les intérêts étaient le prétexte de tous les troubles? A ces motifs communs à la France entière il s'en unissait d'autres particuliers aux habitans de Paris: ils voyaient les familles des conspirateurs de Coblentz former la société habituelle du roi et de sa famille : des écrivains soudoyés par la liste civile cherchaient par de lâches calomnies à rendre les Parisiens odieux ou suspects au reste de la France; on essayait de semer la division entre les citoyens pauvres et les citoyens riches; des manoeuvres - perfides agitaient la garde nationale, ou s'occupaient d'y former un parti royaliste; enfin les ennemis de la liberté semblaient s'être partagés entre Paris et Coblentz, et leur audace croissait avec leur nombre. » La Constitution chargeait le roi de notifier à l'Assemblée nationale les hostilités imminentes ; et il avait fallu de longues sollicitations pour obtenir du ministère la connaissance tardive de la marche des troupes prussiennes. La Constitution prononce contre le roi une abdication légale s'il ne s'oppose point par un acte formel aux entreprises formées en son nom contre la nation et les princes émigrés avaient fait des emprunts publics au nom du roi, avaient acheté en son nom des troupes étrangères, avaient levé en son nom des régimens français ; ils lui avaient formé hors de la France une maison militaire; et ces faits étaient connus depuis plus de six mois sans que le roi, dont les déclarations publiques, dont les réclamations auprès des puissances étrangères auraient empêché le succès de ces manoeuvres, eût satisfait au devoir que lui imposait la Constitution. » C'est d'après des motifs si puissans que de nombreuses pétitions, envoyées d'un grand nombre de départemens, le vœu de plusieurs sections de Paris, suivi d'un vœu général émis au nom de la commune entière, sollicitèrent la déchéance du roi ou la suspension du pouvoir royal; et l'Assemblée nationale ne pouvait plus se refuser à l'examen de cette grande question. » Il était de son devoir de ne prononcer qu'après un examen mûr et réfléchi, après une discussion solennelle, après avoir entendu et pesé toutes les opinions; mais la patience du peuple était épuisée tout à coup il a paru tout entier réuni dans un même but et dans une même volonté ; il s'est porté vers le lieu de la résidence du roi, et le roi est venu chercher un asile dans le sein de l'Assemblée des représentans du peuple, dont il savait que l'union fraternelle des habitans de Paris avec les citoyens des départemens rendrait toujours l'enceinte un asile inviolable et sacré. >> Des gardes nationaux se trouvaient chargés de défendre la résidence que le roi venait d'abandonner; mais on avait placé avec eux des soldats Suisses : le peuple voyait depuis longtemps avec une surprise inquiète des bataillons suisses partager la garde du roi malgré la Constitution, qui ne lui permet pas d'avoir une garde étrangère. Depuis longtemps il était aisé de prévoir que cette violation directe de la loi, qui par sa nature frappait sans cesse tous les yeux; amènerait tôt ou tard de grands malheurs : l'Assemblée nationale n'avait rien négligé pour les prévenir; des rapports, des discussions, des motions faites par ses membres et renvoyées à ses comités, avaient averti le roi depuis plusieurs mois de la nécessité de faire disparaître d'auprès de lui des hommes que partout ailleurs les Français regarderont toujours comme des amnis et des frères, mais qu'ils ne pouvaient voir rester malgré le vœu de la Constitution auprès du roi constitutionnel sans les soupçonner d'être devenus les instrumens des ennemis de la liberté. » Un décret les avait éloignés : leur chef, appuyé par le ministère, y demanda des changemens; l'Assemblée nationale y consentit. Une portion des soldats devait rester auprès de Paris, mais sans aucun service qui pût renouveler les inquiétudes ; et c'est malgré le vœu de l'Assemblée nationale, malgré la loi, que le 10 août ils étaient employés à une fonction dont tous les motifs d'humanité et de prudence auraient dû les écarter. Ils recurent l'ordre de faire feu sur les citoyens armés au moment où ceux-ci les invitaient à la paix, où des signes non équivoques de fraternité annonçaient qu'elle allait être acceptée, au moment où l'on voyait une députation de l'Assemblée nationale s'avancer au milieu des armes pour porter des paroles de conciliation et prévenir le carnage. Alors rien ne put arrêter la ven geance du peuple, qui éprouvait une trahison nouvelle au moment même où il venait se plaindre de celles dont il avait longtemps été la victime. » Au milieu de ces désastres l'Assemblée nationale, affligée, mais calme, fit le serment de maintenir l'égalité et la liberté, ou de mourir à son poste; elle fit le serment de sauver la France, elle en chercha les moyens. » Elle n'en a vu qu'un seul ; c'était de recourir à la volonté suprême du peuple, et de l'inviter à exercer immédiatement ce droit inalienable de souveraineté que la Constitution a reconnu, et qu'elle n'avait pu soumettre à aucune restriction. L'intérêt public exigeait que le peuple manifestât sa volonté par le vœu d'une Convention nationale, formée des représentans investis par lui de pouvoirs illimités ; il n'exigeait pas moins que les membres de cette Convention fussent élus dans chaque département d'une manière uniforme et suivant un mode régulier : mais l'Assemblée nationale ne pouvait restreindre les pouvoirs du peuple souverain, de qui seul elle tient ceux qu'elle exerce: elle a dû se borner à le conjurer au nom de la patrie de suivre les règles simples qu'elle lui a tracées. Elle y a respecté les formes instituées pour les élections, parce que