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`veraineté réside essentiellement dans la nation, que nul corps, nul individu ne peut exercer d'autorité qui n'en émane expressément, je me suis soumis à l'acte constitutionnel que l'Assemblée constituante nous a donné, et j'ai pensé que le premier de mes devoirs, comme citoyen et comme soldat, était de lui être fidèle: comme citoyen j'obéirai toujours aux lois que les représentans du peuple auront faites dans les formes que la Constitution a prescrites, et comme soldat je dois reconnaître le roi pour chef suprême de l'armée, et obeir aux ordres conformes à la Constitution que le ministre de la guerre a contresignés. Mais dans les circonstances actuelles, lorsqu'au milieu des massacres le roi, dont l'intervention fait partie du pouvoir législatif, a été non pas même déchu, ce qui s'applique à quelques cas tout différens de ceux-ci, mais suspendu de ses fonctions, droit que la Constitution ne délégue à personne; lorsque le corps législatif, violenté les jours précédens dans la personne de ses membres, et pour des décrets rendus à une grande majorité, ne peut pas être considéré comme libre au moment où le canon tirait autour de lui, et où la salle était entourée de brigands armés, je ne retrouve plus les formes constitutionnelles qui doivent faire distinguer l'autorité de l'usurpation: il convient donc à un fidèle observateur des principes communs à tous les hommes libres, et des lois adoptées par son pays, de chercher dans les lois mêmes l'autorité civile sous laquelle il doit se ranger, parce que la force militaire qui cesse un instant d'être dirigée par une autorité civile et constitutionnelle devient dangereuse à la liberté publique.

» Je vois, messieurs, dans la Constitution et dans les lois qui ont été faites par le pouvoir législatif dans son intégrité, que les troupes de ligne ne doivent agir dans le royaume que sur la réquisition des corps administratifs : voilà donc une autorité civile constitutionnelle et incontestable à laquelle je puis légalement m'adresser, et comme je me trouve dans le département des Ardennes avec une grande partie de la force armée confiée à mes soins, je viens vous rendre compte, vous consulter, et dans cette circonstance importante connaître quelles sont vos intentions.

»Vous n'ignorez pas, messieurs que le corps législatif a député des commissaires pris dans son sein pour se rendre à l'armée et y faire exécuter les décrets qui n'ont pu dans les circonstances être munis de la sanction royale, et qui ne me paraissent pas avoir été rendus par le corps législatif lui-même dans un état de pleine liberté : vous sentez que j'ai besoin sur cet objet, en ma qualité de général d'armée, de demander votre opinion.

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Quant à mon opinion personnelle, vous me connaissez assez pour savoir qu'indépendant de toutes les factions, de tous les intérêts et de tous les dangers, je ne courberai sous aucun despotisme une tête qui, depuis que j'existe, a été dévouée à la cause de la liberté et de l'égalité, et souvent risquée pour elle dans les deux hémisphères : la Déclaration des Droits fut mon seul guide jusqu'à ce que la volonté nationale eût adopté une Constitution, et puisque j'ai juré de l'observer je ne manquerai pas à mon serment. Agréez l'hommage de mon dévouement dé mon respect. »

1.

Lettre de M. Lafayette à la municipalité de Sedan.

Au quartier général, le 13 août 1792.

« Il doit arriver des commissaires de l'Assemblée nationale pour prêcher à l'armée une doctrine inconstitutionnelle. Il est démontré à tout homine de bonne foi qu'au 10 août, époque de la suspension du roi, l'Assemblée nationale a été violentée, et que les membres qui ont accepté une telle mission ne peuveut être que des chefs ou des instrumens de la faction qui a ainsi asservi l'Assemblée nationale et le roi. Je requiers, aux termes de la loi relative à l'état de guerre, et sur ma responsabilité unique et personnelle, la municipalité de Sedan de retenir les individus se disant commissaires de l'Assemblée nationale, et de les mettre en lieu de sûreté, sous la garde d'un officier supérieur, qui également sous ma responsabilité unique et personnelle, exécutera cet ordre auquel il ne peut se refuser sans être immédiatement traduit à un conseil de guerre. Je dois aussi requérir les autorités constituées des départemens, en vertu des mêmes lois, d'approuver ces mesures, et je ferai la même demande au tribunal du district de Sedan et aux différens départemens où sont situées les troupes qui me sont confiées.

