ÉLOGE FUNÈBRE des citoyens morts pour la défense de la liberté et de l'égalité le 10 août 1792, an 4 de la liberté, 1 de l'égalité; prononcé le 26' du même mois en présence de l'Assemblée nationale, lors de la cérémonie funèbre faite en l'honneur de ces généreux citoyens (1). Par Marie-Joseph Chénier. Imprimé et envoyé aux départemens et à l'armée par ordre de l'Assemblée nationale. * «Citoyens, dans les beaux jours de la Grèce antique, lorsqu'on venait annoncer la mort des défenseurs de la liberté, la patrie se couvrait d'un voile funèbre, les larmes du peuple se mêlaient aux cris des orphelins, aux gémissemens des mères et des épouses; mais bientôt les honneurs rendus à la mémoire de ces guerriers chéris servaient à la consolation publique : leurs noms étaient gravés sur des mausolées, avec le récit des victoires qu'ils avaient remportées; l'éloquence et la poésie transmettaient leurs exploits aux races futures; la patrie adoptait leurs familles ; leur image détrônait dans les places publiques l'image des tyrans abattus. En parcourant cette terre sacrée les voyageurs rencontraient sur leur passage les débris des vainqueurs de Marathon et de Platée; ils erraient au milieu des tombeaux d'Epaminondas le thébain, et de l'athénien Trasibule, qui détruisit les trente tyrans ; près de là le même monument renfermait les restes d'Harmodius et d'Aristogiton, jeunes et inséparables amis qui brisèrent le joug des Pisistratides; plus loin dormait Timoléon, qui rétablit la liberté dans Corinthe et dans Syracuse; les étrangers visitant la Grèce, environnés partout de la cendre des héros et des monu (1) « La cérémonie funèbre et triomphale célébrée dimanche dernier dans le jardin des Tuileries en l'honneur des braves citoyens morts à l'attaque du château le 10 août, pour la conquête de la liberté et de l'égalité, a attiré un concours prodigieux. Il serait trop long de retracer toutes les parties qui composaient ce grand spectacle, et toutes les émotions qu'il a fait naître; il restera pour jamais gravé dans la mémoire de ceux qui en ont été témoins. Plus de trois cent cinquante mille hommes armés de toutes armes ont défilé pendant près de trois heures; le tiers au moins est en état de marcher en rang à l'ennemi comme troupes de ligne. » (Moniteur.) mens de leur gloire, versaient des larmes d'admiration, et dans un recueillement solennel ils contemplaient respectueusement la majesté d'un peuple libre ! » Nous voyons se renouveler ce spectacle auguste des Français sont morts pour la liberté au sein de cette ville fameuse, et leur cendre est honorée dans le séjour même où conspiraient les tyrans qu'ils ont terrassés; les enfans, les épouses de nos frères qui ne sont plus deviennent l'héritage de la patrie. Ces hommages rendus à l'héroïsme civique, les familles des défenseurs que nous pleurons, les regrets de leurs vaillans frères d'armes, la présence des législateurs que la France chérit et révère, l'aspect des fidèles magistrats du peuple, l'aspect imposant de ce peuple même, qui renferme à la fois les conquérans de la Bastille et les vainqueurs de la royauté, tout répand autour de moi une atmosphère de liberté qui inspire et les actions généreuses et les grandes pensées! Il ne manque à la dignité de ce jour de gloire qu'une voix plus éloquente, qui puisse atteindre par la hauteur des expressions à la hauteur des actions et des hommes qu'il faut célébrer. » Mais qu'est-il besoin d'éloquence? Les choses et les lieux parlent assez! C'est ici que le despotisme aiguisait les poignards qui devaient égorger tous les amis de la liberté; c'est ici qu'un or coupable achetaient des cliens à la servitude; c'est ici que se tramaient nos défaites et l'inaction de nos armées; c'est ici que les descendans de Guillaume Tell se sont avilis jusqu'à servir dans leurs projets de vengeance des tyrans sans caractère et sans courage; enfin c'est ici qu'un roi perfide accumulait les sermens et les parjures, nous vendait à la maison d'Autriche, encourageait à la trahison des généraux criminels, et tentait de rétablir sa puissance arbitraire sur les cadavres du peuple français, non loin de la fenêtre fatale où l'avant-dernier des Valois vengeait sa religion par des forfaits, et massacrait lui-même les citoyens malheureux qui croyaient échapper à des assassins en invoquant le nom d'un roi! » Et c'est ici que les conspirateurs ont été punis! Le véritable souverain s'est montré, et tous ses lâches ennemis se sont cachés dans la poussière. Ces foudres d'airain, si longtemps apappelés la dernière raison des rois, ont consacré les droits du peuple; et tandis que l'Assemblée nationale, plus grande en ce moment que l'Assemblée constituante, éclipsait le serment du jeu de paume par un serment plus saint, prêté dans le fort du danger, vous, citoyens de Paris, et vous, généreux fédérés, et vous, braves cavaliers de la gendarmerie nationale, rivaux des braves gardes françaises, vous luttiez tous de civisme et de courage, et les héros que nous pleurons scellaient de leur sang précieux le serment des pères de la patrie! >> Oh! combien est importante cette victoire de l'égalité! Combien était nécessaire cette nouvelle insurretion, dont les suites ont été si heureuses! Déjà triomphaient en espérance la royauté, la superstition et l'aristocratie conjurées; déjà elles faisaient éclater une joie parricide, et marquaient du doigt leurs victimes!... Et sur elles est tombée soudain la vengeance qu'elles prétendaient exercer! Et le glaive de la loi frappe les coupables qui sont échappés aux rigueurs du combat! La pique du pauvre a vaincu le poignard patricien ! Tous les plans des