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Intérieur, M. Roland; guerre, M. Servan; contributions publiques, M. Clavières; justice, M. Danton; -marine, M. Monge; - affaires étrangères, M. Lebrun ; secrétaire du conseil, M. Grouvelle.

Ces différens décrets étaient attendus avec impatience et reçus avec enthousiasme des citoyens se pressaient au bureau des secrétaires pour en multiplier des copies manuscrits, qu'ils faisaient circuler dans tous les quartiers de Paris; les rues, les places retentissaient de ces cris: Le roi est déchu! Le roi et sa famille restent en otage! La liste civile est supprimée ! Nous avons des bons ministres ! Des pétitionnaires se succédaient à la barre; ils apportaient des détails sur l'événement du jour (1); tous demandaient vengeance,

(1) Ces détails se trouvent réunis dans l'extrait suivant du Moni

teur:

« ..... On s'accorde à dire que les Suisses faisaient signe de leurs bonnets aux citoyens en criant: vive la nation! La porte du Carrousel fut ouverte. Des Suisses protestaient de leur civisme et serraient la main aux Marseillais : nous-mêmes avons entendu dire à plusieurs fédérés bretons, qui ont dans cette journée perdu beaucoup de leurs camarades: oui, monsieur, nous avions encore la bouche sur leurs joues quand tout à coup une grêle de balles et de mitraille a été dirigée sur nous. Les Suisses tiraient par les fenêtres, et même par les soupiraux. Les citoyens désarmés ou mal armés fuient ; les Marseillais et les Brestois se rallient; les Parisiens les secondent; un feu terrible répond à celui qu'on éprouve; la gendarmerie surtout se distingue, et donne des preuves du plus grand courage.

» On se précipite dans les cours malgré les décharges continuelles des Suisses; on brave le feu roulant du grand escalier; on pénètre jusqu'à la terrasse; enfin les Suisses mettent bas les armes ; mais un grand nombre de Marseillais, de fédérés et de citoyens de Paris avaient perdu la vie. Le désespoir était à son comble; la voix de l'humanité et de la générosité ne pouvait plus être écoutée; on poursuivait les Suisses; on les massacrait partout où l'on pouvait les rencontrer; cependant plusieurs ont été cachés dans les caves: quatre-vingts environ furent conduits à l'Hôtel-de-Ville par la garde nationale; on voulait leur sauver la vie; mais un cri terrible se fit entendre: vengeance! vengeance! Ils ont égorgé nos frères! Il fut impossible de les soustraire à la mort.

» Le château des Tuileries était à la disposition des citoyens. Déjà

en accusant le pouvoir exécutif d'avoir donné le signal du carnage.

Si plusieurs fois après le combat on vint annoncer à l'Assemblée que le peuple se faisait justice lui-même en augmentant le nombre des victimes, souvent aussi elle eut à applaudir à de grands actes d'humanité. La fureur populaire s'apaisa vers le soir, et dès lors, déposant toute haine, on donna des larmes au malheur, une pensée à la liberté, conquise une seconde fois.

les bâtimens qui séparent les Tuileries de la place du Carrousel sont en feu; l'indignation s'acharne aveuglément sur tous les meubles renversés dans le château; les glaces sont brisées, les boiseries mises en pièces. Parmi cette multitude irritée tous ceux que l'on surprend vouloir s'approprier quelques effets sont conduits à la place Vendôme, où, après avoir subi une espèce de jugement, ils reçoivent la mort sur le champ.

» Pendant toutes ces scènes terribles les flammes continuent d'embraser les petits bâtimens voisins des Tuileries; la place et la cour sont couvertes de flocons de laine sortis des matelas du château. On voyait en même temps des détachemens armés, accablés de fatigue, retourner dans leurs demeures, tandis que d'autres détachemens venaient les remplacer. Un grand nombre de citoyens emportaient chacun au bout de sa pique ou de sa baïonnette un lambeau sanglant des vêtemens des Suisses.