» Cette pièce, déposée à la municipalité, doit servir de titre pour montrer que ni la commune de Sedan, ni la garde nationale, que la loi met sous mes ordres, ni les troupes de l'armée, tant volontaires que les troupes de ligne, et particu lièrement M. Sicard, colonel au quarante-troisième régiment, que je destine à cette mission, ni les corps administratifs et judiciaires qui pourraient concourir à l'arrestation des commis saires, ne sont sujets à aucune responsabilité, et que c'est moi qui, fidèle à mes sermens, aux principes de la Déclaration des Droits, à la Constitution, que la volonté souveraine de la nation a décrétée, que c'est moi seul qui requiers, comme j'en ai

e droit, toutes les mesures qui peuvent constater la résistance à l'oppression, le premier devoir des âmes libres. »>

Lettre de M. Lafayette au conseil général du département de l'Aisne.

Au quartier général du camp retranché de Sedan,

ce 16 août 1792, an 4 de la liberté.

« Messieurs, il y a quelques jours que je n'ai reçu de vos nou❤ velles, et depuis la lettre que M. le président du département m'a écrite je crains qu'il n'y en ait eu quelques unes d'interceptées. Je prends le parti de vous envoyer M. Langlois, mon aide de camp, lieutenant colonel, en qui vous pouvez avoir confiance, et que je charge de prendre vos ordres et de vous donner tous les renseignemens qui peuvent dépendre de moi. Il vous communiquera la lettre que j'ai cru devoir écrire dès les premiers momens de la subversion de l'ordre constitutionnel aux administrateurs du département des Ardennes où se trouve à présent la majeure partie des forces que je commande; cette lettre pourrait servir à vous faire connaître mes principes si depuis longtemps ils ne vous étaient pas connus. J'espère par ma fidélité à mes sermens, par mon zèle à défendre la Constitution contre les ennemis du dehors et ceux du dedans, par mon dévouement à vos ordres et ma reconnaissance pour continuer à mériter votre estime et vos bontés. »

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(Le conseil général du département de l'Aisne fit arrêter l'aide de camp, ordonna l'arrestation du général, et envoya toutes les pièces à l'Assemblée nationale, qui applaudit à cette conduite.)

Lettre écrite à l'Assemblée nationale par ses nouveaux commissaires à l'armée du nord.

Maisonneuve, entré Soissons et Brie, le 18 août 1792.

« Nous rencontrons dans la nuit des volontaires de l'armée de M. Lafayette qui nous font part que ce général et son état major ont levé le masque vous verrez par les pièces qu'ils vous produiront, et que nous n'avons eu que le temps de lire, que l'on a travaillé l'armée de la manière la plus perfide et la plus criminelle; que l'on est parvenu à en égarer la plus grande partie, et qu'on l'excite à marcher vers Paris. Il résulte encore de ce que nous ont dit ces volontaires et de ce que nous avons appris en route qu'il serait de la plus grande imprudence de

se rendre à Sedan, où nous tomberions certainement dans les mains des rebelles; nous marcherons avec circonspection et en sondant le terrein.

» Nous pensons qu'il est instant que vous preniez une mesure vigoureuse contre M. Lafayette pour le détacher de son armée, et que, s'il est nécessaire, vous appreniez à celle-ci que ce n'est qu'en servant la nation qu'elle peut mériter d'en être payée.

» Nous vous prions également de combiner s'il ne conviendrait de rendre pas par un décret toute l'armée garde nationale, en donnant faculté aux soldats de nommer leurs officiers; il est démontré que ceux-ci sont presque tous mauvais.

» Pesez toutes choses dans votre sagesse, et éclairez-nous de vos bons conseils dans les circonstances critiques où nous nous trouvons.

