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mis d'approfondir, aucun motif d'improuver sa conduite », a cru devoir se borner à présenter de nouveau les mesures générales proposées par M. Lémontey. Vifs débats; ajournement au lendemain.

Le 20, M. Lacuée annonce que la commission, après un plus sérieux examen, a découvert un délit purement militaire dans la conduite du général; il demande en conséquence le renvoi au pouvoir exécutif. Cette proposition n'est pas mieux accueillie, que la première; on insiste sur l'examen de la conduite de M. Lafayette.-M. François (de Neufchâteau), pour concilier, dit-il, les trois opinions qui lui semblent formées dans cette affaire, savoir, d'absoudre le général, de le punir par une improbation légère, ou de le mettre en accusation, propose un décret en ces termes : « L'Assem» blée nationale charge son président d'écrire au général » Lafayette qu'elle a vu avec surprise et avec peine un gé»> néral d'armée quitter son poste, et l'un des coopérateurs » de la Constitution se prêter à la violation de l'article fon»damental qui déclare la force armée essentiellement obéis»sante, et qui défend à tout corps armé de délibérer; mais, » opposant à cette démarche suspecte et inconsidérée le >> souvenir de ce que M. Lafayette a fait dans le principe » de la révolution, et persuadée que si un faux zèle ou des intrigues ont pu l'égarer l'oubli dont la générosité na» tionale couvre sa faute l'engagera à la réparer par de »> nouveaux services, l'Assemblée nationale décrète qu'il » n'y a pas lieu à délibérer. » Ce projet, que M. Girardin appelle un madrigal, est rejeté a une grande majorité. La discussion s'ouvre. M. Delaunay (d'Angers), après une vraie philippique, conclut à la mise en accusation du général; mais ce dernier trouve aussitôt un défenseur zélé dans M. Limousin, député de la Dordogne, et la discussion est continuée.

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Le 21, M. Lasource se présente à la tribune « pour briser une idole qu'il a longtemps encensée; mais il se console, dit-il, en pensant que la publicité de son opinion excusera sa longue erreur. » Le véhément discours de M. Lasource est tout entier un acte d'accusation, que M. Dumolard s'at

tache immédiatement à détruire avec autant de talent que de force. M. Torné vient ensuite, et déploie toutes les ressources de l'éloquence pour soutenir les motifs d'accusation. Enfin, après de vifs débats, l'Assemblée ajourne la question jusqu'à l'éclaircissement d'un fait avancé par M. Lasource, et confirmé sur le champ dans une déclaration écrite, déposée sur le bureau, et signée de plusieurs membres de l'Assemblée. Voici cette déclaration :

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Quelques membres de l'Assemblée nationale ayant eu occasion de voir M. le maréchal Luckner le 17 juillet au soir chez M. l'évêque de Paris, et lui ayant demandé s'il était vrai qu'on lui eût proposé de la part de M. Lafayette de marcher sur Paris avec son armée après l'événement du 20 juin, M. le maréchal Luckner a répondu en ces termes : « Je ne nie pas : » c'est M. Bureaux-Puzy, celui qui a été, je crois, trois fois

président de l'Assemblée nationale. Je lui ai répondu : mon» sieur, je ne mènerai jamais l'armée que je commande que >> contre les ennemis du dehors. Lafayette est le maître de » faire ce qu'il voudra; mais s'il marche sur Paris moi je » marcherai sur lui, et je le dauberai. M. Bureaux-Puzy me » dit alors: Mais la vie du roi est en danger... Voilà ce qu'il » m'a dit, et ils m'ont fait d'autres propositions qui sont bien plus horribles. »

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>> Telles sont les propres expressions de M. le maréchal Luckner, que nous avons entendues, et que nous altestons. « Signé J. P. Brissot, Guadet, Gensonné, Lasource, Lamarque, Delmas. >>

M. Hérault-Séchelles, présent aussi chez l'évêque de Paris, ne put se rappeler la conversation toute entière; mais il affirma positivement, sous sa signature, avoir entendu le maréchal Luckner prononcer ces mots « M. Lafayette m'a envoyé M. Bureaux-Puzy, qui m'a fait de sa part des »propositions horribles. »

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Une telle inculpation était bien autrement grave que les griefs reprochés jusqu'alors au général, et qui ne consistaient guère que dans ses lettres, discours et démarches à l'occasion du 20 juin. MM. Luckner, Lafayette et Bureaux

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Puzy sont sommés de s'expliquer. Le maréchal écrit que « jamais proposition de marcher sur Paris ne lui a été faite »; ii pense que la différence qui existe entre les paroles qu'on lui prête et celles qu'il a tenues chez l'évêque de Paris provient de la difficulté qu'il a de s'exprimer en français. Le général Lafayette termine ainsi une déclaration datée de Longwi le 26 juillet : « Je suis interpelé sur un fait : ai-je proposé à » M. le maréchal Luckner de marcher avec nos armées sur » Paris? A quoi je réponds en quatre mots fort courts : » cela n'est pas vrai. » M. Bureaux-Puzy paraît le 29 à la barre; il témoigne la douleur qu'il éprouve en se voyant forcé de convaincre d'imposture des représentans du peuple, mais l'honneur lui impose le devoir de repousser leurs perfides imputations: M. Bureaux présente à la fois sa justification et celle du général, et laisse pour preuves à l'Assemblée la correspondance entre les deux chefs d'armée, dont il avait été chargé en qualité d'aide de camp de M. Lafayette. Ces différentes pièces sont renvoyées à la commission.