» Mais ce qui étonnait, au milieu de ce désordre et de ces scènes sanglantes, c'était de voir les citoyens non armés, les femmes, les enfans, les vieillards, que la curiosité seule attirait, se promener avec sécurité comme dans un temps de calme; les femmes surtout n'offraient point sur leur visage les traits de la peur, et rarement l'expression de la sensibilité, tant l'injustice et la perfidic avaient lassé la longue patience du peuple!

» Vers huit heures la lueur des flammes prêtes à s'éteindre, l'approche de la nuit, la vue des corps étendus et presque nus des Suisses morts, le spectacle de ruine et de destruction des appartemens du château; les cris confus de la multitude, tout remplissait l'âme d'horreur et d'une secrète épouvante.

» La courte réflexion que tous ces désastres étaient l'ouvrage des ennemis de la révolution, toujours formant de nouveaux complots, rendaient pénible et déchirant le cri de vive la nation, qui dominait sur cette scène. »

Le lendemain Pétion fut rendu au peuple, qui l'appelait de ses vœux et de ses cris: l'Assemblée, informée que des chevaliers du poignard avaient résolu d'assassiner ce magistrat, l'avait couvert par un décret de la sauvegarde des citoyens armés; Pétion était resté consigné dans son hôtel depuis le 10 au matin.

On a vu par ce qui précède comment se prépara l'événement du 10 août, et l'on a pu se convaincre qu'il ne fut en propre l'ouvrage d'aucun parti, mais que tous les partis le voulaient, le rendaient nécessaire, que tous ont cherché à le diriger, à profiter de ses résultats, et aucun à l'éviter : ce fut le peuple qui triompha; nous nous abstiendrons donc de consigner ici une foule de récits appropriés au dénouement de l'affaire, et qui montrent plusieurs personnages comme les auteurs et les héros d'un événement dû tout entier à la force des choses.

Les circonstances de l'engagement du combat ont été rapportées de différentes manières ; mais il est certain, et cela doit suffire, que le premier feu est parti du château des Tuileries.

Quant à l'abandon que Louis XVI fit du château pour se rendre à l'Assemblée il a été jugé diversement. Les uns ont pensé, et cette erreur trouve encore des partisans, que si le monarque se fût mis à la tête des siens, ainsi que le lui conseillait la reine, il eût fixé la victoire dans ses rangs : d'autres ont regardé comme très sage et très prudent le parti que prit le roi; et l'on ne peut contester la justesse de cette opinion, qui d'ailleurs est celle du grand nombre. Jusqu'au dernier moment les conseillers de Louis XVI s'efforcèrent de le convaincre qu'il n'avait à combattre qu'une poignée de factieux; lorsqu'ils l'entraînèrent hors de ses appartemens pour passer la revue des Suisses, à cinq heures du matin, Louis partageait encore cette erreur : mais bientôt, contraint d'ouvrir les yeux à la vérité, il reconnut que c'était à un peuple immense, à un peuple irrité qu'il allait opposer des forces très inférieures, et dès lors il sentit toute l'inutilité, tout le

danger de la résistance. Supposer les royalistes vainqueurs c'était supposer l'impossible: or la présence du monarque, en prolongeant le combat, en multipliant les désastres, eût agrandi la victoire du peuple; et pour Louis XVI quelle tache à sa mémoire! Un roi armé et combattant de sa personne contre le peuple à la tête de soldats étrangers!... Déjà responsables des fautes et des malheurs de Louis XVI, ceux qui lui reprochent sa dernière démarche regretteraientils donc de ne l'avoir pas entraîné jusqu'à verser lui-même le sang du peuple français!

C'est à M. Roederer, procureur général syndic, que Louis XVI dut le sage conseil de se rendre à l'Assemblée : toutefois les circonstances qui avaient précédé cette démarche laissèrent entrevoir quelque équivoque dans la conduite de ce magistrat; il détruisit les soupçons élevés contre lui en publiant les Observations qui suivent, et que nous rapportous moins parce qu'elles ont trait à la justification d'un homme que parce qu'elles jettent du jour sur le fait qui nous occupe. Observations de M. Roederer sur quelques circonstances relatives à l'événement du 10 août. (Publiées le 17 août 1792.)