» Nous ferons partir du lieu où nous nous arrêterons des proclamations propres à toucher et à ramener les citoyens et les soldats égarés; mais la difficulté sera de les faire parvenir à l'armée, où l'on intercepte tous les papiers patriotiques.

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Expédiez-nous courrier sur courrier; nous en ferons de même. Nous devons vous faire observer que le conseil général de la commune de Sedan a requis la force armée de M. Lafayette pour arrêter vos premiers commissaires, et a déclaré, de concert avec les généraux, ne pouvoir les élargir qu'autant que le roi et l'Assemblée nationale seront libres. Il n'a pas été possible aux volontaires porteurs de la présente de se procurer un extrait de cet arrêté (1) ; ils vous donneront de vive voix de plus grandes instructions.

Signé ISNARD, QUINETTE, BAUDIN. »

Lettre écrite à l'Assemblée nationale par ses premiers commissaires envoyés à l'armée du Nord.

Sedap, le 20 août 1.792, an 4 de la liberté.

« Les portes de notre prison viennent de s'ouvrir. La municipalité, repentante et détrompée, est venue nous exprimer ses regrets, et nous reconnaître.

» Instrument d'un homme ambitieux que toute la France va connaître, la municipalité de Sedan a commis sans doute une grande faute ; mais nous croyons devoir employer les premiers

(1) Cet arrêté, en date du 14, parvint plus tard à l'Assemblée; les représentans du peuple envoyés à l'armée du nord y sont qualifiés d'émissaires d'une faction, etc.

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momens de notre liberté à la défendre : nous vous demandons comme une grâce personnelle de suspendre l'exécution du décret d'accusation que vous avez lancé contre elle. Le maire vraiment coupable a fui: M. Lafayette lui-même, s'apercevant sans doute que l'armée qu'il commandait était non la sienne mais celle de la nation, trahissant à la fois tous ses sermens a abandonné son poste. Vous jugerez de notre position: nous ne sommes plus en prison, mais nous sommes dans une ville où les accusations les plus calomnieuses nous ont précédés et accueillis; ignorant l'état des choses, ne connaissant encore rien à ce qui s'est passé depuis notre détention, apprenant d'une manière encore incertaine qu'un grand nombre d'officiers de tout grade semblent vouloir s'unir à la fortune comme aux desseins d'un général en défection, et ont fui comme lui, nous allons nous concerter avec toutes les autorités constituées de Sedan et de Mézières pour sauver à tout prix la chose publique, si solennellement et si scélératement trahie et sacrifiée.

» Nous serons aidés encore dans cette entreprise par les trois collègues qui nous sont annoncés.

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» La municipalité nous communique à l'instant la lettre par laquelle on l'informe de la mission et de la prochaine arrivée de MM. Baudin, Isnard et Quinette. Nous vous faisons passer copie collationnée et certifiée de deux lettres de M. Lafayette, qui peuvent se passer de nos réflexions; le texte seul dit tout. Nous ne hasarderons pas non plus de vous en offrir aucune sur la situation de l'armée; nous ne savons rien assez précisément, ni le nombre et les projets des transfuges, ni le parti qui y domine ni la cause et la force des divisions qui la travaillent. D'après des notions récentes, et en revenant aussi plus attentivement sur ce que nous vîmes et entendîmes à notre arrivée, nous croyons devoir attester que les officiers municipaux ont été trompés en proportion de leur patriotisme, et que leur rigueur était à la fois l'effet et la preuve de leur sollicitude et de leur civisme: nous le répétons, ce ne sont pas eux qui sont coupables, et ce serait en outre dans les circonstances une irréparable imprudence que de sévir contre eux, et de les enlever à une ville que cette sévérité désespérerait.

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» Nous joignons ici la note qui nous a été envoyée par M. le maréchal de camp commandant de l'armée, d'Hangest, dont nous avons confirmé provisoirement la nomination par une lettre que nous lui écrivons dans l'instant.

» Les commissaires de l'Assemblée nationale, signé KERSAINT, ANTONELLE, PÉRALDY. »

(M. Lafayette accompagné de son état-major, quitta la

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