Le 8 août nouveau rapport fait par M. Jean Debry. La commission a cru apercevoir dans certains passages du discours justificatif de M. Bureaux-Puzy, dans les pièces qu'il a déposées, ainsi que dans le désaveu du maréchal, des griefs équivalens aux propos dénoncés et démentis; leur rapprochement lui a montré les mêmes vues, les mêmes assertions traduites en d'autres termes : en conséquence elle conclut à la mise en accusation du général Lafayette. La discussion s'engage aussitôt. M. Vaublanc, dans un des meilleurs discours qu'il ait prononcés, combat avec indignation les interprétations calomnieuses qu'on a forgées contre le général; il le défend sur tous les points de l'accusation, et repousse le projet de la commission par la question préalable. Brissot appuie ce projet avec chaleur; il reproduit tous les griefs reprochés au général. On met aux voix le décret d'accusation: la première épreuve est douteuse; on procède à l'appel nominal, et l'Assemblée, à la majorité de quatre cent six voix contre deux cent vingt-quatre, déclare qu'il n'y a pas lieu à accusation. Ce décret, couvert d'applaudissemens dans le sein de l'Assemblée, provoqua les murmures

du peuple, dont M. Lafayette avait perdu toute la faveur. (Voyez plus haut, page 285.)

La nouvelle de l'événement du 10 août trouva M. Lafayette dans une opinion semblable à celle qu'il avait manifestée après la journée du 20 juin; il porta le même jugement, mais il tenta d'autres mesures... Sans doute il n'est pas un homme de bon sens qui puisse croire que Lafayette fût jamais traître à sa patrie; les cachots de Magdebourg et d'Olmutz s'entr'ouvrent pour engloutir une telle assertion; quiconque d'ailleurs a étudié la marche des révolutions sait ce que valent les triomphes et ce que coûtent les chutes dans les mouvemens d'un grand peuple; mais si, comme on ne peut en douter, les intentions de ce général étaient pures, toujours dira-t-on avec M. François (de Neufchâteau ), quoique ce dernier s'exprimât ainsi avant le 10 août, que la conduite de M. Lafayette put bien être regardée comme suspecte et inconsidérée.

Ici nous consignerons quelques unes des pièces qui ont motivé le décret d'accusation porté contre lui le 19 août 1792, sans aucune discussion, et imprimé à la suite de l'adresse de l'Assemblée à l'armée du nord. Ces pièces, communiquées soit par les ministres, soit par les commissaires aux armées, ont été lues à la tribune.

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» Le général d'armée persuadé que les soldats d'une nation libre en même temps qu'ils sont soumis à une exacte subordination, ne doivent pas rester dans une servile ignorance des intérêts de leurs pays, a promis aux troupes qu'il commande de ne jamais rien dissimuler des événemens qui pourraient intéresser leur patriotisme. C'est avec une vive douleur qu'il a appris les derniers désordres qui ont eu lieu dans la capitale.

» L'Assemblée nationale, après avoir le mercredi repoussé à une majorité des deux tiers des voix le décret d'accusation demandé contre lui, a été insultée, et plusieurs de ses membres ont couru le danger de la vie. Ces mêmes personnes qui avaient attaqué l'Assemblée ont fait de vains efforts le jeudi pour obtenir la déchéance du roi. Le vendredi une foule d'hommes armés, ayant à leur tête la troupe dite des Marseillais, s'est

portée au château, où les gardes nationales et les Suisses qui le défendaient ont rendu un combat long et meurtrier de part et d'autre; mais ayant cédé à la supériorité du nombre, ils ont été pour la plupart égorgés; le commandant de la garde parisienne a eu la tête coupée par des brigands, et au milieu de ce massacre le roi et sa famille, ainsi que le département de Paris, se sont réfugiés au sein du corps législatif qui lui-même a été entouré d'une troupe séditieuse. C'est dans ce moment que la suspension du roi a été prononcée.

Telles sont les nouvelles qui sont parvenues au général d'armée, quoiqu'il ne les ait pas encore reçues officiellement et d'une manière directe; mais après les inquiétudes qui se sont répandues dans le camp, et la curiosité que ces bruits affreux ont excitée, il a cru ne pouvoir plus tarder de laisser connaître aux troupes ce que lui-même avait pu en apprendre. C'est ainsi au moment les soldats de la Constitution se disposent à combattre et a mourir pour elle, que les factieux, évidemment payés par nos ennemis extérieurs, excitent des mouvemens dans la capitale, y attirent des brigands avides de pillage, la souillent par des meurtres, menacent et violent les autorités constituées, et cherchent par tous les moyens à renverser la Constitution que nous avons juré de maintenir.

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Quant à nous, qui dans cette Constitution avons reconnu la volonté librement exprimée de la nation française, qui nous y sommes liés par un serment qui renferme les principes sacrés de la liberté et de l'égalité, et de tous les moyens de la félicité publique, nous devons ne pas nous laisser décourager par aucun des efforts que les ennemis de la liberté puissent faire pour diminuer notre zèle, mais au contraire nous rallier en bons citoyens et braves soldats autour de la Constitution, et jurer de vivre pour l'observer, et de mourir pour la défendre! » Lettre de M. Lafayette au conseil général du département des Ardennes.

Au camp retranché de Sedan, le 13 août 1792, an 4 de la liberté.

>> Je n'ai reçu aucune nouvelle officielle des derniers événemens qui ont souillé la capitale ; mais dans cette circonstance comme dans toute autre, j'ouvre la Constitution, et j'y lis mes devoirs.

» Convaincu que toute société dans laquelle la garantie des droits n'est pas assurée, ni la séparation des pouvoirs déterminée n'a point de Constitution, j'ai combattu de toutes mes forces le gouvernement arbitraire de la France, et après avoir le premier proclamé que le principe de toute sou

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