traîtres sont dévoilés et détruits, les sources de la corruption. taries, les ennemis de l'état frappés dans l'intérieur, déconcertés au delà du Rhin, et les généraux rebelles qui luttaient contre la puissance nationale, et se flattaient de subjuguer Paris, sont trop heureux d'éviter par une fuite honteuse le supplice qu'ils ont mérité! » Hommes généreux, morts pour la liberté dans cette journée mémorable, vous avez été presque tous moissonnés dans la fleur de votre jeunesse! La nature vous devait des années plus nombreuses, et vous deviez être plus longtemps les soutiens de la France, notre mère commune; mais si vous avez trop peu vécu pour elle vous avez assez vécu pour la gloire; votre souvenir ne périra point; vos enfans seront des héros comme leurs pères; tant que nos belles contrées enfanteront des hommes libres et braves vous leur servirez de modèles, et la postérité reconnaissante vous proclamera les conquérans de l'égalité, les libérateurs de la patrie! N'en doutez pas, citoyens ; sans ce combat glorieux, mais sanglant, où nous avons vu périr les plus cruels ennemis du peuple et ses plus généreux défenseurs, nous n'aurions possédé qu'un fantôme de liberté, et la royauté constitutionnelle, aidée f d'une liste civile monstrueuse, aurait fini par anéantir en France les droits sacrés du genre humain! Nous mettrons à profit cette grande leçon'! Trop longtemps l'arbre monarchique n'a porté que des fruits de mort; ses sombres rameaux, qui s'étendaient sur tous les points de l'empire, y portaient le deuil et la stérilité maintenant ce cyprès lugubre est écrasé par la foudre ; il est frappé dans ses racines, et l'arbre de la liberté, planté par la nation souveraine, s'élève et plane majestueusement sur les quatre-vingt-trois départemens de la république française, en attendant que ses branches fécondes ombragent l'Europe et le monde entier! : Sages législateurs de la France, premier espoir de l'Etat, et vous, magistrats, fonctionnaires publics, investis de la juste confiance du peuple; vous, généreux citoyens de Paris, braves Marseillais, vaillans fédérés accourus des départemens les plus lointains pour sauver la liberté chancelante; vous tous, dignes compagnons d'armes des héros que nous regrettons; vous, leurs enfans et leurs épouses, parens chéris de la famille commune, approchez de ce monument de deuil et de gloire, et prêtons tous ensemble le serment auguste de maintenir la liberté, l'égalité, ou de mourir en les défendant! Que ce serment, répété d'un bout de la France à l'autre, vole au delà de nos frontières; qu'il fasse pâlir dans leurs camps les despotes et les généraux ligués contre nous! Que leurs armées les abandonnent! Que la tyrannie ne trouve plus un soldat qui veuille embrasser sa querelle, et que la France, heureuse et tranquille, se repose après tant d'orages sous l'abri des lois bienfaisantes qui vont consacrer pour tous les siècles les droits et la souveraineté du peuple! » RAPPORT sur les papiers inventoriés dans les bureaux de la liste civile, fait par Louis-Jérôme Gohier, député d'Ille-et-Vilaine, dans la séance du 16 septembre 1792. Messieurs, les pièces trouvées dans les bureaux de la liste civile vous ont paru si importantes que non seulement vous en avez ordonné l'impression et l'envoi aux quatre-vingt-trois départemens et aux armées, mais que vous m'avez chargé d'en faire l'analise, de vous en présenter le tableau. Je viens an nom de tous vos commissaires vous offrir ce travail, qu'on pourrait intituler : la nécessité de la journée du dix août, vérifiée par les titres mêmes inventoriés chez les principaux agens de la contre-révolution. Lorsque l'Assemblée nationale remet les pouvoirs qu'elle avait reçus entre les mains du peuple, et n'en veut usurper aucun; lorsqu'elle ne suspend le pouvoir exécutif dans celles du roi que pour empêcher le dernier attentat à la liberté, elle n'a pas besoin sans doute de justifier sa conduite : mais elle doit à la Convention nationale, qui jugera le grand procès de Louis XVI, toutes les preuves qui s'accumulent contre lui; elle doit au peuple toutes les lumières propres à l'éclairer sur les grands intérêts qui fixent en ce moment ses regards; c'est à l'instant où il va définitivement organiser la forme de son gouvernement qu'il importe de lui faire connaître jusqu'à quel point il peut compter sur la fidélité d'un roi. » Le voile enfin est déchiré! Les manœuvres des agens da pouvoir exécutif sont mises au grand jour; on sait maintenant par qui les ennemis intérieurs de l'empire étaient protégés, et qui secondait leurs efforts; on sait qui entretenait des intelligences avec les ennemis extérieurs, et qui encourageait leurs coupables espérances; on sait enfin à qui attribuer tous les maux qui ont désolé les premiers instans de notre révolution, et pourquoi, au lieu de s'affermir et de se consolider, elle ne marchait plus que d'un pas chancelant et rétrograde. » La générosité d'une nation, toujours grande envers celui même qui s'était fait un jeu cruel de trahir ses premiers sermens, n'a pu toucher le cœur de Louis XVI: l'hérédité du trône conservée dans sa famille par une Constitution qui anéantit toute transmission de privilége personnel, l'inviolabilité consacrée dans sa personne, une liste civile qui seule équivalait aux revenus de plus d'un état de l'Europe, la distribution de toutes les grâces, la nomination à toutes les places importantes, le titre de représentant héréditaire, le fatal pouvoir de paralyser toutes les opérations des représentans élus; tant de prérogatives, toutes plus alarmantes les unes que les autres pour la liberté, n'ont été consi |