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France dans la nuit du 19 au 20; en partant il adressa la lettre suivante aux officiers municipaux de Sedan.)

«Si la dernière goutte de mon sang pouvait servir la com-, mune de Sedan elle a droit à ce sacrifice, et il me coûterait moins que celui que je fais; mais au moment où je prévois, par des raisons qui ne vous échapperont pas, que ma présence auprès de vous ne servirait sous peu de jours qu'à vous compromettre, je dois éviter à la ville de Sedan des malheurs dont je serais cause; et je pense que le meilleur moyen de la servir c'est d'éloigner d'elle une tête que tous les ennemis de la liberté, ont proscrite, qui ne se courbera jamais sous aucun despotisme, et qui, pénétrée de douleur de ne pouvoir plus en ce moment être utile à sa patrie, ne se console que par les vœux qu'elle fait pour que la cause sacrée de la liberté et de l'égalité, dont le saint nom est profané, s'il pouvait l'être par les crimes d'une faction, ne soit pas du moins pour longtemps asservie, et par, le serment qu'il renouvelle dans les mains d'une commune vraiment patriote d'être fidèle aux principes qui ont animé sa vie entière.

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DÉCLARATION de l'Assemblée nationale aux puissances étrangères, présenté par M. Brissot dans la séance du 23 août 1792. (1) ・・

« Les représentans du peuple français ont déjà manifesté plusieurs fois aux nations étrangères les sentimens qui les dirigeaient dans leurs relations extérieures; ils croient devoir leur donner de nouveaux développemens dans la crise inattendue, qui amène une nouvelle révolution, et qui par la suspension d'un des pouvoirs constitués semble exciter les inquiétudes de quelques puissances neutres.

»Les représentans du peuple français ne rappelleront point ici les causes de la guerre qui déchire aujourd'hui l'Europe: les conventions des puissances coalisées, aujourd'hui publiques, attestent que les cours de Vienne et de Berlin, au mépris de tous les traités, au mépris de ce droit des gens qu'elles invo

(1) Cette déclaration resta en projet; l'Assemblée se borna à en ordonner l'impression.

quent en le foulant aux pieds, se sont liguées contre l'indépendance de la France', et pour rétablir Louis XVI sur son ancien trône. Après avoir épuisé tous les moyens pour faire cesser cette conjuration la France ne pouvait sans se déshonorer, sans exposer sa sureté et sa liberté, souffrir plus longtemps qu'on se jouât de son indépendance en affectant un respect apparent pour son roi; elle a déclaré la guerre à la cour de Vienne, ou plutôt elle s'est mise en état de repousser une agression déjà consommée par des traités, et qu'on effectuait. par des préparatifs.

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La nation française avait droit d'attendre qu'au milieu de cette guerre extérieure le roi, au nom duquel armaient les puissances étrangères, se prononcerait fortement et leur opposerait non seulement des actes formels, mais même des préparatifs militaires tels qu'il ne restât aucun doute sur ses sentimens. Les espérances de la nation ont été trompées : le roi n'a fait aucun acte propre à convaincre ni les puissances étrangères ni la nation de la sincérité de ses protestations constitutionnelles; les actes qu'on a qualifiés de formels étaient ou tardifs ou équivo-ques, et n'ayaient pas les caracteres de loyauté, de franchise qui entraînent la conviction.

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» Les préparatifs ont été simulés, lents, insuffisans, les décrets qui les ordonnaient ont été ou mal exécutés ou paralysés. La guerre offensive a été partout, traversée; elle n'a paru qu'une intrigue, où le concert de la cour des Tuileries, des généraux et des puissances étrangères était manifeste. La trahison du dedans n'était pas moins évidente que celle du dehors: le roi s'est constamment environné d'hommes qui détestaient, la révolution, de ministres qui voulaient la faire rétrograder; quand les patriotes ont rempli son conseil il les en a bientôt exclus. Il lui fallait une garde qui fût dévouée aux principes contre-révolutionnaires, il en a formé une sur ces principes: elle ne suffisait pas encore à ses vues; 'il salariait au dehors,ses anciens gardes du corps, cassés par un décret, et qui étaient en état de rébellion ouverte. Il fallait détruire les sociétés pópulaires qui défendaient la liberté, avilir l'Assemblée nationale, élever une lutte entre le peuple et les gardes nationales, discréditer les assignats, faciliter l'entrée des émigrés; et le

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roi a suivi, encouragé tous ces projets avec une constance criminelle : la preuve s'en est trouvée dans les registres des dépenses de la liste civile et dans d'autres pièces authentiques. Ainsi l'argent que la nation lui donnait pour soutenir la splendeur du trône, il l'employait pour écraser la nation et étouffer la liberté ; il l'employait pour soudoyer les assassins du peuple qui l'avait élevé sur le trône! Tant de conspirations devaient avoir un terme : les représentans du peuple français cherchaient dans la Constitution le moyen d'arrêter le cours de ces trahisons; ils examinaient si le roi n'était pas tombé dans les cas qui prononcent l'abdication de la couronne, lorsqu'une insurrection du peuple a prévu la décision.

