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réprésentans du peuple, dont les députations successives entourèrent constamment le roi, prévinrent tous les désordres, et peu de rassemblemens aussi nombreux en ont moins produit. >Le roi avait arboré les enseignes de la liberté; il avait rendu justice aux citoyens en déclarant qu'il se croyait en sûreté au milieu d'eux. Le jour de la fédération approchait; des citoyens de tous les départemens devaient se rendre à Paris, y jurer de maintenir cette liberté pour laquelle ils allaient combattre sur les frontières tout pouvait encore se réparer ; mais les ministres ne virent dans les événemens du 20 juin, qu'une occasion favorable de semer la division entre les habitans de Paris et ceux des départemens, entre le peuple et l'armée, entre les diverses portions de la garde nationale, entre les citoyens qui restaient dans leurs foyers et ceux qui volaient à la défense de l'Etat. Dès le lendemain le roi changea de langage: une proclamation calomnieuse fut distribuée avec profusion dans les armées ; un de leurs généraux vint au nom de la sienne demander vengeance et désigner ses victimes; un assez grand nombre de directoires de département, dans des arrêtés inconstitutionnels, laissèrent entrevoir leur projet formé dès longtemps de s'élever comme une puissance intermédiaire entre le peuple et ses représentans, entre l'Assemblée nationale et le roi. Des juges de paix commencèrent dans le château même des Tuileries une procédure ténébreuse dans laquelle on espérait envelopper ceux des patriotes dont on redoutait le plus la vigilance et les talens : déjà l'un de ces juges avait essayé de porter atteinte à l'inviolabilité des représentans du peuple, et tout annonçait un plan adroitement combiné pour trouver dans l'ordre judiciaire un moyen de donner à l'autorité royale une extension arbitraire. Des lettres du ministre de l'intérieur ordonnaient d'employer la force contre les fédérés qui viendraient faire à Paris le serment de combattre pour la liberté, et il a fallu toute l'activité de l'Assemblée nationale, tout le patriotisme de l'armée, tout le zèle des citoyens éclairés pour prévenir les effets funestes de ce projet désorganisateur, qui pouvait allumer la guerre civile. Un mouvement de patriotisme avait éteint dans une réunion fraternelle les divisions qui s'étaient manifestées trop souvent dans l'Assemblée nationale

et il pouvait en naître encore un moyen de salut; les poursuites commencées de l'ordre du roi, à la requête de l'intendant de la liste civile, pouvaient être arrêtées; le vertueux Pétion, puni par une suspension injuste d'avoir épargné le sang du peuple, pouvait être rétabli par le roi, et il était possible que cette longue suite de fautes et de trahison retombât encore tout entière sur ces conseillers perfides auxquels un peuple confiant avait la longue habitude d'attribuer tous les crimes de nos rois. » L'Assemblée nationale vit alors que le salut public exigeait des mesures extraordinaires.

» Elle ouvrit une discussion sur les moyens de sauver la patrie; elle institua une commission chargée de les méditer et de les préparer.

» La déclaration que la patrie était en danger appelait tous les citoyens à la défense commune, tous les fonctionnaires publics à leurs postes ; et cependant, au milieu des plaintes ⚫ sans cesse répétées sur l'inaction du gouvernement, sur la négligence ou la mauvaise combinaison des préparatifs de guerre, sur des mouvemens des armées inutiles ou dangereux, dont le but avoué était de favoriser les combinaisons politiques d'un des généraux, on voyait des ministres inconnus ou suspects se succéder rapidement, et présenter sous de nouveaux noms la même inactivité et les mêmes principes.

->> Une déclaration du général ennemi, qui dévouait à la moṛt tous les hommes libres, et promettait aux lâches et aux traîtres sa honteuse protection, devait augmenter les soupçons : l'ennemi de la France n'y semblait occupé que de la défense du roi des Français; vingt-six millions d'hommes n'étaient rien pour lui auprès d'une famille privilégiée; leur sang devait couvrir la terre pour venger les plus faibles outrages; et le roi, au lieu de témoigner son indignation contre un manifeste destiné à lui enlever la confiance du peuple, semblait n'y opposer qu'à regret un froid et timide désaveu !

» Qui donc pourrait s'étonner que la défiance contre le chef suprême du pouvoir exécutif ait inspiré aux citoyens le désir de ne plus voir les forces destinées à la défense commune à la disposition du roi, au nom duquel la France était attaquée, et le soin de maintenir sa tranquillité intérieure confié à celui dont

les intérêts étaient le prétexte de tous les troubles? A ces motifs communs à la France entière il s'en unissait d'autres particuliers aux habitans de Paris: ils voyaient les familles des conspirateurs de Coblentz former la société habituelle du roi et de sa famille : des écrivains soudoyés par la liste civile cherchaient par de lâches calomnies à rendre les Parisiens odieux ou suspects au reste de la France; on essayait de semer la division entre les citoyens pauvres et les citoyens riches; des manœuvres - perfides agitaient la garde nationale, ou s'occupaient d'y former un parti royaliste; enfin les ennemis de la liberté semblaient s'être partagés entre Paris et Coblentz, et leur audace croissait avec leur nombre.