l'établissement de formes nouvelles, fussent-elles préférables en elles-mêmes, aurait été une source de lenteur et peut-être de divisions; elle n'y a conservé aucune des conditions d'éligibilité, aucune des limites au droit d'élire ou d'être élu établies par les lois antérieures parce que ces lois, qui sont autant de restrictions à l'exercice du droit de souveraineté, ne sont pas applicables à une Convention nationale, où ce droit doit s'exercer avec une entière indépendance: la distinction entre les citoyens actifs n'y paraît point, parce qu'elle est aussi une restriction de la loi : les seules conditions exigées sont celles que la nature même a prescrites, telles que la nécessité d'appartenir par une habitation constante au territoire où l'on exerce le droit de cité, d'avoir l'âge où l'on est censé, par les lois de la nation dont on fait partie, être en état d'exercer ses droits personnels; enfin d'avoir conservé l'indépendance absolue de ses volontés. » Mais il faut du temps pour assembler de nouveaux représentans du peuple ; et quoique l'Assemblée nationale ait pressé les époques des opérations que cette convocation nécessite, quoiqu'elle ait accéléré le moment où elle doit cesser de porter le poids de la chose publique, de manière à éviter le plus léger soupçon de vues ambitieuses, le terme de quarante jours aurait encore exposé la patrie à de grands malheurs, et le peuple à des mouvemens dangereux, si l'on eût laissé au roi l'exercice des pouvoirs que la Constitution lui a conférés ; et la suspension de ces pouvoirs a paru aux représentans du peuple le seul moyen de sauver la France et la liberté. En prononçant cette suspension nécessaire l'Assemblée n'a point excédé ses pouvoirs : la Constitution l'autorise à la prononcer dans le cas d'absence du roi, lorsque le terme où cette absence entraîne une abdication légale n'est pas encore arrivé, c'est à dire dans le cas où il n'y a pas lieu encore à une résolution définitive, mais où une rigueur provisoire est évidemment nécessaire, où il serait absurde de laisser le pouvoir entre des mains qui ne peuvent plus en faire un usage libre et utile ; or ici ces conditions se réunissent avec la même évidence que dans le cas prévu par la Constitution même, et en nous condursant d'après les principes qu'elle a tracés nous lui avons obéi, bien loin d'y avoir porté une atteinte contraire à nos sermens. » La Constitution a prévu que toute cumulation de pouvoirs était dangereuse, et pouvait changer en tyrans du peuple ceux qui ne doivent en être que les représentans; mais elle a jugé aussi que ce danger supposait un long exercice de cette puissance extraordinaire, et le terme de deux mois est celui qu'elle a fixé pour tous les cas où elle permet cette réunion, que d'ailleurs elle a si sévèrement proscrite. >>> L'Assemblée nationale, loin de prolonger cette durée, l'a réduite à quarante jours seulement; et loin d'excéder le terme fixé par la loi, en s'appuyant sur l'excuse de la nécessité, elle a voulu se réduire dans des limites encore plus étroités. Lorsque le pouvoir de sanctionner les lois est suspendu la Constitution a prononcé que les décrets du corps législatif en auraient par eux-mêmes le caractère et l'autorité; et puisque celui à qui la Constitution avait attribué le choix des ministres ne pouvait plus exercer ses fonctions, il fallait qu'une lòi nouvelle remît ce choix en d'autres mains; l'Assemblée s'en est attribué le droit à elle-même, parce que ce droit ne peut être donné qu'à des électeurs qui appartiennent à la nation entière, et qu'eux seuls en ce moment ont ce caractère; mais elle n'a pas voulu qu'on pût même la soupçonner d'avoir cherché, en se conférant ce pouvoir, à servir des vues ambitieuses et personnelles ; elle a décrété que l'élection se ferait à haute voix, que chacun de ses membres prononcerait son choix devant la représentation nationale, devant les citoyens nombreux qui assistent à ses séances; elle a voulu que chacun de ses membres eût pour juges ses collègues, le public pour témoin, et qu'il répondît de son choix à la nation entière. " Français, réunissons toutes nos forces contre la tyrannie étrangère, qui ose menacer de sa vengeance vingt-six millions d'hommes libres! Dans six semaines un pouvoir que tout citoyen reconnaît prononcera sur nos divisions: malheur à celui qui, écoutant pendant ce court espace des sentimens personnels, ne se dévouerait pas tout entier à la défense commune, qui ne verrait pas qu'au moment où la volonté suprême de peuple va se faire entendre nous n'avons plus pour ennemis que les conspirateurs de Pilnitz et leurs complots! » C'est au milieu d'une guerre étrangère, c'est au moment où des armées nombreuses se préparent à une invasion formidable que nous appelons les citoyens à discuter dans une paisible assemblée les droits de la liberté : ce qui eût été téméraire chez un autre peuple ne nous a point paru au-dessus du courage et du patriotisme des Français ; et sans doute nous n'aurons pas la douleur de nous être trompés en vous jugeant dignes d'oublier tout autre intérêt pour celui de la liberté, de sacrifier tout autre sentiment à l'amour de la patrie! » Citoyens, c'est à vous à juger si vos représentans ont exercé pour votre bonheur les pouvoirs que vous leur avez confiés, s'ils ont rempli votre vœu en faisant de ces pouvoirs un usage qu'eux ni vous n'aviez pu prévoir pour nous, nous avons rempli notre devoir en saisissant avec courage le seul moyen de conserver la liberté qui se soit offert à notre pensée; prêts à mourir pour elle au poste où vous nous avez placés, nous emporterons du moins en le quittant la consolation de l'avoir bien servie ! |