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la république elle-même, ne sont ni assez étrangères ni assez peu respectables à mes yeux pour que j'aie pu m'abaisser jusqu'à conspirer contre elles.

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Signé ROEDERER, »

EXPOSITION des motifs d'après lesquels l'Assemblée nationale a proclamé la convocation d'une Convention nationale, et prononcé la suspension du pouvoir exécutif dans les mains du roi; proposée par M. Condorcet, décrétée et publiée le 13 août 1792.

« L'Assemblée nationale doit à la nation, à l'Europe, à la postérité un compte sévère des motifs qui ont déterminé ses dernières résolutions.

» Placée entre le devoir de rester fidèle à ses sermens et celui de sauver la patrie, elle a voulu les remplir tous deux à la fois, et faire tout ce qu'exigeait le public sans usurper les pouvoirs que le peuple ne lui avait pas confiés.

» A l'ouverture de la session un rassemblement d'émigrés formé sur les frontières correspondait avec tout ce que les départemens, tout ce que les troupes de lignes renfermaient encore d'ennemis de la liberté; et les prêtres fanatiques, portant le trouble dans les âmes superstitieuses, cherchaient à persuader aux citoyens égarés que la Constitution blessait les droits de la conscience, et que la loi avait confié les fonctions religieuses à des schismatiques et sacriléges.

» Enfin une ligue formée entre des rois puissans menaçait la liberté française: ils se croyaient en droit de fixer jusqu'à quel point l'intérêt de leur despotisme nous permettrait d'être libres, et se flattaient de voir la souveraineté du peuple et l'indépendance de l'empire français s'abaisser devant les armes de leurs esclaves.

» Ainsi tout annonçait une guerre civile et religieuse, dont une guerre étrangère augmenterait bientôt le danger.

» L'Assemblée nationale a cru devoir réprimer les émigrés et contenir les prêtres factieux par des décrets sévères; et le roi a employé contre ces décrets le refus suspensif de sanction que la Constitution lui accordait. Cependant ces émigrés, ces

prêtres agissaient au nom du roi ; c'était pour le rétablir dans ce qu'ils appelaient son autorité légitime que les uns avaient pris les armes, que les autres prêchaient l'assassinat et la trahison; ces émigrés étaient les frères du roi, ses parens, ses courtisans, ses anciens gardes ; et tandis que le rapprochement de ces faits et de la conduite du roi autorisait, commandait même la défiance, ce refus de sanction, appliqué à des décrets qui ne pouvaient être suspendus sans être anéantis, montrait clairement comment ce veto, suspensif suivant la loi, devenu définitif par la manière de l'employer, donnait au roi le pouvoir illimité et arbitraire de rendre nulles toutes les mesures que le corps législatif croirait nécessaires au maintien de la liberté.

» Dès ce moment d'un bout de l'empire à l'autre le peuple montra ces sombres inquiétudes qui annoncent les orages', et les soupçons qui accusaient le pouvoir exécutif se manifestèrent avec énergie.

» L'Assemblée nationale ne fut pas découragée. Des princes qui se disaient les alliés de la France avaient donné aux émigrés non un asile, mais la liberté de s'armer, de se former en corps de troupes, de lever des soldats, de faire des approvisionnemens de guerre; et le roi fut invité par un message solennel à rompre, sur cette violation du droit des gens, un silence qui avait duré trop longtemps. Il parut céder au vœu national; des préparatifs de guerre furent ordonnés ; mais bientôt on s'aperçut que les négociations, dirigées par un ministère faible ou complice, se réduiraient à obtenir de vaines promesses, qui, demeurant sans exécution, ne pourraient être regardées que comme un piége ou comme un outrage. La ligue des rois prenait cependant une activité nouvelle, et à la tête de cette ligue paraissait l'empereur, beau-frère du roi des Français, uni à la nation par un traité utile à lui seul, que l'Assemblée constituante, trompée par le ministère, avait maintenu en sacrifiant pour le conserver l'espérance alors fondée d'une alliance avec la maison de Brandebourg.

» L'Assemblée nationale crut qu'il était nécessaire à la sûreté de la France d'obliger l'empereur à déclarer s'il voulait être son allié ou son ennemi, et à prononcer entre deux traités con

tradictoires, dont l'un l'obligeait à donner du secours à la France, et l'autre l'engageait à l'attaquer, traités qu'il ne pouvait concilier sans avouer l'intention de séparer le roi de la nation, et de faire regarder la guerre contre le peuple français comme un secours donné à son allié. La réponse de l'empereur augmenta les défiances que cette combinaison de circonstances rendait si naturelles : il y répétait contre l'Assemblée des représentans du peuple français, contre les sociétés populaires établies dans nos villes, les absurdes inculpations dont les émigrés, dont les partisans du ministère français fatiguent depuis longtemps les presses contre-révolutionnaires ; il protestait de son désir de rester l'allié du rọi, et il venait de signer une nouvelle ligue contre la France en faveur de l'autorité du roi des Français !

» Ces ligues, ces traités, les intrigues des émigrés, qui les avaient sollicités au nom du roi, avaient été cachés par les ministres aux représentans du peuple; aucun désaveu public de ces intrigues, aucun effort pour prévenir ou dissiper cette conjuration de monarques n'avaient montré, ni aux citoyens français ni aux peuples de l'Europe, que le roi avait sincèrement uni sa cause à celle de la nation.