» Il est maintenant prouvé que si le sang a coulé dans cette insurrection du 10 août il faut l'attribuer aux chefs dévoués à la cour, qui, après avoir transformé le château des Tuileries en place de guerre, ont eu la lâche perfidie de forcer leurs soldats à tirer sur les citoyens de Paris et sur les fédérés au moment même où, sur la foi d'un signe amical, ils fraternisaient avec les Suisses. Les amis de la tyrannie avaient cru voir dans ce combat le triomphe du despotisme; ils ont été vaincus. Le peuple, furieux et las des trahisons du roi, demandaient sa déchéance, et même sa tête : les représentans du peuple français ont cru pouvoir concilier le vœu du peuple, l'esprit de la Constitution, la sûreté de l'Etat, celle du roi, en le suspendant de ses fonctions, en appelant le peuple en Convention pour le juger, et en cédant leur place à cette Convention. Par la suspension ils coupaient les fils de la collusion du pouvoir exécutif avec les puissances étrangères : l'appel au peuple est un hommage à sa souveraineté, un hommage à la Constitution; lui seul pouvait, par de nouveaux organes, prononcer entre les deux pouvoirs, et si leur mésintelligence, si les trahisons, si les malheurs de la France tiennent à quelques points constitutionnels, lui seul pouvait y mettre fin en en tarissant la

source.

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» Cet acte de vigueur, auquel la France doit son salut, a reçu l'approbation solennelle de presque toute la nation : citoyens, corps administratifs, armées, presque tous y ont adhéré; et cependant cet acte paraît avoir excité les alarmes de quelques

puissances neutres, qui ont conservé leur agens en France. Une d'entre elles, dont la France respecte les principes et chérit l'alliancè, en témoignant sa résolution de conserver sa neutralité et de ne point s'immiscer dans le gouvernement intérieur de la France, témoigne cependant aussi les plus vives sollicitudes pour le sort du roi, et déclare qu'elle ne croit point rompre la neutralité en le manifestant par tous les moyens possibles; elle rappelle son ambassadeur sous prétexte que le pouvoir du roi est suspendu : d'autres puissances ont tenu la même conduite sans tenir ouvertement le même langage; mais les mêmes principes leur servent de base. Les représentans du peuple français se croient obligés, pour l'intérêt de leurs commettans, pour l'intérêt de l'harmonie entre la France et ces puissances, de développer ici les principes du droit politique, et de faire voir à ces gouvernemens l'erreur de leur conduite.

» Ils ont tous en effet reconnu la Constitution française ; or cette Constitution porte que le peuple a le droit inaliénable, imprescriptible de changer son gouvernement quand il le juge convenable, et d'un autre côté la Constitution spécifie différens cas où le roi sera censé avoir abdiqué la couronne.

» Les représentans du peuple français, appuyés sur une foule incalculable d'adresses, appuyés sur des faits et des preuves incontestables, sont convaincus que le roi est tombé dans un de ces cas d'abdication; mais, n'étant pas également convaincus que la Constitutiou leur accorde le droit de juger la déchéance du roi dans ce cas, ils en appellent à la nation entière, et suspendent le chef du pouvoir exécutif jusqu'à son jugement : ils ont en cela usé du pouvoir de suspension qui leur est accordé par la Constitution dans le cas d'absence, et, par une analogie nécessaire, dans le cas de démence ou dans ceux où le salut du peuple le commande impérieusement.

» Les puissances neutres ne peuvent donc sans tomber en contradiction avec elles-mêmes, rompre ou suspendre leurs liaisons avec la France sous le prétexte de la suspension du roi et de la convocation de la Convention, car ces mesures sont dans la Constitution qu'elles ont reconnue; et rompre sous le prétexte de ces mesures c'est s'immiscer dans le gouverne

ment de la France, dans lequel cependant on déclare ne point vouloir s'immiscer.

» Le roi n'est dans la Constitution française que le premier des fonctionnaires publics, que l'organe de la nation près des puissances étrangères : simple citoyen si on le considère en luimême, il n'est au-dessus des autres citoyens que comme représentant de la nation; mais même en cette qualité jamais il ne peut être au-dessus de la nation. Prétendre que parce qu'il est suspendu de ses fonctions toutes relations politiques doivent être suspendues avec la nation, c'est prétendré qu'il est ou l'égal ou le supérieur de la nation, ou qu'il est lui-même toute la nation; c'est prétendre que les relations étrangères sont formées pour lui, et non pour la nation, doctrine inconciliable avec la souveraineté du peuple et son indépendance extérieure. Les puissances étrangères doivent savoir que de droit des gens et la tranquillité de l'Europe ont pour base essentielle la garantie de l'indépendance respective des états, et que cette garantie n'existe plus pour aucun si une puissance étrangère intervient dans le changement d'un agent quelconque.

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» La France n'a pas attendu sa révolution pour condamner › celui de ses rois qui a traversé avec acharnement la dernière révolution à laquelle l'Angleterre a dû sa liberté, et la maison d'Hanovre son trône ; c'était ouvertement attenter au droit ina. liénable de l'Angleterre de changer son gouvernement, et la dynastie alors régnante. Comment se fait-il donc que le cabinet de Saint-James adopte aujourd'hui les principes qu'il a combattus dans le siècle dernier et dans celui-ci même (1)? ̧si la France n'a le droit de changer sa Constitution ni‹de suspendre le chef du pouvoir exécutif, il faut en conclure que les › Anglais sont des rebelles, et la maison d'Hanovre usurpatrice.... Sans doute il n'est aucun Anglais, aucun homme éclairé qui puisse soutenir une pareille doctrine aussi la nation française est-elle loin de redouter des dispositions hostiles de la part de l'Angleterre ; elle croit aux assurances de son gouvernement; elle croit à la loyauté et à l'amour du peuple anglais; elle croit que lorsque le cabinet de Saint-James aura rapproché plus ›

pas

(1) L'Ambassadeur d'Angleterre venait de quitter la France.

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