On me rapporte que des officiers suisses ont dit que j'avais passé dans les rangs avec le roi, et donné ordre de repousser la force par la force.

» Je nie d'abord de la manière la plus absolue que j'aie accompagné le roi, de près ni de loin, dans la revue qu'il a, dit-on, faite des troupes au château, soit à l'intérieur, soit à l'extérieur, dans la matinée du 10; et je fais ici deux observations préliminaires.

» La première c'est que je ne suis accusé de ce fait que par des accusés qui ont intérêt à se décharger sur autrui, et ainsi leur accusation ne fait pas preuve.

>> La seconde c'est que si j'avais fait la revue des troupes avec le roi j'aurais été vu par plus de mille personnes; j'aurais été remarqué par les canonniers, par les bataillons des gardes nationales, surtout par ceux qui ont mal accueilli le roi, et qui sans doute auraient été fort scandalisés de voir un magistrat du peuple faire le métier d'un courtisan.

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Or j'interpelle tous les citoyens qui ont vu le roi faire sa revue de dire si je l'accompagnais.

» Maintenant je vais plus loin: j'affirme que jusqu'au moment présent j'ai ignoré que le roi eût passé dans les rangs des Suisses;

j'affirme que pendant tout le temps qu'a pu durer sa revue, bien avant et même bien après, je suis resté au château; j'affirme que j'ai ignoré même cette revue jusqu'au moment où deux ministres, M. Sainte-Croix et je crois M. Dubouchage, entendant des cris et des huées dans le jardin, regardèrent par la fenêtre et dirent: Ils huent le roi; il faut l'aller chercher; ce qu'ils firent aussitôt. Nous étions dans une petite salle qui est à côté de la chambre où couchait le roi. J'invoque d'abord le témoignage de ces deux ministres : je crois que plusieurs autres étaient aussi présens; je me rappelle positivement que M. le ministre de la justice y était; j'invoque aussi son témoignage. Je demande aussi l'audition des administrateurs du département, que j'avais pressés de venir au château, vu la difficulté des circonstances, et qui furent témoins comme moi de l'inquiétude que marquèrent MM. Sainte-Croix et Dubouchage en voyant le roi dans le jardin. Je ne récuse aucun témoignage.

» Je viens maintenant à la seconde assertion des officiers suisses. Ils disent que j'ai donné l'ordre de repousser la force la force ici d'abord je les somme de s'expliquer. par

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:

Entendent-ils parler d'un ordre verbal ou d'un ordre écrit ? » S'ils entendent parler d'un ordre écrit, qu'ils le montrent, qu'ils indiquent à qui je l'ai donné, où et quand je l'ai donné. Je les en défie; car jamais je n'ai écrit aucun ordre ou aucune réquisition à la force publique.

» S'ils entendent parler d'un ordre verbal je demande encore qu'ils s'expliquent. Entendent-ils dire que j'ai donné cet ordre au moment où ils m'accusent d'avoir passé la revue avec le roi? En ce cas, ayant prouvé que je n'ai point passé de revue avec le roi, je n'aurai rien à dire de plus pour repousser l'allégation; et s'il leur a été donné un ordre en ce moment par quelque magistrat, ce que j'ignore, ce magistrat n'était certainement pas moi. Si les officiers suisses entendent avancer que je leur ai donné cet ordre dans un autre moment, en ce cas encore je dénie absolument leur allégation, et je soutiens que jamais je n'ai adressé la parole, que jamais je ne me suis même présenté à leurs bataillons, ni à eux. Qu'ils indiquent le moment, la circonstance, le lieu où ils prétendent que je me suis présenté, et je prouverai mon alibi.

» Dans la nuit du 9 au 10 je ne suis sorti du château que pour me promener avec M. Pétion et les officiers municipaux dans le jardin; alors sans doute on ne dira pas que j'aie parlé aux troupes.

» Dans la matinée du 10 je ne suis sorti du château que vers six heures et demie, et j'étais accompagné des administrateurs du département, qui ne m'ont plus quitté, et sans l'aveu

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