» La Constitution chargeait le roi de notifier à l'Assemblée nationale les hostilités imminentes ; et il avait fallu de longues sollicitations pour obtenir du ministère la connaissance tardive de la marche des troupes prussiennes. La Constitution prononce contre le roi une abdication légale s'il ne s'oppose point par un acte formel aux entreprises formées en son nom contre la nation et les princes émigrés avaient fait des emprunts publics au nom du roi, avaient acheté en son nom des troupes étrangères, avaient levé en son nom des régimens français; ils lui avaient formé hors de la France une maison militaire ; et ces faits étaient connus depuis plus de six mois sans que le roi, dont les déclarations publiques, dont les réclamations auprès des puissances étrangères auraient empêché le succès de ces manœuvres, eût satisfait au devoir que lui imposait la Constitution.

» C'est d'après des motifs si puissans que de nombreuses pétitions, envoyées d'un grand nombre de départemens, le vœu de plusieurs sections de Paris, suivi d'un vœu général émis au nom de la commune entière, sollicitèrent la déchéance du roi ou la suspension du pouvoir royal; et l'Assemblée nationale ne pouvait plus se refuser à l'examen de cette grande question.

» Il était de son devoir de ne prononcer qu'après un examen mûr et réfléchi, après une discussion solennelle, après avoir entendu et pesé toutes les opinions; mais la patience du peuple

était épuisée : tout à coup il a paru tout entier réuni dans un même but et dans une même volonté ; il s'est porté vers le lieu de la résidence du roi, et le roi est venu chercher un asile dans le sein de l'Assemblée des représentans du peuple, dont il savait que l'union fraternelle des habitans de Paris avec les citoyens des départemens rendrait toujours l'enceinte un asile inviolable et sacré.

» Des gardes nationaux se trouvaient chargés de défendre la résidence que le roi venait d'abandonner; mais on avait placé avec eux des soldats Suisses: le peuple voyait depuis longtemps avec une surprise inquiète des bataillons suisses partager la garde du roi malgré la Constitution, qui ne lui permet pas d'avoir une garde étrangère. Depuis longtemps il était aisé de prévoir que cette violation directe de la loi, qui par sa nature frappait sans cesse tous les yeux; amènerait tôt ou tard de grands malheurs : l'Assemblée nationale n'avait rien négligé pour les prévenir; des rapports, des discussions, des motions faites par ses membres et renvoyées à ses comités, avaient averti le roi depuis plusieurs mois de la nécessité de faire disparaître d'auprès de lui des hommes que partout ailleurs les Français regarderont toujours comme des amis et des frères, mais qu'ils ne pouvaient voir rester malgré le vœu de la Constitution auprès du roi constitutionnel sans les soupçonner d'être devenus les instrumens des ennemis de la liberté.

» Un décret les avait éloignés : leur chef, appuyé par le ministère, y demanda des changemens; l'Assemblée nationale y consentit. Une portion des soldats devait rester auprès de Paris, mais sans aucun service qui pût renouveler les inquiétudes; et c'est malgré le vœu de l'Assemblée nationale, malgré la loi, que le 10 août ils étaient employés à une fonction dont tous les motifs d'humanité et de prudence auraient dû les écarter. Ils recurent l'ordre de faire feu sur les citoyens armés au moment où ceux-ci les invitaient à la paix, où des signes non équivoques de fraternité annonçaient qu'elle allait être acceptée, au moment où l'on voyait une députation de l'Assemblée nationale s'avancer au milieu des armes pour porter des paroles de conciliation et prévenir le carnage. Alors rien ne put arrêter la ven

geance du peuple, qui éprouvait une trahison nouvelle au moment même où il venait se plaindre de celles dont il avait longtemps été la victime.

» Au milieu de ces désastres l'Assemblée nationale, affligée, mais calme, fit le serment de maintenir l'égalité et la liberté, ou de mourir à son poste; elle fit le serment de sauver la France, elle en chercha les moyens.

>> Elle n'en a vu qu'un seul ; c'était de recourir à la volonté suprême du peuple, et de l'inviter à exercer immédiatement ce droit inalienable de souveraineté que la Constitution a reconnu, et qu'elle n'avait pu soumettre à aucune restriction. L'intérêt public exigeait que le peuple manifestât sa volonté par le vœu d'une Convention nationale, formée des représentans investis par lui de pouvoirs illimités ; il n'exigeait pas moins que les mem-' bres de cette Convention fussent élus dans chaque département d'une manière uniforme et suivant un mode régulier mais l'Assemblée nationale ne pouvait restreindre les pouvoirs du peuple souverain, de qui seul elle tient ceux qu'elle exerce: elle a dû se borner à le conjurer au nom de la patrie de suivre les règles simples qu'elle lui a tracées. Elle y a respecté les formes instituées pour les élections, parce que l'établissement de formes nouvelles, fussent-elles préférables en elles-mêmes, aurait été une source de lenteur et peut-être de divisions; elle n'y a conservé aucune des conditions d'éligibilité, aucune des limites au droit d'élire ou d'être élu établies par les lois antérieures, parce que ces lois, qui sont autant de restrictions à l'exercice du droit de souveraineté, ne sont pas applicables à une Convention nationale, où ce droit doit s'exercer avec une entière indépendance: la distinction entre les citoyens actifs n'y paraît point, parce qu'elle est aussi une restriction de la loi : les seules conditions exigées sont celles que la nature même a prescrites, telles que la nécessité d'appartenir par une habitation constante au territoire où l'on exerce le droit de cité, d'avoir l'âge où l'on est censé, par les lois de la nation dont on fait partie, être en état d'exercer ses droits personnels; enfin d'avoir conservé l'indépendance absolue de ses volontés.

» Mais il faut du temps pour assembler de nouveaux représentans du peuple; et quoique l'Assemblée nationale ait pressé

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