloire, et prêtons tous ensemble le serment auguste de maintenir la liberté, l'égalité, ou de mourir en les défendant! Que ce serment, répété d'un bout de la France à l'autre, vole au delà de nos frontières; qu'il fasse pâlir dans leurs camps les despotes et les généraux ligués contre nous! Que leurs armées les abandonnent! Que la tyrannie ne trouve plus un soldat qui veuille embrasser sa querelle, et que la France, heureuse et tranquille, se repose après tant d'orages sous l'abri des lois bienfaisantes qui vont consacrer pour tous les siècles les droits et la souveraineté du peuple! >>

RAPPORT sur les papiers inventoriés dans les bureaux de la liste civile, fait par Louis-Jérôme Gohier, député d'Ille-et-Vilaine, dans la séance du 16 septembre 1792.

« Messieurs, les pièces trouvées dans les bureaux de la liste civile vous ont paru si importantes que non seulement vous en avez ordonné l'impression et l'envoi aux quatre-vingt-trois départemens et aux armées, mais que vous m'avez chargé d'en

faire l'analise, de vous en présenter le tableau. Je viens an nom de tous vos commissaires vous offrir ce travail, qu'on pourrait intituler : la nécessité de la journée du dix août, vérifiée par les titres mémes inventoriés chez les principaux agens de la contre-révolution.

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Lorsque l'Assemblée nationale remet les pouvoirs qu'elle avait reçus entre les mains du peuple, et n'en veut usurper aucun; lorsqu'elle ne suspend le pouvoir exécutif dans celles du roi que pour empêcher le dernier attentat à la liberté, elle n'a pas besoin sans doute de justifier sa conduite : mais elle doit à la Convention nationale, qui jugera le grand procès de Louis XVI, toutes les preuves qui s'accumulent contre lui; elle doit au peuple toutes les lumières propres à l'éclairer sur les grands intérêts qui fixent en ce moment ses regards; c'est à l'instant où il va définitivement organiser la forme de son gouvernement qu'il importe de lui faire connaître jusqu'à quel point il peut compter sur la fidélité d'un roi.

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Le voile enfin est déchiré! Les manœuvres des agens da pouvoir exécutif sont mises au grand jour; on sait maintenant par qui les ennemis intérieurs de l'empire étaient protégés, et qui secondait leurs efforts; on sait qui entretenait des intelligences avec les ennemis extérieurs, et qui encourageait leurs coupables espérances; on sait enfin à qui attribuer tous les maux qui ont désolé les premiers instans de notre révolution et pourquoi, au lieu de s'affermir et de se consolider, elle ne marchait plus que d'un pas chancelant et rétrograde.

» La générosité d'une nation, toujours grande envers celui même qui s'était fait un jeu cruel de trahir ses premiers sermens, n'a pu toucher le cœur de Louis XVI : l'hérédité du trône conservée dans sa famille par une Constitution qui anéantit toute transmission de privilége personnel, l'inviolabilité * consacrée dans sa personne, une liste civile qui seule équivalait aux revenus de plus d'un état de l'Europe, la distribution de toutes les grâces, la nomination à toutes les places importantes, le titre de représentant héréditaire, le fatal pouvoir de paralyser toutes les opérations des représentans élus; tant de prérogatives, toutes plus alarmantes les unes que les autres pour la liberté, n'ont été consi

dérées par celui auquel elles ont été si indiscrètement accordées que comme les débris d'une puissance échappée de ses mains, et qu'il devait songer à reconquérir.

» Louis XVI n'a vu dans la Constitution que les avantages immenses qu'elle lui offrait, et le parti qu'il en pouvait tirer pour venir à ses fins (1); que les moyens qu'il y trouvait pour détruire la Constitution. :

» Un vaste plan de conjuration a été formé; et non seulement nous avons dans les pièces inventoriées chez l'administrateur de la liste civile et autres agens du pouvoir exécutif, chez le roi lui-même, la preuve des divers complots qui n'étaient que le développement de cette entreprise audacieuse contre la liberté publique, mais tous les secrets ressorts qu'on a fait jouer sont maintenant à découvert ; non seulement nous sommes certains que nous avons été trahis, mais nous savons comment nous l'avons été; nous connaissons toutes les manoeuvres des traîtres. Louis XVI a eu raison de dire que dans le cours des événemens de la révolution il n'a jamais varié (2) : l'essai qu'il fit du vœu national lorsqu'il descendit du trône pour aller se jeter dans les bras de Bouillé, et qu'il fut arrêté dans sa fuite, n'a servi qu'à le faire changer de plan sans le faire changer de résolution; et lors même qu'il parut céder à la volonté du peuple, il osa constituer l'expérience juge de la constitution qu'il acceptait ! A l'époque où un pouvoir effrayant fut remis entre ses mains; où la plénitude de la puissance exécutrice lui fut confiée, il eut la hardiesse de se plaindre de l'insuffisance des moyens qui lui seraient nécessaires. pour imprimer le mouvement et pour conserver l'unité dans toutes les parties d'un si vaste empire (3); comme s'il cût voulu dès lors préparer les esprits à l'inaction coupable qui. devait tout entraver, tout paralyser, et rejeter d'avance sur les vices de la Constitution les délits du pouvoir constitué!