» Cette connivence apparente entre le cabinet des Tuileries et celui de Vienne frappa tous les esprits; l'Assemblée nationale crut devoir examiner avec sévérité la conduite du ministre des affaires étrangères, et un décret d'accusation fut la suite de cet examen : ses collègues disparurent avec lui, et le conseil du roi fut formé de ministres patriotes.

» Le successeur de Léopold suivit la politique de son père : il voulait exiger pour les princes possessionnés en Alsace des dédommagemens incompatibles avec la Constitution française, et contraires à l'indépendance de la nation; il voulait il voulait que la France trahît la confiance et violât les droits du peuple avignonais ; il annonçait enfin d'autres griefs qui ne pouvaient, disaitil, se discuter avant d'avoir essayé la force des armes.

» Le roi parut sentir que cette provocation à la guerre ne pouvait être tolérée sans montrer une honteuse faiblesse ; il parut sentir combien était perfide ce langage d'un ennemi qui semblait ne s'intéresser à son sort et ne désirer son alliance que

pour jeter entre lui et le peuple des semences de discorde, capables d'énerver nos forces et d'en arrêter ou d'en troubler les mouvemens ; il proposa la guerre, de l'avis unanime de son conseil, et la guerre fut décrétée.

» En protégeant les rassemblemens d'émigrés, en leur permettant de menacer nos frontières, en montrant des troupes toutes prêtes à les seconder en cas d'un premier succès, en leur préparant une retraite, en persistant dans une ligue menaçante, le roi de Hongrie obligeait la France à des préparatifs de défense ruineux ; épuisait ses finances, encourageait l'audace des conspirateurs répandus dans les départemens, y excitait les inquiétudes des citoyens, et par là y fomentait, y perpétuait le trouble jamais des hostilités plus réelles n'ont légitimé la guerre, et la déclarer n'était que la repousser.

» ́ L'Assemblée nationale put alors juger jusqu'à quel point, malgré des promesses si souvent répétées, tous les préparatifs de défense avaient été négligés ; néanmoins les inquiétudes, les défiances s'arrêtaient encore sur les anciens ministres, sur les conseils secrets du roi; mais on vit bientôt les ministres patriotes contrariés dans leurs opérations, attaqués avec acharnement par les partisans de l'autorité royale, par ceux qui faisaient parade d'un attachement personnel pour le roi.

» Nos armées étaient tourmentées par des divisions politiques; on semait la discorde parmi les chefs des troupes comme entre les généraux et le ministère : on voulait transformer en instrumens d'un parti, qui ne cachait pas le désir de substituer sa volonté à celle des représentans de la nation, ces mêmes armées destinées à la défense extérieure du territoire français, au maintien de l'indépendance nationale.

» Les machinations des prêtres, devenues plus actives au moment de la guerre, rendaient indispensable une loi repressive; elle fut portée.

» La formation d'un camp entre Paris et les frontières était une disposition heureusement combinée pour la défense extérieure, en même temps qu'elle servait à rassurer les départemens intérieurs et à prévenir les troubles que leurs inquiétudes auraient pu produire; la formation de ce camp fut ordonnée :

mais ces deux décrets furent repoussés par le roi, et les ministres patriotes furent renvoyés.

» La Constitution avait accordé au roi une garde de dix-huit cents hommes, et cette garde manifestait avec audace un incivisme qui indignait ou effrayait les citoyens; la haine de la Cons. titution, et surtout celle de la liberté, de l'égalité, étaient les meilleurs titres pour y être admis.

» L'Assemblée fut forcée de dissoudre cette garde pour prévenir et les troubles qu'elle ne pouvait manquer de causer bientôt, et les complots de contre-révolution dont il ne se manifestait déjà que trop d'indices.

» Le décret fut sanctionné; mais une proclamation du roi donnait des éloges à ceux mêmes dont il venait de prononcer le licenciement, à ceux qu'il avait reconnus pour des hommes justement accusés d'être les ennemis de la liberté.

elles

» Les nouveaux ministres excitaient de justes défiances, et comme ces défiances ne pouvaient plus s'arrêter sur eux, portèrent sur le roi lui-même.

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L'application du refus de sanction aux décrets nécessités par les circonstances, et dont l'exécution doit être prompte et cesser avec elles, fut regardée dans l'opinion générale comme une interprétation de l'acte constitutionnel contraire à la liberté et à l'esprit même de la Constitution. L'agitation du peuple de Paris devint extrême; une foule immense de citoyens se réunirent pour former une pétition : ils y sollicitaient le rappel des ministres patriotes, et la rétractation du refus de sanctionner des décrets en faveur desquels l'opinion publique s'était hautement manifestée. Ils demandèrent à défiler en armes devant l'Assemblée nationale après que leurs députés auraient lu la pétition; cette permission, que d'autres corps armés avaient déjà obtenue, leur fut accordée. Ils désiraient présenter au roi la même pétition, et la présenter sous les formes établies par la loi; mais, au moment où des officiers municipaux venaient leur annoncer que leurs députés, d'abord refusés, allaient être admis, la porte s'ouvrit, et la foule se précipita dans le château. Le zèle du maire de Paris, l'ascendant que ses vertus et son patriotisme lui donnent sur les citoyens, la présence des

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