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» Mais ce n'est pas seulement une inaction criminelle que nous avons à reprocher au ci-devant dispensateur suprême de la

V

(1)

« Expressions de la lettre de l'ex-ministre Dabancour. »

(2) « Expressions de la lettre du roi du mois de septembre 1791. » (3) « Expressions de la lettre du mois de septembre 1791. »

force publique Louis XVI ne s'est pas borné à ne pas faire ce qu'il devait, à un rôle purement passif; il a constamment dirigé les opérations de ses agens vers le but contraire à celui qu'il devait se proposer; il a constamment rejeté le vœu du peuple, et favorisé les ennemis de la liberté; il a, par ce qu'il a fait comme par ce qu'il a omis de faire, compromis d'une manière effrayante le salut public.

» Deux sortes d'ennemis, les ennemis intérieurs, les ennemis extérieurs, menacent avec une égale fureur la France libre: les papiers trouvés sous les différens scellés prouvent que le roi favorisait pareillement les efforts des uns et des autres. Pour perdre la chose publique il fallait tout à la fois négliger les moyens de défense contre les puissances coalisées et s'entendre avec les rebelles d'outre Rhin, réunir sous une même bannière les contrerévolutionnaires intérieurs, diviser les amis de la liberté, favoriser l'anarchie en avilissant le pouvoir dont émanent les lois, provoquer la dissolution du corps législatif après l'avoir avili ; et tous ces moyens ont été employés par Louis XVI et ses agens (1).

L'état de nos armées à l'époque où la patrie a été déclarée en danger démontrait seul l'inertie et la mauvaise volonté du pouvoir exécutif. La guerre est décrétée depuis le 16 avril; les ministres à cette époque nous annonçaient des forces suffisantes pour ouvrir une campagne; et malgré les plus pressantes réclamations du corps législatif, malgré ses plaintes continuelles, nos armées, après plus de quatre mois révolus, sont à peine

(1) Comme les preuves que nous allons établir sont pour la plupart tirées des pièces inventoriées chez l'administrateur de la liste civile, il est intéressant que l'on sache avec quelle solennité se font la recherche de ces pièces et leur inventaire, Les scellés ont été apposés en présence de M. Laporte; des commissaires nommés par l'assemblée générale de la section où se trouvent les bureaux procèdent à l'inventaire en présence des commissaires de l'Assemblée nationale et des commissaires, de la commune; chaque pièce est numérotée et paraphée, et le procès verbal est signé par tous ceux qui assistent à la séance. Les commissaires de l'Assemblée nationale sont MM. Gohier, Audrein, Pinet aîné, Duval, Benoiston et Oguyes; les commissaires de la section du Louvre sont MM. Legendre, Duvivier, Charpentier, Touxet; ceux de la section des Piques MM. Robert, Grenard, Garnier, Launay, Michel; et M. Bosset, membre de la commune. »

en état de soutenir un système défensif, se trouvent dans un dénuenient absolu! Et quand est-ce que le roi nous en fait instruire par son ministre ? C'est après nous avoir privés de la seule ressource qu'un échec malheureusement trop possible rendait indispensable; c'est après avoir apposé son veto sur le décret qui établissait un camp intermédiaire de vingt milie hommes! Pour connaître dans quel esprit le roi s'est opposé à l'établissement de ce camp il faut entendre les contre-révolutionnaires, employés par les bureaux de la liste civile, exprimer eux-mêmes dans le secret de leur correspondance les craintes que leur inspirait cet accroissement de forces. « Il me paraît » (lit-on dans une lettre du 22 février) que l'Assemblée songe » à se fortifier. Les patriotes enrégimentés, dont nous avons »ici une petite garnison, disent qu'ils seront envoyés à Saint» Denis; dans les premiers jours de mars on les rassemblera > autour de la banlieue au nombre de quinze mille. Voilà leur » dire...... Il faut faire scruter ce propos par les moyens que vous pouvez avoir, et donner l'alarme de ce rassemblement... » Ceci est fort sérieux, mon ami; il faut faire prendre l'air à >> des mouches adroites. Le fait n'est peut-être pas vrai ; mais si » l'on rencontre des traces, ne fût-ce que du plan, quand on » se couvrirait du prétexte de mettre Paris à l'abri de l'attaque » des princes, en turlupinant cette précaution il faut mettre » à nu le véritable dessein, et bientôt écrire... Je m'empresse >> de vous faire part de ma prétendue découverte, au devant » de laquelle il faut aller, comme à celle du régiment sans>> culottes que Saint-Huruge est allé lever à Lyon. »

>>

»

Tous les conseils renfermés dans cette lettre ont été littéralement suivis : des libelles ont été publiés contre la formation du camp; les murs de Paris ont été tapissés d'affiches qui prêtaient à cet établissement les vues les plus odieuses; et après avoir ainsi travaillé l'opinion publique par tous les imprimés incendiaires, après avoir fait prendre l'air à toutes les mouches adroites, après avoir donné l'alarme de ce rassemblement, le veto royal a été apposé sur cet important et salutaire décret. C'est ainsi que Louis XVI a rendu inutiles toutes les grandes mesures prises à l'Assemblée nationale; c'est ainsi que toutes nos forces militaires ont été paralysées par lui, et que jusqu'à

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